Les sous-marins des F.N.F.L. dans la guerre
Dans l’été 1940, alors que, seul le Rubis, qui ne s’était jamais arrêté continuait à opérer aux côtés des marins anglais, l’arsenal de Plymouth remettait en état trois de nos sous-marins.
Le Surcouf, gigantesque et unique au monde, n’avait besoin que de peu de réparations. Pourtant l’armement d’une telle unité était délicat car il ne suffisait pas que le matériel fonctionnât, mais il fallait entraîner un équipage hétérogène ou même d’anciens sous-mariniers devaient se mettre au courant d’un matériel nouveau par son ampleur. Plus loin, dans d’autres bassins étaient accostés à couple, deux sous-marins de 600 tonnes, la Minerve et la Junon.
Les deux bateaux, lors de l’armistice, étaient à Cherbourg en réparations. Malgré la précipitation du départ leurs équipages avaient pu embarquer un certain nombre de pièces mais l’un des bateaux avait dû être remorqué ; au total, ni l’un ni l’autre ne pouvait appareiller en opérations. Fort heureusement, les deux bateaux étaient pareils, et en pratiquant le pillage de l’un, on pouvait à peu près rééquiper l’autre.
Il fallut pourtant faire confectionner maintes pièces : travail difficile car les ateliers anglais n’en possédaient pas les modèles ; travail également compliqué, car il se faisait sous le bombardement de l’aviation ennemie.
Malgré cela, la Minerve, sur laquelle s’étaient concentrés les efforts, quittait Davenport en novembre 1940. Elle rallia tout d’abord la base d’entraînement de Hollyloch, sur la côte ouest de l’Écosse. Quelques semaines d’exercices et d’entraînement dans les brumes de cette côte devaient la préparer à faire la guerre. De la Clyde elle repartait fin décembre pour rejoindre sa nouvelle base : « Dandy ».
La IXe flottille de sous-marins britanniques y resta toute la guerre. Bien que son commandement soit assuré par des officiers anglais, il y eut ceci de curieux qu’elle réunit presque en permanence, des bâtiments n’appartenant pas à la Royal Navy et qu’en fait c’était pour les Anglais la flottille étrangère : Français, Hollandais, Polonais, Norvégiens y furent constamment réunis. Les sous-marins partaient de là pour patrouiller sur les côtes de Norvège et du Danemark. Aussi, en janvier 1941, les Français libres pouvaient aligner deux sous-marins, le Rubis et la Minerve.
La première patrouille d’un nouvel arrivant était toujours périlleuse ; elle servait plutôt à parfaire l’entraînement qu’à entraver véritablement le trafic ennemi. Aussi dans son premier voyage qui dura une quinzaine de jours, la Minerve ne fit que longer de très loin la côte norvégienne dans une zone calme, le plus grand ennemi était le mauvais temps, les mauvais coups de vent du suroît.
Après être revenue une première fois bredouille elle repartit au mois d’avril et fut alors le premier des sous-marins F.N.F.L. à torpiller un bâtiment ennemi.
Le 19 avril 1941, le sous-marin Minerve patrouille à quelques 500 milles de la côte de Norvège.
Il avance lentement en plongée suivant la terre devant la pointe de Gaederens, au Sud du Stavanger. Le temps est couvert, assez beau pourtant et calme. Un faible vent de Sud-Est agite suffisamment la surface pour que le sillage du périscope soit peu visible. Il y a plusieurs heures déjà que les officiers de quart se succèdent au périscope tandis que le bâtiment fait route alternativement au Nord, puis au Sud.
Le secteur quoique calme pour le moment est néanmoins prometteur. La vue y est dégagée et l’on pourrait apercevoir de très loin le but que tous attendent à bord. Plusieurs bâtiments ennemis sont signalés et la veille déjà le commandant en aperçut deux sans pouvoir les attaquer. À 11 heures et demie l’officier de quart regardant une fois de plus au périscope aperçoit un avion dans le Nord. Ce n’est alors qu’un point. Il ne se rapproche pas rapidement et semble tourner. Le commandant se précipite à son tour au périscope et prend la veille. Bientôt on peut distinguer deux mâts qui se dressent sur l’horizon, puis après, d’autres encore : la Minerve allait attaquer son premier convoi.
Venant en route au Nord, la Minerve se dirigeait vers lui. On le distingue bientôt plus nettement : un gros pétrolier jaugeant à peu près 10.000 tonnes, un torpilleur et deux chalutiers l’escortant.
– « Postes de combat : tubes I, II, III, IV, attention ! »
Maintenant la Minerve se rapproche de la route du but avançant vers l’Est, prête à lancer.
On distingue à la corne du pétrolier le pavillon de commerce allemand, à 4.000 mètres environ.
En route au 60, le but marche à 8 noeuds, tandis que son escorte zigzaguant du côté du large et que l’avion continuait ses larges cercles au-dessus de l’eau. Tous à bord sont émus, car aucun n’a déjà expérimenté cet instant de l’attaque. Le commandant est seul à voir, c’est de lui que dépend le succès.
– « Hissez le périscope, tubes attention. Intervalles de lancements de cinq secondes ».
Le but se rapproche de l’angle de visée.
L’officier torpilleur a mis ses mains sur le bouton de mise de feu du tube I. L’officier de manoeuvre suivant du regard la circulaire du périscope sur laquelle défile la ligne de foi, annonce les gisements : 340, 345, 347, 348.
Pour la première fois le commandant s’écrie : «Tube I, Feu… » De 5 secondes en 5 secondes les torpilles s’échappent de leur tube.
Chaque recul fait cabrer le sous-marin. L’attaque est finie, quelle qu’en soit l’issue. C’est maintenant le dérobement.
– « 20 mètres », ordonne le commandant.
Le sous-marin, resté à la même route, fonce ce vers le pétrolier, pour s’éloigner de l’endroit où l’on va le rechercher. Il est encore à 12 mètres d’immersion, et l’aiguille du manomètre hésite : 11,50 mètres, 12 mètres, 11 mètres, puis, brutale ment, le sous-marin est aspiré et se retrouve à 5 mètres malgré l’eau que l’on ajoute aux caisses pour l’alourdir et il est irrémédiablement attiré à la surface. On sent la houle et voilà le bruit des vagues se brisant sur le kiosque qui émerge.
La Minerve se balance maladroitement à la surface sans pouvoir replonger.
Les torpilles lancées s’approchent du pétrolier, tandis que l’escorte ennemie se précipite sur le sous-marin.
– « Moteurs avant 6 », crie le commandant, ajoutez deux tours, tous les hommes disponibles à l’avant ».
Et chacun de courir vers l’étrave pour le faire basculer vers les profondeurs : contraste entre le calme de la houle et la précipitation de tous à bord. Dominant le bruit de la mer et ceux des moteurs, on entend le crépitement des mitrailleuses sur les superstructures. L’avion ennemi pique sur le sous-marin. Dans l’appareil d’écoute le quartier-maître radio entend les bruits d’hélice du chalutier ennemi et du torpilleur qui se rapprochent : la Minerve va être abordée sans doute…
Soudain l’aiguille du manomètre d’immersion se précipite : 10 mètres, 15 mètres, 18 mètres. Le sous-marin pique, incliné à 30 ° par le fond. L’arrière fend encore la surface dans le remous des hélices quand éclate une série d’explosions ; torpilles, grenades, leurs bruits se confondent. Toutes les tôles vibrent à craquer, tandis que, en quelques secondes, le bateau s’est enfoncé à plus de 30 mètres. Il faut essayer de l’arrêter en cette chute incontrôlable : 45 mètres. Une violente secousse, le bateau se redresse, rebondit, puis bientôt s’immobilise sur le fond. On entend toujours le brouhaha confus des hélices des bateaux ennemis, ponctué d’explosions de plus en plus violentes. Pourtant il n’y a plus rien à faire, la Minerve est ancrée dans la vase, alourdie de quelques cinq tonnes ajoutées hâtivement. C’est une cible immobile sur laquelle vont s’acharner les trois bateaux allemands. Les hommes désoeuvrés surveillent leurs appareils et la coque qui frémissent à chaque grenade. On entrevoit peu d’espoir d’échapper. La seule chance de salut est dans l’attente, dans le calme, malgré les grenades qui, par dizaines, explosent autour du sous-marin. Combien d’heures cela durera-t-il ? On ne le sait. Il est midi trente, peut-être faudra-t-il attendre jusqu’à la nuit pour tenter de décoller du fond ? L’oxygène est précieux, l’immobilité indispensable.
– « Rompre les postes de combat. Que personne ne bouge ».
Les hommes s’asseyent ou se couchent sur leur poste. Seul l’écouteur reste à son appareil.
Alternance de silences et d’explosions, les lampes une à une se brisent, plongeant le bateau dans la pénombre ; les tôles sont tour à tour comprimées ou dilatées, puis vient une accalmie.
Soudain, au poste avant, un homme se dresse : on croirait entendre marcher sur le pont au-dessus. Un bruit de canne dont on pourrait marquer avec le doigt où elle se pose. Le bruit sec se dirige vers l’arrière, frappant à intervalles réguliers et les hommes le suivent regardant au-dessus d’eux. Puis, il dépasse le bateau, on n’entend plus rien et, soudain les explosions reprennent. Pendant plusieurs heures cette manoeuvre se répète.
À ce bruit curieux chacun trouve une explication. On sut après que c’était le bruit que faisait le sondeur d’un chalutier qui recherchait le sous-marin sur le fond.
L’équipage de la Minerve attend ainsi tout un après-midi, une voie d’eau s’étant déclarée dans les poulaines et une eau boueuse montait à plus de 20 centimètres dans le compartiment des logements faisant une énorme mare ; on ne pouvait encore dénombrer les avaries.
C’est seulement vers 22 heures que les chasseurs ennemis s’étant éloignés enfin à court de grenades, la Minerve quittait le fond.
Les hommes heureux, après cette longue attente, de retrouver une activité, s’affairaient à remettre de l’eau dans les cales tandis que le sous-marin s’éloignait vers l’Ouest.
Bientôt, dans une nuit d’encre, la « Minerve » faisait surface pour reprendre la route de l’Écosse.
Les explosions l’avaient endommagée : deux ballasts crevés la faisaient pencher sur tribord et surtout l’on découvrit à son retour au port que sa coque comprimée avait diminué de plus de 2 centimètres.
Le pétrolier, lui, restait sur le fond, éventré, tandis que le sous-marin allait pouvoir coudre sur son Jolly Roger (1) la première bande blanche.
Bientôt la Minerve reprenait la mer pour faire sa quatrième patrouille.
(1) Pavillon de pirate à tête de mort que hissaient les sous-marins à leur retour de mer et sur lequel des bandes cousues indiquaient chaque bâtiment coulé.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 20, juillet-août 1949