20 juin 2018 In Témoignages By Administrateur
Une grande figure de la France Libre : Jean Moulin
« Pas de femme aux parachutages ». Cet interdit m’était resté sur le cœur, et j’avais bien l’intention de m’en expliquer tôt ou tard avec celui qui l’avait prononcé en cet été 1942, où l’enthousiasme de nos 20 ans nous aurait fait souvent négliger la plus élémentaire prudence, si le chef, à peine plus âgé que les plus jeunes, n’était resté attentif. Nous qui résistions à tâtons depuis des mois, avions tant d’ardeur à donner à cette France Libre !
Hervé arrivait de Londres, ce qui lui conférait un prestige – et une soumission de notre part – incontestable. Mais il ne savait pas de quoi étaient capables les femmes de ce pays. Il a appris à les connaître, et leur a fait donner, avec méthode et prudence, au même titre que leurs camarades masculins, le meilleur d’elles-mêmes. Il avait indéniablement les qualités, toutes les qualités du chef responsable. Nous avons, sous son impulsion, fait beaucoup. Nous comptions faire mieux. Bien mieux ! Mais la Gestapo qui épiait ne l’a pas permis.
Le chemin jusqu’à ta libération a été particulièrement difficile, et chacun fut amené, les arrestations se multipliant en cette année 1943, à exercer des responsabilités. J’ai alors compris le rôle premier du chef, et ai rendu raison à la ferme domination qu’Hervé avait su exercer sur son équipe, en lui faisant prendre conscience des dangers que pouvait lui faire courir trop de témérité. Il fallait, pour durer, agir à risques calculés.
Et lorsque nous nous sommes retrouvés, trente ans plus tard, dans le bureau de l’amiral La Haye, alors président de l’Association, et sous son regard surpris et ému, c’est les larmes aux yeux (puis-je l’avouer pour vous, Hervé ?) que nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre, enfermant dans ce geste le souvenir de tous ceux dont nous aurions à parler au passé.
Ses premières paroles ont été pour me demander des nouvelles de ma mère qui comme lui, peu après lui, et par nous, a connu Montluc et la déportation.
Et seuls des mots d’amitié ont été alors et depuis échangés.
Ce témoignage de notre camarade Raymonde Giry nous révèle, mieux que l’énoncé nécessairement incomplet de ses activités dans la Résistance, la personnalité hors du commun de J.-H. Monjaret, un des tous premiers compagnons de Jean Moulin dans sa mission d’unification des mouvements de résistance, en France.
J.-H. Monjaret a bien voulu, pour la Revue de la France Libre, en évoquer des épisodes sans doute ignorés des lecteurs.
N.D.L.R.
Ainsi que beaucoup, à cette époque-là, Jean Moulin est entré dans l’aventure clandestine par la trappe d’un avion britannique, Mais le parachute qui descendait un peu avant le mien, dans la belle et froide nuit de Provence, aux premières heures du 1er janvier 1942 portait, sans qu’on le sache encore, celui qui allait faire l’unité de la Résistance française.
Jean Moulin n’avait pas attendu 1942 pour se mettre au service du Pays. Né à Béziers en juin 1899, il avait, dès son plus jeune âge, reçu une solide formation civique au sein d’une famille très unie. Son père, professeur d’histoire, était un homme cultivé qui entretenait des relations avec les frères Goncourt, Alphonse Daudet, Frédéric Mistral… Inscrit au parti Radical-Socialiste, il était adjoint au maire de Béziers et vice-président du Conseil général de l’Hérault.
Après des études de droit à la faculté de Montpellier, le jeune Jean choisit la carrière préfectorale dont il allait gravir rapidement les échelons. Mais la rigueur que lui imposaient ses fonctions n’a jamais empêché l’épanouissement de son tempérament d’artiste. Dessinateur de talent, il publiait, sous le pseudonyme de Romanin, de nombreuses caricatures dans les revues satiriques de l’époque. Son séjour en Bretagne allait marquer profondément son œuvre artistique. Durant les trois années où il fut sous-préfet de Châteaulin, il découvre un peuple rude et pauvre, bien éloigné de la Provence et de la Savoie où il avait vécu jusqu’alors : incroyant, il admire la ferveur religieuse des Bretons.
C’est là qu’il fait la connaissance de Saint-Pol-Roux, le « poète assassiné », auquel Vercors a, plus tard, dédié son Silence de la mer. Il se lie d’une amitié profonde avec Max Jacob, le poète juif converti que les Allemands allaient martyriser et tuer au camp de Drancy.
Ses lectures lui révèlent alors les Amours jaunes de Tristan Corbières et il réalise huit eaux fortes remarquables pour illustrer son Armor.
Chez Jean Moulin, le talent de l’artiste n’a jamais étouffé l’homme d’action, ni empêché l’administrateur, pénétré de son rôle, de poursuivre une carrière brillante qui l’amène, en 1936, à devenir chef de cabinet de Pierre Cot, ministre de l’Air. À ce poste, il eut pu n’être qu’un honnête chef de cabinet, l’ombre effacée de son ministre : c’était bien mal le connaître. En effet, son patriotisme vigilant pressentait la menace inquiétante que la montée du nazisme faisait déjà peser sur l’Europe. La guerre d’Espagne battait son plein ; il allait contribuer à faire parvenir des avions aux Républicains, pour contrecarrer l’action de ceux que Mussolini et Hitler fournissaient à Franco, équipant ainsi (curieuse fantaisie de l’histoire) l’escadrille d’André Malraux. Il consacra par ailleurs une grande part de son activité au développement de l’aviation populaire, pépinière de pilotes dont certains, comme Marcel Albert, devaient se distinguer à « Normandie-Niemen » !
Nommé préfet d’Eure-et-Loir en 1939, après avoir été en poste à Rodez, il aura à faire face aux multiples problèmes qui vont se poser au moment de l’exode de juin 1940. Il le fera d’une manière efficace dans sa ville de Chartres, vidée de 95 % de ses habitants, mais envahie par le flot des réfugiés affamés et démunis de l’essentiel pour lesquels, dans la désertion générale, il organisera gîte et ravitaillement.
Le 17 juin 1940, ¡l allait livrer son premier combat. Les Allemands veulent le contraindre à signer un document où il est dit que des soldats français, des Sénégalais notamment, se sont livrés à des atrocités sur des femmes et des enfants lesquels avaient été, en réalité, victimes d’un bombardement. Le préfet Jean Moulin refuse bien entendu de signer ce mensonge. Il est frappé à coups de poings et de crosses : il persiste à refuser. Les mauvais traitements durent plusieurs heures et, devant son refus obstiné, ses bourreaux le jettent, vers 1 heure du matin, dans un petit local attenant à l’hôpital. Sous-estimant son courage, et pour ne pas céder aux tortures qui l’attendent, il se tranche la gorge avec un éclat de verre. Au petit matin, ses gardiens le trouvent couvert de sang mais respirant encore. Ils le font soigner, mais il gardera toujours la trace profonde et douloureuse de sa blessure.
Une fois rétabli, il reprend son poste ; mais le 2 novembre suivant il est relevé de ses fonctions par le ministre de l’Intérieur Peyrouton qui le note comme « un fonctionnaire de valeur, mais prisonnier du régime ancien ». Sous la plume d’un Peyrouton, une telle appréciation se traduit aisément : c’était, en tout cas, apprécier fort justement Jean Moulin.
Il gagne alors la zone sud où résident sa mère et sa sœur et multiplie les contacts avec des personnalités hostiles aux Allemands et au régime de Vichy, dont certaines déjà très engagées dans la Résistance, ce qui va lui permettre de rédiger un rapport fort bien documenté qu’il remettra, le moment venu, au général de Gaulle. Son souci en effet est de gagner Londres pour se mettre à la disposition du chef de la France Libre. Mais, s’il était déjà difficile à un marin breton de fréter une barque et tenter l’aventure à travers une Manche infestée de pièges, il était encore plus difficile à un préfet de rejoindre l’Angleterre, surtout en partant de Nice ou de Marseille. C’est pourquoi il a fallu près d’un an avant que le général de Gaulle puisse recevoir le préfet Jean Moulin. Peu de choses ont transpiré de ces premiers entretiens : ce qui est sûr c’est que les deux hommes se sont appréciés et Jean Moulin se vit confier une mission très importante, à la fois militaire et politique, que le général de Gaulle définit comme suit : « Je désigne M. Jean Moulin, préfet, comme mon représentant et comme délégué du Comité national français, pour la zone non directement occupée de la métropole. M. Moulin a pour mission de réaliser dans cette zone l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs. M. Moulin me rendra compte directement de l’exécution de sa mission ». Pour remplir cette mission, il fallait à Jean Moulin revenir en France, ce qui, à l’époque, n’était pas si facile. De tous les moyens, le plus sûr et le plus rapide, surtout pour qui devait se rendre en zone sud, était encore de se faire parachuter : c’est ainsi qu’un préfet de quarante-et-un ans est devenu parachutiste. Nous devions partir à trois, Jean Moulin, chef de mission, Raymond Fassin, officier d’opérations, affecté auprès du mouvement « Combat » et moi, comme opérateur radio. L’opération « blind », car nulle équipe de réception ne devait nous attendre à l’arrivée, était prévue pour la période de lune de novembre ; les mauvaises conditions atmosphériques ne le permirent pas, et notre attente se prolongea dans le confort douillet de la station de départ, un château appartenant à Lord Beaverbrook.
Le soir du 31 décembre 1941, la nuit était tombée depuis longtemps quand nous avons pris place dans le gros Whitley noir, bombardier par destination, mais devenu, pour les besoins de la guerre clandestine, véhicule d’autres aventures toutes chargées de mystères, d’angoisses et d’espérance. Le Whitley prend la piste et, après le bruit assourdissant du « point mort », c’est l’envol vers le sud. Nous nous regardons tous les trois, le sourire un peu forcé. Si pour Raymond Fassin, officier d’aviation, un vol de nuit est une chose banale, pour Jean Moulin et pour moi, il a tout d’une dangereuse aventure et, à travers notre joie de retrouver tout à l’heure la France, il y a la crainte de la chasse et de la DCA ennemies qui nous attendent et qui nous empêcheront peut-être d’arriver au but. Notre « dispatcher », le Wing Commander Benheim, géant paisible et sympathique, nous encourage d’un sourire et lève le pouce en signe de confiance, La nuit est belle, tout éclairée de la pleine lune, et la Manche est bientôt sous nous que nous scrutons de nos yeux de terriens émerveillés par le scintillement des vagues sous la lune, que coupent de temps en temps les longues trainées d’écume d’un convoi de bateaux. Sont-ils des ennemis ? Sont-ils des alliés ? Nous ne le saurons pas, car voici déjà les côtes de France où nous accueillent l’hostile illumination des projecteurs de DCA et les éclats floconneux ou brillants des projectiles que l’habileté du pilote réussit à éviter. Nous voici à nouveau dans le calme de la nuit éclairée seulement par la lune et assourdis du fracas des deux moteurs dans notre carlingue non isolée: nous sommes au-dessus de la France. Il fait très froid : le thé et les sandwiches que nous a préparés notre « dispatcher » sont fort bien accueillis et nous nous étendons dans nos matelas chauffants. En dépit du vacarme et du froid, nous parvenons à somnoler jusqu’au moment où, vers 2 heures du matin, notre « dispatcher » nous invite à nous préparer à sauter.
Assis au bord de la trappe ouverte, nous regardons défiler au-dessous de nous le paysage de Provence que l’avion survole à quelque 400 mètres. Le clair de lune nous permet de distinguer les villages, les routes et les champs que, tout à l’heure, il va nous falloir rejoindre au bout d’un parachute. L’inquiétude nous étreint : nous faudra-t-il retourner en Angleterre, faute d’avoir pu trouver notre « dropping zone » ? La période de lune durera-t-elle alors assez pour qu’à nouveau notre parachutage ne soit pas remis, ainsi que ce fut le cas en novembre ? Car quelle aventure, tragique peut-être, très risquée en tout cas, nous attend en cette fin de nuit ? Bref, notre attente au bord de la trappe nous donne tout le loisir de goûter l’angoissante inquiétude du parachutiste au bord de sa mission.
Mais voici que clignote la lumière rouge de « l’action station » (le garde-à-vous du parachutiste). Nous nous mettons en position de saut : le Whitley décrit une légère courbe, perd un peu d’altitude et la lumière verte du « GO » s’allume, ponctuée par le pouce levé de notre « dispatcher » : Jean Moulin disparaît, Fassin le suit et je saute à mon tour. Mon parachute s’ouvre presque aussitôt et je vois trois autres corolles qui descendent en diagonale, car le vent est assez vit. Au-dessous de moi, un parachute s’affaisse : ce doit être mon poste de radio; un deuxième atterrit un peu plus loin, je ne vois plus le troisième, tout occupé que je suis de mon propre atterrissage. Le mistral me paraît fort qui m’entraîne dans une inquiétante chute en diagonale : suis-je destiné à cette haie de cyprès ? ou bien encore à ce chemin tout blanc sous la lune et qui doit être bien dur ? Non, je frôle un bouquet d’arbres dépouillés et me reçois sur un terrain souple où mon parachute s’affaisse, un pan resté accroché à un arbre. Je défais mon harnachement et me mets à la recherche de mes deux compagnons… et de mon poste. Au bout d’une heure l’inquiétude me gagne, car je n’ai trouvé personne. Le mistral a dû nous disperser et peut-être n’ai-je pas marché dans la bonne direction ? Voici une ombre ? Je siffle l’air convenu, pas de réponse ; je siffle à nouveau sans résultat. L’homme s’agite et semble maugréer. Qui peut bien être là en cette fin de nuit du 1er janvier ? Un chasseur ? Sûrement pas. Un braconnier ? Il se méfierait. À la grâce de Dieu ! J’arme mon colt et je me découvre. Alors, je reconnais Jean Moulin, un Rex transi et furieux d’avoir perdu son arme et les sandwiches qui devaient constituer notre premier viatique. Mais il s’agit de ne pas perdre de temps et nous nous mettons à la recherche de Fassin que nous trouvons, au bout d’un moment, en train de combler le trou où il a enterré mon poste, enveloppé de son parachute. Nous l’aidons dans sa tâche, mais le jour va se lever et nous n’avons que le temps de creuser un autre trou pour y enterrer un de nos parachutes. Nous enroulons les deux autres et les cachons dans un caniveau, au milieu des broussailles.
Ces deux parachutes devaient être retrouvés et j’ai eu connaissance, par le plus grand des hasards, du rapport de gendarmerie qui en faisait état. Ce rapport débutait ainsi : « Il a été trouvé deux équipements complets de parachutistes. Ces équipements sont de provenance anglaise. On n’a pas retrouvé les hommes… »
Les trois hommes, en effet, n’avaient pas attendu. Après une marche épuisante de 20 kilomètres pour atteindre la bergerie de Jean Moulin à Eygalières, nous allions nous trouver dispersés. Fassin, sans coup férir rejoindrait Lyon pour y accomplir sa mission ; pour moi, une suite d’incidents où, par deux reprises, j’ai frisé l’arrestation allait retarder jusqu’à la fin du mois de janvier ma première liaison radio avec Londres. Quant à Jean Moulin, il reprenait aussitôt les contacts interrompus en septembre et mettait en place les premiers jalons de sa mission.
A cette mission, il va s’atteler avec tout son courage et avec toute sa foi. Mais la tâche était immense et difficile, À cette époque, en effet, ainsi que l’a dit Malraux avec son génie des formules « la Résistance n’était encore qu’un désordre de courage ». Le courage, certes, ne manquait pas aux premiers volontaires qui, un peu partout à travers la France, avaient constitué des groupes pour lutter contre l’occupant et ses complices. La plupart de ces groupes, dont les plus étoffés constituaient déjà des mouvements importants, manquaient de cohésion et chacun était plus riche de bonne volonté que de moyens matériels et d’expérience du combat clandestin.
Le premier rôle de Jean Moulin allait être de coordonner cet immense potentiel et d’apporter aux mouvements les moyens matériels qui leur faisaient cruellement défaut.
La tâche d’un coordinateur est toujours difficile, celle de Jean Moulin le fut particulièrement car il dut, bien souvent, s’opposer à des responsables de mouvements, hommes de grande valeur et de grand courage certes, mais qui ne partageaient pas tous les idées du général de Gaulle et de son délégué sur la nécessaire fusion de ces mouvements pour en faire un instrument de combat efficace. Grâce à sa ténacité et aussi à l’autorité qui émanait de lui, Jean Moulin y parvint néanmoins en créant, en janvier 1943, le comité directeur des Mouvements Unis de Résistance (MUR) qui regroupe « Combat », « Libération » et « Franc-tireurs » : en Zone sud, la Résistance formait désormais un tout.
Parallèlement à ce travail d’unification, objet essentiel de sa mission, Jean Moulin met sur pied un certain nombre d’organismes : les services centraux de la Résistance. La fusion des éléments paramilitaires des trois mouvements avait permis, dès l’automne 1942, la création de l’Armée secrète dont le général de Gaulle confia le commandement au général Delestraint qui, arrêté à Paris en juin 1943, devait mourir au camp de Dachau, quelques jours seulement avant la libération.
Parmi les services, je me contenterai d’en citer rapidement trois :
– le Bureau d’Information et de Propagande (le BIP) créé en avril 1942, dont le responsable était Georges Bidault. Véritable agence de presse clandestine, son rôle était :
1. de diffuser les informations et les thèmes de propagande de Londres,
2. de répartir le matériel de propagande des Forces Françaises Libres,
3. de nous transmettre les informations pouvant nous intéresser,
4. de préparer des articles et des documents à publier dans la presse FFL, anglaise, américaine et neutre (télégramme de Jean Moulin à Londres, le 28 avril 1942) ;
– le Comité Général d’Études (CGE) constitué au printemps 1942, avec le concours d’hommes tels que François de Menthon, le bâtonnier Charpentier, P. H. Teitgen, Alexandre Parodi, Paul Bastid, etc., avait pour tâche d’étudier des projets concernant le futur régime politique, économique, social du pays et de servir de conseil au gouvernement provisoire au moment de la libération ;
– le Service des Opérations Aériennes et Maritimes (SOAM) dirigé par Fassin, assisté de Paul Schmitt et du signataire de ces lignes, était placé aussi sous le contrôle direct de Jean Moulin. Chacun de nous constitua une équipe avec agents de liaison, secrétariat et radio. Notre mission consistait, dans notre secteur, à rechercher des terrains, à recruter des équipes de réception et à organiser des opérations aériennes dont nous étions responsables de la bonne réalisation technique devant le BCRA et l’aviation britannique.
C’est par une opération de ce genre que Jean Moulin retourne à Londres dans la nuit du 13 février 1943. Il y rend compte de sa mission. Le général de Gaulle le fait Compagnon de la Libération sous le nom de « caporal Mercier ». Le 21 mars suivant, il revient en France par une opération d’atterrissage. Il a rang de ministre, mais pour nous, ses compagnons du début, il reste Max, le patron, l’ami et le confident.
Pèlerin de l’unité, il reprend la lutte avec le même courage et la même foi. Sa mission, cette fois, s’étend à la France entière puisqu’elle consiste (je cite) : « À constituer et à présider un Conseil national de la Résistance assurant la représentation des groupements de la résistance, des formations politiques résistantes et des syndicats ouvriers résistants contre les Allemands, contre Vichy, avec de Gaulle dans le combat qu’il mène pour libérer le territoire et donner la parole au peuple français ».
Durant deux mois encore, il va travailler de toutes ses forces et de toute son intelligence pour que tous les résistants, à quelque idéologie qu’ils appartiennent, soient réellement unis dans le combat commun.
Le 27 mai 1943, le Conseil national de la Résistance tient sa première réunion à Paris, rue du Four. Désormais, la Résistance est devenue, sur l’ensemble du territoire, une armée prête au combat, et la préfiguration du gouvernement de la France qui, à l’heure de la Libération, n’aura plus qu’à sortir de la clandestinité pour exercer son autorité.
Mais de cette libération, Jean Moulin ne devait pas connaître les heures exaltantes, car si, dans l’ombre, la Résistance avait pris forme, la Gestapo, de son côté, se faisait plus vigilante.
Et le 21 juin, Jean Moulin est arrêté à Caluire, dans la banlieue de Lyon, par Klaus Barbie, l’un des sbires les plus impitoyables et les plus cruels de la Gestapo. À partir de ce jour-là, le courage chez cet homme cède la place à l’héroïsme. Affreusement torturé par un ennemi sans honneur, le visage écrasé, les organes éclatés, Max a tout subi sans dévoiler un seul de ses secrets, lui qui les savait tous. Et, quelques jours après, il est mort après avoir atteint les limites de la souffrance humaine.
Grâce à son silence héroïque, la Résistance va pouvoir continuer.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 242, 1er trimestre 1983.