Le témoignage de la nièce du Général
par Geneviève de Gaulle-Anthonioz
Dans ce document, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, nièce du Général, témoigne des conditions dans lesquelles elle a vécu la débâcle et entendu parler de l’appel du 18 juin.
À cette époque, la mère du Général, Jeanne de Gaulle, se trouvait auprès de mon père, le frère aîné du Général, Xavier, à Paimpont, près du camp de Coëtquidan où mon père était mobilisé. Les officiers et les soldats qui s’y trouvaient étaient des hommes âgés, de la réserve. Ils avaient reçu l’ordre de quitter le camp et de rejoindre le Finistère […].
Le 17 juin le convoi s’est mis en route ; il comprenait quelques centaines d’hommes et les officiers avec leur famille. Nous avons passé la nuit du 17 au 18 à Locminé dans le Morbihan dans des abris de fortune, comme tant de réfugiés de l’époque […]. Le 18 juin, des ordres contradictoires sont arrivés et sur la place principale de Locminé les hommes se sont rassemblés, quelques officiers autour d’eux. C’est alors que nous avons vu passer les premiers détachements allemands, c’étaient des motocyclistes habillés de noir, avec des casques de cuir noir et leurs grosses motos qui vrombissaient semblaient chanter un cri de victoire. Ils ont traversé ce gros village sans même un regard pour ces officiers qui avaient tous fait la guerre de 14-18 et n’avaient que leur revolver d’ordonnance, personne n’était armé, et ils ont continué au-delà.
Ceux qui ont à peu près mon âge ont connu l’humiliation de voir l’ennemi pénétrer comme cela sans que personne ne tente de l’arrêter, cet ennemi méprisant, cet ennemi qui nous écrasait. A ce moment-là nous avons vu arriver du fond de la place un prêtre en soutane, qui se dirigeait vers le groupe d’officiers pour leur faire part de ce qu’il venait d’entendre. Il avait écouté la radio de Londres et avait entendu l’appel du 18 juin. A sa manière il essayait de nous le redire, il ne fallait pas désespérer, mais continuer le combat. Un jeune général qui avait été secrétaire d’État à la Défense Nationale appelait tous ceux qui voulaient le rejoindre pour relever l’épée de la France. Nous écoutions, bouleversés, et ma grand-mère, petite dame en noir, un peu courbée, à laquelle personne ne faisait attention, tira le prêtre par la manche et dit : « c’est mon fils, Monsieur le Curé, mais c’est mon fils ! » Dans cette humiliation si profonde il y avait déjà la lumière de l’espérance, et déjà le sursaut de la fierté. […] Le 18 juin 1940, c’est le mélange d’un abîme d’humiliation, un abîme de chagrin, presque de désespoir, et en même temps cet appel qui donnait déjà des raisons d’espérer et qui permettait de relever la tête.
Extrait de : Geneviève de Gaulle-Anthonioz, « Quelques souvenirs à propos du 18 juin 1940 », Espoir, n° 73, 1990, p. 49-51.