Témoignage de l’armée allemande
Avec Rommel pendant son avance victorieuse
– Par le correspondant de guerre allemand Lutz Koch –
Extrait du journal allemand « Berliner Illustrierte Zeitung »
Bir-Hakim est devenu, depuis l’avance des Anglais, en novembre 1941, le bastion Sud de la ligne de résistance qui part de Tobrouk. Ce n’est plus comme dans le temps, un petit point fortifié que l’on pouvait prendre par un coup de main, par une nuit sombre, mais c’est maintenant une grande place fortifiée s’étendant sur une vaste circonférence autour de la hauteur dominante, avec son vieux rempart et son puits qui ne donne plus une goutte d’eau, et autour de laquelle s’étirent sur des kilomètres à la ronde des barbelés, des champs de mines, des tranchées et de petites positions fortifiées.
Bir-Hakim est devenu une des plus fortes positions que l’Afrique du Nord ait jamais vue ; elle est comme un pieu enfoncé profondément dans la chair du front allemand. Il faut à tout prix la détruire.
Comme un éclair, Rommel se tourne vers le Sud avec les éléments d’une D.L., des groupes de reconnaissance et la division italienne « Ariete » et encercle complètement Bir-Hakim. Comme de toute façon des renforts nous arriveront par la suite et qu’à ce moment-là les troupes encerclées devront se rendre, Rommel envoie aux « Gaullistes », qui défendent Bir-Hakim, auxquels s’est ajouté un sauvage mélange de peuples se composant d’Indous, de quelques Anglais et de quelques Sud-Africains, un parlementaire et leur propose de se rendre pour éviter de verser inutilement du sang. Le général, qui croit en ses alliés anglais et confiant dans la valeur de ses hommes, refuse ; il veut combattre et espère qu’avec les Anglais il pourra en peu de jours, briser le cercle allemand. Des messages radios le renforcent dans ce sentiment comme nous avons pu le voir plus tard dans les journaux de marche et dans les dires des prisonniers, car dans leurs promesses les Anglais sont très larges surtout quand ils sont eux-mêmes hors de portée.
Devant la ceinture de mines de Bir-Hakim
C’est ainsi que commence l’attaque dans le Sud, mais bientôt il se montre, malgré nos succès du début, que les positions de défense sont établies en profondeur et occupées par un adversaire qui se défend farouchement. Sous les ordres du général Kleemann, chevalier de la croix de fer, venant de l’Est, les pionniers réussissent après un travail sans prix, à ouvrir une brèche dans la première ceinture de mines. La vigueur avec laquelle toutes les armes de la défense sont concentrées sur cette brèche est si forte que l’attaque est repoussée. De nouveau, on essaie un jour plus tard au Sud et de nouveau on approche assez près des lignes intérieures mais la grêle de projectiles devient si forte que ce serait de la folie de continuer un seul pas en avant dans cette contrée qui n’offre aucun abri naturel.
D’autre part, presque toutes les heures viennent des avions ennemis provenant des aérodromes situés non loin de là : El-Adem, Gambut, qui laissent tomber leur charge de bombes sur nos véhicules, notre artillerie, nos E.M., pour continuer leurs attaques en piqué, mitraillant et canonnant nos postes avancés. Un abri est ces jours-là une possession très précieuse.
Mais c’est bien plus terrible pour les défenseurs de Bir-Hakim qui, jusqu’au matin du 8 juin, où commence le deuxième acte de l’attaque sur la forteresse du désert, ont subi 23 attaques de Stuka. Sans quartier tombent dans les positions intérieures les plus lourdes bombes allemandes : des Stuka italiens viennent eux aussi toujours et toujours au-dessus de la forteresse répandre la mort.
« Je n’aimerais pas être dans cet enfer », me dit un camarade qui se trouve à côté de moi dans l’abri, tandis que nous voyons à la jumelle toujours de nouvelles colonnes de fumée qui forment une ceinture de flammes autour du point central de la position. Les petits abris profonds d’un ou de deux mètres des troupes occupantes, sont, malgré tout cet ouragan de bombes à peine touchés ; ils sont éparpillés et seulement un coup au but peut occasionner des dégâts. Mais les Stuka nettoient tous les jours de plus en plus les cœurs, surtout chez les nombreux Noirs qui, même à l’approche de chasseurs anglais, se jettent avec des figures décomposées dans leurs trous en criant : « Stuka ! ».
Pendant que venant du Sud, les pionniers et les fantassins de la D.L. essaient de se faire un chemin à travers les mines et tiennent les positions ainsi prises malgré le feu meurtrier des tirs ennemis, les chars anglais essaient une seule fois une attaque de diversion dans le Sud-Est. Au bout d’une demi-heure, le fantôme a passé et seuls quelques obus perdus, venant du lointain champ de bataille, restent le souvenir d’un faible essai pour aider le tas d’aveugles et d’aventuriers qui se battent avec la dernière énergie, pour se libérer.
Échappé de l’enfer
Le 8 juin, le colonel-général Rommel se résout à l’attaque par le Nord. – « Il me faut Bir-Hakim. Le sort de mon armée dépend de cette position ». Ce sont là les paroles que Rommel crie avec un énervement toujours plus grand à ses commandants d’unités. À côté de lui, dans sa V.L. ou dans la coupole de son char, se trouve le chef d’état-major de l’Afrika-Korps (depuis que son chef d’état-major général, le général G., a été tué par un obus).
Des pionniers, des éléments du groupe de combat M…, la compagnie K…, la compagnie T.H…, le groupe de combat du colonel-général sous le commandement du capitaine K…, cinq chars d’un régiment de chars brandebourgeois qui s’est toujours distingué et la D.C.A. lourde, sont prêts à essayer de percer par le Nord.
Pendant que tombent les premières bombes de Stuka et que commence l’avance vers les lignes ennemies, apparaît tout à coup un sous-officier allemand en chaussettes devant le commandant en chef. Il fait un rapport avec un visage tremblant d’énervement.
– « D’où venez-vous ? demande Rommel.
– « De Bir-Hakim. J’étais là-bas depuis le 27 mai et j’ai pris la fuite cette nuit.
Et ensuite le sous-officier raconte comment déjà, dès le deuxième jour de l’avance, il a été fait prisonnier par une A.M. anglaise qui l’amena avec deux de ses camarades à Bir-Hakim, chez les « Gaullistes ». Là il se trouva en fin de compte emprisonné isolément car il s’était révolté contre les propos injurieux des Gaullistes et assista à toutes les attaques de Stuka au milieu des positions des batteries, couché dans un petit trou.
« C’était l’enfer. La terre tremblait sous les coups répétés des lourdes bombes, les nègres couraient en hurlant. Pour toute nourriture, il n’y avait que quelques biscuits secs qui étaient presque immangeables, sans eau et plus d’un jour il n’y avait pas d’eau ou alors on me donnait une demi-tasse de soupe infecte ».
– Comment vous êtes-vous, en fin de compte, échappé ?
– Au milieu de la nuit, j’ai assommé une sentinelle qui s’était endormie, avec un support de guitoune, elle s’écroula sans un cri. D’un bond je fus hors du trou et disparus dans les ténèbres. Déjà on tirait derrière moi et le cri : « prisonnier est parti » retentissait à travers la nuit. Je courus vers le champ de mines, je comptais sauter à tout instant, mais je voulais en sortir. Derrière un mouvement de terrain je m’arrêtai pour respirer après cette course folle, je me glissai à travers les postes et passai ainsi près de deux sentinelles endormies près du champ de mines ; on tira de nouveau sur moi et enfin j’arrivai avec des pieds en sang près des chars allemands.
La question suivante de Rommel a trait aux fortifications. Sur la carte, le sous-officier indique à peu près le chemin qu’il a pris. Il rapporte aussi l’existence de nombreux canons, des positions de batteries et des abris souterrains.
« Il sera très difficile de percer dans ce mic-mac de positions qui sont renforcées par des armes lourdes », ajoute le sous-officier.
– « Il le faut », dit Rommel, qui donne de nouveau des ordres pour l’attaque.
Les drapeaux de la victoire sur la forteresse du désert
Le 8 juin, premier jour de l’attaque sur Bir-Hakim par le Nord, devient un jour d’honneur pour les pionniers. Sous le commandement du colonel Hacker, chevalier de la croix de fer, commandant les pionniers de l’armée blindée, qui, avec son état-major reste en voiture blindée et même souvent à pied près de ses pionniers, pendant que Rommel assiste lui-même dans les premières lignes au développement de l’attaque tout en montrant l’exemple, les pionniers ouvrent une route en plein jour dans le champ de mines. Sous les yeux de l’adversaire, qui avec toutes ses armes défend ses champs de mines, qui envoie ses avions pour asperger les pionniers allemands d’une grêle meurtrière, ils réussissent cette chose presque impossible.
Les chars, les blindés, avec leur feu le plus violent, les mitrailleuses, la D.C.A., qui prennent position sous les salves de l’artillerie ennemie, les protègent. Les pionniers avancent mètre par mètre. Le colonel Hacker saute avec sa voiture sur une mine, il est légèrement blessé ainsi que quatre officiers de son état-major. Mais il reste quand même parmi ses pionniers qui avancent péniblement et peut ainsi rendre compte lui-même au commandant en chef, de l’exécution de la percée du champ de mines. Maintenant l’assaut de l’infanterie réussit. Rommel, lui-même, entre dans le passage du champ de mines qui est si étroit qu’un véhicule y a de la peine à manœuvrer. Il emmène ses batteries derrière lui et roule le long de la brèche sans se soucier de sa personne en criant : « Vorwaerts » pour les soldats allemands et : « Avanti, Avanti » pour les soldats italiens, afin que cet assaut ne soit pas vain. Lentement, le mince voile de fantassins et de pionniers continue son avance héroïque vers les nids ennemis.
Toutefois, les combats sont durs et il arrive l’heure où Rommel pense à changer son plan ; laisser Bir-Hakim sous la surveillance de forces minimes et se diriger vers le Nord pour percer entre Gazala et Tobrouk. Le colonel Hacker, commandant le G.C. lui rend compte de sa position et ajoute qu’il croit qu’avec un bataillon d’infanterie de plus, il arriverait à percer.
Après un moment de réflexion, Rommel donne l’ordre et lorsque se lève le 10 juin, apparaît le commandant d’un régiment de fusiliers avec ce bataillon tant attendu composé d’hommes énergiques pour qui l’impossible est possible.
Pendant les journées du 9 et 10 juin, la Luftwaffe, elle aussi, fait des miracles. Toujours et toujours, de nouvelles attaques de Stuka se concentrent sur Bir-Hakim et lors du soir du 10 juin, alors que les fantassins occupent déjà les premiers nids ennemis, plus d’une centaine de bombardiers en piqué allemands et italiens laissent tomber leur charge sur Bir-Hakim ; la terre en tremble à des kilomètres à la ronde. Bir-Hakim est devenu lentement mûr pour l’assaut final. Lorsqu’apparaît le matin du 11 juin 1942 et que les premières lignes d’assaut se lèvent chez nous on n’entend plus aucun coup de fusil de l’autre côté. Des Stuka qui apparaissent au-dessus de nous tournent au-dessus de la position et repartent sans laisser tomber leur charge.
L’ennemi a abandonné le jeu ; ce qui n’a pas pu être tué ou capturé pendant une tentative de décrochage de nuit vers le Sud se rend maintenant sans combattre davantage : Bir-Hakim est enfin à nous. Dans les murs de la vieille forteresse déchiquetée par de nombreux obus, sont assis des centaines de nègres : « De l’eau, de l’eau », voilà le cri répété cent fois qui s’élance vers nous.
Bir-Hakim, le bastion le plus fort au Sud du front de Tobrouk est brisé.
Lorsque nous nous trouvons dans la cour du fort non loin du puits desséché qui ne put apporter aucune aide aux défenseurs, et encore tout imprégnés du sentiment de notre victoire, nous nous doutons maintenant que le grand moment est arrivé. Maintenant la moisson peut commencer; maintenant les drapeaux de la victoire sont avec nous ; maintenant vient lentement la paralysie sur Ritchie et sur le front adverse qui a été bâti sur Bir-Hakim.
Extrait de la Revue de la France Libre, n°19, juin 1949.