Les réseaux FFL
ESTIENNE D’ORVES – En juillet 1940, Maurice Barlier, agent commercial de la maison Amieux, évadé d’un camp de prisonniers, reçoit d’André Clément, chef d’exportation d’Amieux, l’hospitalité dans la maison de ce dernier appelée «Ty Brao», à Nantes, et des facilités pour passer en Angleterre avec l’aide de Setout (directeur d’Amieux).
Le 6 septembre, Maurice Barlier revient d’Angleterre. Avec le concours de Jean Le Gigan et de Clément, ils recrutent quelques agents sûrs qui leur obtiennent des renseignements, sur les forces ennemies. En octobre, Jean Doornick arrive d’Angleterre et se joint au petit groupe.
Entre le 17 octobre et le 24 décembre 1940, trois liaisons Angleterre-France et retour seront réussies par le bateau de pêche Louis-Jules, faux nom de la Marie-Louise. Le dernier voyage amène en Bretagne le commandant d’Estienne d’Orves et le radio Marty, muni d’un poste émetteur. La première émission aura lieu le jour de Noël. La liaison avec Londres étant maintenant établie, il s’agit de perfectionner l’organisation et d’affecter à chacun une tâche bien déterminée. Le commandant et Jean Le Gigan s’en chargent. Mme Clément fera le chiffrage et le déchiffrage des radios qui seront transmis et reçus par Marty.
Au début de janvier 1941, le commandant d’Estienne d’Orves installe un nouveau secteur à Paris où un poste émetteur fonctionnera chez Jean de Turenne, à Saint-Cloud. Jusqu’alors tout avait bien marché. Les renseignements transmis à Londres comprennent l’emplacement des Q.G. allemands dans les différents châteaux des environs de Nantes, les emplacements précis et les plans des dépôts d’essence et d’huile de toute la région, le terrain d’aviation de Château-Bougon et son faux balisage, l’aérodrome de Meucon et son activité précise, la position des batteries côtières, les détails complets et les plans du réseau de distribution d’énergie électrique de la région Ouest, les sous-marins allemands se trouvant à l’arsenal de Lorient, les chalutiers armés de Saint-Nazaire et la base sous-marine en construction dans ce port.
Une seule ombre au tableau : le comportement de Marty qui, malgré les remontrances du commandant d’Estienne d’Orves, continue à avoir des relations suspectes. Il est décidé de ramener Marty en Angleterre au prochain voyage. Mais, dans la nuit du 21 au 22 janvier 1941, c’est la catastrophe. Le commandant d’Estienne d’Orves, Jean Le Gigan et sa mère, les époux Clément, Mme Clément mère sont arrêtés.
Le 23 janvier, c’est au tour des époux Setout et de Chauvet. Tous sont emmenés à Berlin. Marty ayant fourni tous les renseignements et le code aux Allemands, ceux-ci continuent à correspondre avec le 2e bureau du général de Gaulle (dénommé S.R. à la date du 12 avril 1941, et B.C.R.A., à partir du 7 janvier 1942) qui décide l’envoi d’un deuxième radio : Jean-Jacques Leprince. Après une première tentative qui échoue par suite du compas déréglé et de la brume, Jean-Jacques Leprince, muni d’un poste émetteur, s’embarque à Newlyn, le 14 février.
Le 15 février 1941, au large de Brest, deux patrouilleurs allemands arraisonnent le bateau et emmènent à Brest équipage et passagers qui, toutefois, ont pu détruire le poste et les papiers du bord. Sur les indications de Marty et parfois sous sa conduite, les arrestations continuent. Enfin, le 13 mai 1941, le procès s’ouvre à Paris et le 26 mai, c’est le verdict. Sont condamnés à mort : le commandant d’Estienne d’Orves, Maurice Barlier, Jean Doornick, Jean Le Gigan, André Clément, Mme Clément, Jean-Jacques Leprince, Follic et Cornet. Les autres s’en tirent avec des peines de prison.
Le 29 août 1941, le commandant d’Estienne d’Orves est fusillé en compagnie de Maurice Barlier et de Jean Doornick. Les six autres condamnés à mort verront leur peine commuée en travaux forcés. Mme Clément mère, âgée de 83 ans, n’a pas résisté à la brutalité des interrogatoires; Daniel Dohet mourra le 24 décembre 1942 et Jean-Jacques Leprince le 6 juin 1944. Les autres déportés rentreront vivants.
La publicité donnée par les Allemands à l’exécution du commandant d’Estienne d’Orves et de ses amis galvanisa les volontés et les énergies ; c’est ainsi que ce réseau des premières heures a magnifiquement rempli sa mission. L’admirable figure du commandant d’Estienne d’Orves qui, en un geste sublime de pardon, avait embrassé le juge allemand qui venait de le condamner à mort, est tout entière dans le message écrit qu’il remettait à Le Gigan quelques instants avant d’être fusillé :
Nous mourons pour que la France vive.
Nous mourons tranquilles parce que nous avons foi dans ses destinées, dans ceux qui la défendent, et dans celui qui est notre chef.
Nous mourons heureux parce que nous avons la certitude absolue de la victoire.
Fais savoir à ceux qui restent que leur devoir d’apporter à notre patrie le sacrifice total de leur personne, de leur intelligence et de leurs forces pour la relever, pour refaire de notre FRANCE la plus belle, la plus riche, la plus libre des nations.
Nous mourons, mais la France continue. Notre part est la moins pénible; ce ne sont plus que quelques moments désagréables à passer mais vous qui continuez, vous aurez à lutter toute votre vie. C’est là votre tâche, c’est là votre devoir.
Adieu… Haut les cœurs… Vive la FRANCE !
GALLIA – Créé par Gorce-Franklin qui fut déposé en France dans la nuit du 14 au 15 février 1943 par un bombardier bi-moteurs Hudson en même temps que Jean Fleury, alias Panier, chef du centre d’antenne «Electre», Fernand Gane, alias Jacquot, chargé de la mission «Phalanx» et Vector, ex-César, de C.N.D., chargé de la mission «Ecarlate», ainsi que Boyer, du réseau Brutus. Sa mission consistait à :
1°) créer et organiser un réseau;
2°) prendre des contacts, avec les différents chefs de Résistance existants en vue d’une étroite coordination.
En avril 1943, après deux mois de travail, Franklin et Bertal (Albert Cohen, chef régional de «Libération») ont réussi à organiser le réseau Gallia dans les régions suivantes :
– Marseille, chef de (réseau : Mistral).
– Toulon, chef : Auclair.
– Nice-Cannes, avec le commandant Krinsky et le capitaine Guetta.
– Montpellier, avec le commandant Morel.
– Pyrénées-Orientales, sous les ordres du commandant Viaud.
Franklin décide de microphotographier la partie la plus encombrante du courrier, les documents, les plans et les photos; il charge de ce service Eugène Petit (Claudius).
Le trafic télégraphique du réseau était, en majeure partie, assuré par le service de radio de la délégation de Jean Moulin.
En mai 1943, Franklin prend contact avec le Comité directeur des M.U.R. présidé à l’époque par Henri Frenay. Quelque temps après, la direction du S.R. des M.U.R. est confiée à Gemhaling (Henriot). Henriot présente à Franklin, Pierre Bernheim (Rohan), son adjoint pour les questions militaires. Ce dernier, sur l’insistance de Franklin, devait, par la suite faire incorporer la majorité de ses agents sous l’indicatif R.P.A., R.P. étant l’indicatif des agents du réseau Gallia.
Gallia fonctionnait régulièrement et prenait de jour en jour une plus grande extension. Malheureusement, les premières arrestations eurent lieu. Ce fut tout d’abord Auclair, chef du Var. Transféré à la prison Saint-Pierre, à Marseille, il réussit à se faire employer dans les bureaux de la Gestapo, rue Paradis, pour des écritures et là, continua son travail d’agent secret.
Il arrive à avoir des relations avec l’extérieur et fait passer à Franklin deux listes. L’une des pseudonymes et des noms originaux de tous les résistants arrêtés par la Gestapo; l’autre, de tous ceux qui, à la suite de ces arrestations et des révélations qu’elles avaient suscitées, étaient recherchés. Ensuite Auclair fut transféré à Compiègne et, de là, déporté en Allemagne où il trouva la mort.
En juin 1943, c’est le commandant Krinsky et le capitaine Guetta qui sont arrêtés à Cannes. Puis c’est au tour du commandant Viaud et de son adjoint Pamarola qui sont arrêtés à Perpignan. La Gestapo prend ensuite M. et Mme Mayer, ainsi que Mlle Hirth. Franklin, qui habitait chez ces personnes, arrive au moment où la voiture de la Gestapo emmène ses amis. Dans la perquisition effectuée chez les Mayer la Gestapo ne trouve aucun papier de Gallia mais ramasse les photographies et les papiers d’identité de Bertal qui est à ce moment à Londres. Le chef du réseau Gallia insiste auprès du B.C.R.A. afin qu’il ne soit pas renvoyé en France. Bertal reviendra pourtant au mois d’août, et montera un nouveau réseau : Nestlé. Franklin rencontre à cette époque le colonel Gentil qui dirigeait le parc de matériel à Clermont-Ferrand et en même temps s’occupait du camouflage d’un important stock d’armes. Gentil devient son adjoint. Il devait par la suite, en 1944, prendre la direction du réseau Darius, c’est-à-dire de Gallia en zone nord. C’est des conversations entre Franklin et Gentil que naîtra la structure définitive de Gallia en novembre 1943. Ce réseau comprenait :
A. – Une centrale à Lyon.
B. – Sept centres Régionaux.
C. – Les réseaux sous le contrôle de Gallia :
1°) Le réseau Reims, qui tombe sous le contrôle complet de Gallia après accord entre le B.C.R.A. et la Sûreté belge en août 1943, et deviendra le réseau Noël.
2°) Le réseau Marguerite.
3°) Le réseau Dupleix formé à Lyon à partir de juillet 1943, sous la direction du commandant Dreyfus Marcel (Lafond), assisté du lieutenant Girin-Hirseh. Dupleix se spécialisera dans le renseignement policier et aura la possibilité d’avertir deux fois par jour les réseaux des projets et des intentions de la police tant allemande que française.
Gallia fut également chargé d’organiser des centres d’antenne chargés du trafic télégraphique. Les principaux furent : Cactus, à Clermont-Ferrand, chef capitaine Vibrac. Thuya, à Limoges, chef lieutenant Brissaud René. Sycomore, dans la région de Toulon, chef Ménestre, alias Armand. Érable, dans la région de Toulouse, chef : Canard, alias Henri.
Au moment du déclenchement des opérations, militaires et de la période insurrectionnelle précédant la libération du territoire, ces centres d’antenne devaient éclater en U.C.R. (Unités de Combat et de Renseignement). Les U.C.R. devaient couvrir une portion de territoire facilement accessible à pied ou à bicyclette et recueillir, pour les transmettre, les informations de tous les agents de n’importe quel réseau se trouvant dans la limite de leurs régions. Fin 1943, El Maleh est arrêté et après avoir été torturé à Montluc est achevé par des rafales de mitraillette à bout portant comme put le constater le Service de sécurité de Gallia à la morgue où le cadavre avait été transporté. À la même époque, Bertaux et Cazenave se tuent en atterrissant à Londres. Ce sont ensuite, en 1944, les arrestations du colonel Gentil, mort à Dora, et de son neveu Paul, également mort en déportation, de Cantal, de Garnier. Enfin la libération se poursuit.
Le 21 juillet 1944, Franklin monte à Paris mais ne pourra rejoindre Lyon.
Le 4 août 1944, Gallia connaît l’alerte la plus dangereuse de son histoire. Sont arrêtés Bernheim (Rohan), chef de Gallia R.P.A. et sa femme. Ils sont fusillés. Le colonel Lanoyerie est pris à son domicile ainsi que sa femme. Le lendemain, c’est au tour du commandant Guillaud et de la secrétaire du P.C., Mme Frigière. Le colonel Lanoyerie et le commandant Guillaud seront massacrés à Saint-Genis-Laval.
C’est le commandant Herbelin qui assure alors la marche du réseau jusqu’à la fin des opérations. Gallia eut 1.782 agents homologués auxquels s’ajoutent 576 agents de Darius et 570 de Reims (ex-Coty R.P.B.). Les pertes atteignirent pour l’ensemble 161 tués ou morts en déportation et 150 internés et déportés.