Retrouvailles par la B.B.C.
Voici une histoire typiquement F.F.L. de deux amis qui se retrouvent à Londres tout à fait par hasard, ce n’est pas un cas unique bien sûr, et pourtant dans cette rencontre de nos camarades Durrbach et Bristol il ya un concours de circonstances assez extraordinaire qui vaut la peine d’être conté. J’ai profité d’une réunion d’anciens médecins et pharmaciens F.F.L. pour en préciser ou confirmer certains détails, car il arrive qu’avec le temps ceux-ci vous échappent, ou encore qu’on les déforme ou les enjolive sans bien s’en rendre compte.
Les témoins survivants sont avec moi le docteur Lebentai (c’était alors Bristol), qui en est aussi l’auteur principal, et le célèbre pharmacien de Camberley Raymond Lévy.
La scène se passe à Londres en décembre 1940, un jeudi soir à l’heure du dîner. J’avais ce jour-là fait la connaissance d’un confrère arrivé le matin même, venant de Finlande. C’était le Dr Durrbach que nos camarades ont bien connu au Moyen-Orient puis en Libye jusqu’à sa fin tragique en juillet 1943 près de Tripoli. Nous avions passé la journée ensemble au Q.G. Carlton Gardens, pour ses formalités d’incorporation, et nous étions à table à l’hôtel Mount-Royal où nous finissions de dîner alors que sonnait l’alerte et que les sirènes comme tous les soirs .annonçaient l’arrivée des avions allemands.
Mais, je vous l’ai dit, nous étions un jeudi soir, et à cette époque tous les jeudis la B.B.C. prêtait son antenne à un médecin F.F.L. Garraud (qui était alors le Dr Ray, médecin-chef des F.N.F.L.) avait parlé la semaine précédente, on attendait pour ce soir là le Dr Bristol, qui avait enregistré son allocution dans la journée et était ensuite rentré au camp de Cambehey. J’étais partagé entre le désir de rester à table à bavarder avec Durrbach, et celui de remonter dans ma chambre pour écouter Bristol à la B.B.C. Pour concilier les deux choses je demandais à Durrbach de venir avec moi, ce que fort heureusement il accepta. Continuant à parler à voix basse auprès du récepteur, soudain nous entendîmes Bristol appeler «son vieux camarade chirurgien normand» et je vis alors Durrbach très agité s’écrier : « Mais c’est moi qu’il appelle, c’est un vieil ami et bien sûr il me croit à Dieppe… »
Dans la minute suivante, j’avais au téléphone composé le numéro de Camberley et j’eus alors au bout du fil le pharmacien lieutenant Lévy à qui je demandai de me passer Bristol. Sa réponse, à laquelle je m’attendais, fut : « Veux- tu rappeler dans cinq minutes, nous sommes, en train d’écouter la B.B.C. » Mais comme j’insistais il finit par me passer Bristol, alors que je donnais l’appareil à Durrbach.
Et tandis que la B.B.C. donnait la fin de son allocution Bristol entendit, stupéfait, la voix de son ami :« Tu as demandé le chirurgien normand, me voici … »
Docteur Robet
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 217, octobre-novembre-décembre 1976.