Le service de santé dans les sables de Libye à Bir-Hakeim
Il a été peu écrit sur le Service de santé pendant les opérations de Libye et en particulier au moment du siège de Bir-Hakeim. Et pourtant c’est certainement pendant cette campagne et, en particulier lors de l’encerclement, que dans les dures conditions alors vécues par tous… l’organisation médico-chirurgicale et les liaisons GSB (et quelques éléments ACL et Spears) avec les postes de secours de bataillon étaient les plus performantes.
Tout cela n’a été possible que par un travail en commun, sous l’égide du médecin colonel Vialard-Goudou, et une préparation qui durait depuis notre arrivée dans le « Western desert » en janvier 1942. Auprès de toutes les unités, le Service de santé a toujours accompagné les combattants au plus près du front… les postes de secours évidemment, mais aussi les unités comme ACL (Ambulance chirurgicale légère), le GSD (Groupe sanitaire divisionnaire) et l’ambulance Spears. Après la course dans le désert, depuis la passe d’Halfaya jusqu’à El Mechili, avec les Polonais quelques jours… jusqu’à ce que le front se rétablisse de Gazala à Bir-Hakeim… et c’est alors dans ce verrou sud des lignes alliées que la 1re Brigade Française Libre s’installe le 16 février 1942… le Service de santé comme les unités combattantes.
Tout le monde se prépare à y subir un choc… et l’on voit nos braves infirmiers se déguiser en terrassiers… creusant, creusant aussi bien des trous individuels que de vastes enceintes pour les postes de secours… ce qui n’était peut-être pas très heureux… nous le verrons.
Pendant cette période de calme relatif sur la position… des colonnes volantes (appelées « Jock Colonnes ») sillonnaient le « No man’s land », repérant l’ennemi, l’attaquant s’il le fallait et bien entendu le Service de santé y était toujours présent ! Les médecins d’unités se relayaient les uns après les autres. Au cours de ces colonnes le code « omoplate » était utilisé pour les liaisons entre les unités et la position… ce qui a donné, nous rappelle l’aspirant Roger Nordmann : « Envoyez le petit Mayolle avec sa trottinette »… c’est-à-dire : « Envoyez une ambulance d’urgence pour évacuer un blessé grave. »
Il faut souligner aussi les forts vents de sable… si denses parfois, que les mauvaises langues prétendaient qu’on retrouvait ensuite du sable dans les boîtes de conserve scellées, pas toujours évident à supporter… énervant même la majorité.
Et puis ce fut l’attaque italo-allemande menée par Rommel… que le BM.2 en Jock Colonne a annoncé à l’état-major ce qui a fait dire au commandant Amiel « Le BM.2 ouvre le bal »…
Quels étaient donc, à ce moment-là, les éléments du Service de santé sur la position :
Le GSD, avec le médecin-chef de la brigade Vialard-Goudon, Vignes, Guillon, Bapst.
L’ambulance Spears, qui avait été présente sur la position du 16 février au 24 mai y avait laissé Thibaux et aussi sa « cathédrale »… un grand camion chirurgical qui se déployait, ainsi que le gros camion de réserve pharmaceutique et son pharmacien Pierre Mergier.
L’ACL n’a pu relever Spears qu’avec une petite équipe chirurgicale du médecin commandant Durbach, le dentiste Bernard et le médecin aspirant Arave… arrivés par un des derniers convois avant l’encerclement complet.
Dans les unités, les postes de secours étaient tenus :
– à la Légion : par Genet, Bernasse et Lepoivre ;
– au BM.2 : par Guenon et Mayolle ;
– au BIMP par Escalle et Gillet ;
– au 1er RA par Duval.
Toute cette équipe… anciens comme jeunes étudiants, s’entendait fort bien… les liaisons, les interventions et les évacuations en furent facilitées.
Les interventions chirurgicales se firent dans le camion salle d’opération à une cadence de plus en plus effrénée jusqu’à sa destruction le 8 juin. Une évacuation des premiers blessés opérés fut possible grâce au convoi qui traversa les lignes aller et retour en « se jouant » de l’ennemi.
Les « postes de secours » de bataillon, où parvenaient d’abord les blessés ne furent pas plus à l’abri que le « camion salle d’op. »
Bombardement d’artillerie et aériens se succèdent à un rythme qui s’aggrave… transformant cependant peu à peu ma « trouille » du début en habitude et fatalisme. Ainsi le 1er juin, le poste de secours du BM.2 fut bombardé, l’ambulance déchiquetée, et un travailleur blessé, en soins à l’infirmerie, tué par ce bombing éclair… Trois autres tirailleurs y furent aussi blessés. L’aumônier dans une tranchée voisine fut enterré… heureusement sorti d’affaires. L’obstination de Guenon permit de refaire un peu l’infirmerie.
Quelques jours après, c’est l’infirmerie de Gillet (BIMP) qui, elle aussi, est bombardée… avec des blessés. Durant toutes les opérations : brancardiers, infirmiers et médecins récupèrent les blessés et traitent les moins graves, évacuant jusqu’au 8 juin au GSD les plus gravement atteints.
Pendant les accalmies, les médecins passent souvent du PC de compagnie en PC de compagnie, soit pour des consultations souhaitées, soit pour remonter réciproquement le moral. C’est ainsi que dans la nuit au 7 au 8 juin, avant les grosses attaques sur la 6e compagnie du BM.2, je passais une importante partie de la nuit au PC de Tramon… évoquant le passé, refaisant le monde avec Fryonnet et Dargent, qui, quelques heures plus tard, étaient tués, victimes de leur dévouement dans des liaisons terriblement dangereuses.
Tout au long du siège, le médecin capitaine Guérion, cigarette aux lèvres, regonflait le moral de tout le monde avec un tonus extraordinaire. En sont témoins : Moga, Tramon et le capitaine Bayrou, blessé aux deux jambes par une rafale de mitrailleuse, qui peut encore être évacué sur le GSD.
Et puis quand les installations chirurgicales divisionnaires furent détruites, il fut demandé aux médecins d’unités d’intervenir comme ils pouvaient sur les blessés.
C’est ainsi que le 9 juin arrive aux postes de secours le sous-lieutenant Koudoukou du BM.2, avec un très gros fracas d’un membre inférieur. Que faire avec du matériel de fortune et l’emplacement du poste inutilisable ? Il restait cependant un trou individuel en état de nous recevoir.
Aidé par un adjudant-chef africain et l’infirmier Koyo, la jambe tenue par notre aumônier le père Michel… l’amputation est pratiquée, sans anesthésie – Koudoukou a un courage qui provoque l’admiration… seul le père Michel, encombré par cette jambe déchiquetée, n’a pu tenir le choc.
Au BIMP… c’était la même situation poste détruit, le docteur Gillet dut aussi, dans un trou individuel, pratiquer une amputation de jambe… mais il a trouvé avec le peu d’instruments dont il disposait, que la peau humaine est bien difficile à couper.
Le 10 juin, nous apprenons qu’il n’est plus utile, pour la conduite des opérations, de rester à Bir-Hakeim.
Les grands blessés sont alors évacués vers les quelques ambulances et camions rescapés du GSD… à charge pour les unités de s’occuper des blessés moins graves.
Et c’est alors l’organisation de la sortie où le BM.2 joue encore un rôle… celui d’arrière-garde… pour tromper l’ennemi ce qui a fait dire au commandant Amiel « le BM.2 ferme le bal… après l’avoir ouvert ».
Dans la seule ambulance qui reste au BM.2, s’entassent un blessé du pied, trois blessés plus légers, un infirmier, deux brancardiers, l’aumônier, Mayolle et le chauffeur Koyo.
L’ambulance ne pouvait pas ne pas repérer le passage de sortie. Elle se dirige vers le centre d’un magnifique feu d’artifice… les véhicules sautent, brûlent… au milieu d’une scène dantesque.
Hélas… comme tant d’autres véhicules… un obus de la Flak arrête le nôtre un peu plus loin.
Tant bien que mal, les blessés et les autres sortent… et rampant puis courant… nous prenons la direction de l’azimut 213.
Dans la nuit et le brouillard (heureux brouillard) : des bruits, stop… approche prudente… on parle allemand… puis plus une ombre de char on se détourne et on repart. Le blessé au pied, grand gaillard de tirailleur suit lui aussi… aidé par l’un ou l’autre. Et puis, à nouveau, un emplacement ennemi.
Enfin dans la brume, les tirs se font plus rares… des bruits de moteurs… ils se dirigent vers nous, que faire ? Nous sommes bons pour être tués… ou prisonniers comme beaucoup, au cours de cette nuit.
Un moteur, un camion, puis deux trois, quatre, s’approchent, oh joie… ce sont des Anglais qui patrouillent près des lignes allemandes pour récupérer les rescapés.
Les blessés peuvent enfin se reposer… ou grimper, on boit, on respire. Certains autres, même blessés, nous rejoindront quelques heures ou journées plus tard.
Mission accomplie.
Les grands blessés se retrouvent à Spears ou dans des hôpitaux d’Alexandrie, de Syrie et du Liban… et c’est quelques semaines plus tard que le général de Gaulle viendra les féliciter à Sofar dans la maison de repos de Mme la générale Catroux.
Là encore le Service de santé a fait son travail.
Docteur Pierre Mayolle
Aidé des Souvenirs de Jean-Michel Gillet et Pierre Merzier
Aidé des Souvenirs de Jean-Michel Gillet et Pierre Merzier
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 278, 2e trimestre 1992.