Le réseau « Saint-Jacques »

Le réseau « Saint-Jacques »

Le réseau « Saint-Jacques »

Buenos Aires, octobre 1964. Le général de Gaulle, président de la République, en visite officielle en Argentine, bouleverse le protocole en saluant le colonel Saint-Jacques avant toutes les autorités du gouvernement. Or le lendemain, lors d’une réunion à l’ambassade de France de 30 élus de la France Libre parmi lesquels cinq Compagnons de la Libération, dont Rousseau, Portolis et Milleret, le général de Gaulle renouvelle ce geste, allant droit, dès son entrée dans le salon d’honneur, donner l’accolade à Maurice Duclos – Saint-Jacques.

Ce geste honore un des premiers combattants de la France Libre, le héros du premier réseau de renseignements. Premier selon le témoignage du colonel Rémy, créateur de la célèbre « Confrérie Notre-Dame » qui, dans ses Mémoires affirme, « Le réseau CND, fondé avant fin 1940, ne le cédant en antériorité, à ma connaissance, qu’au réseau de mon ami Saint-Jacques.« 

Saint-Jacques, pseudonyme de Maurice François Duclos, n’est pas un nom choisi au hasard, car il s’inscrit dans la longue lignée des pèlerins et autres croisés, capables de partir, de combattre et même de mourir pour la défense des plus hautes valeurs spirituelles et patriotiques, comme ceux qui ralliaient Compostelle au Moyen Âge ; mais, très parisien, Maurice Duclos n’oublie ni la Tour Saint-Jacques ni la station de métro, puisque celle-ci et les autres serviront à couvrir les agents des réseaux de renseignements, à l’exemple de Dewavrin-Passy.

Ce paladin a le physique qui convient. Le colonel Jean Verines le décrit ainsi :

Grand, 1,92 mètre, comme le général de Gaulle, aimait-il faire remarquer, Saint-Jacques attire et retient le regard dès le premier contact. En effet, tout paraît grand avec lui, l’homme bien sûr en impose : c’est une masse d’action, on le sent animé d’un souffle puissant que rien ne peut arrêter. Sûr de lui, conscient de la haute mission dont il est investi, il sait que pour réussir une tâche aussi difficile, il n’y a qu’une seule voie possible : foncer.

Franc et loyal, au langage clair et direct, il crée la confiance réciproque et diffuse l’espoir.

L’image que l’on garde de Saint-Jacques est grandiose et sculpturale, et Passy dans ses souvenirs parle d’un « grand garçon au rire de Porthos ». Il est vrai qu’avec les deux autres chefs de réseau Rémy et Fourcaud, ils font penser aux mousquetaires.

Mais leur action n’est pas romanesque, elle est dans la réalité la plus dure, comme en témoigne pour Saint-Jacques le décret du 25 mai 1943, le faisant Compagnon de la Libération :

« L’un des trois premiers volontaires pour mission spéciale en France. A été débarqué sur la côte normande sans aucune organisation préalable de réception ou de recueil.

N’ayant pu être rembarqué une fois sa mission accomplie, malgré plusieurs tentatives, à organisé les premiers éléments de réseaux d’information en zone occupée, puis réussit à gagner l’Angleterre par l’Afrique et le Portugal.

Volontaire pour une deuxième mission en France, est grièvement blessé en atterrissant par parachute, réussit malgré ses souffrances à mettre son matériel à l’abri. Dénoncé et arrêté, il est relâché alors qu’il venait de monter seul une première tentative d’évasion. À peine remis, il passe la ligne de démarcation au prix d’un effort de volonté peu commun et crée en zone occupée un réseau de renseignements de premier ordre.

Trahi par son radio en août 1941, lors des grandes opérations de la Gestapo, il échappe par miracle. Sa famille qu’il avait mise à contribution chaque fois que les volontaires faisaient défaut, fait l’objet d’arrestations et de condamnations. Sa soeur et sa nièce sont condamnées à mort, mais leur peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.

Traqué partout, il est enlevé par un avion qui se givre et s’abat, il mène en lieux sûrs le pilote et son aide et réussit à les ramener en Angleterre.« 

M. Valin Le commissaire national p.i. à la guerre

Le détail du travail de Saint-Jacques a été magnifiquement résumé par le général Simon dans son hommage au réseau du 14 novembre 1986, date à laquelle fut dévoilée la plaque marquant le premier siège du réseau place Vendôme.

– Cet « officier de premier ordre », ce « pionnier du renseignement militaire », selon J.-L. Crémieux-Brilhac, n’a pas été un solitaire, mais un chef de réseau qui a compté dans ses rangs des hommes de très grande valeur tels que Lucien Feltesse, Charles Deguy, l’abbé Roger Derry, le chef d’escadron de la gendarmerie Jean Verines et Georges Piron. Tous peuvent, comme le Français Libre Compagnon de la Libération Georges Guingouin, réciter les strophes de Victor Hugo :

Ô francs-tireurs, allez, traversez les halliers, Passez les torrents, profitez de l’ombre et du crépuscule, Serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, Ajustez, exterminez l’invasion.

La mort, souvent atroce, est hélas aussi au rendez-vous. Charles Déguy fut fusillé le 29 juillet 1942 au Mont-Valérien, l’abbé Derry fut décapité à la hache par les nazis à Cologne le 15 octobre 1943 en même temps que Georges Piron, honoré maintenant par une plaque apposée sur le siège de l’AFL rue Vergniaud, puisqu’il était président des volontaires de guerre belges en France, association dont les membres, durant des années, se réunissaient dans ce même bâtiment.

Faisons cependant une place à part au commandant puis lieutenant-colonel Jean Vérines qui eut à partir de sa base, la caserne de la Garde républicaine place de la République à Paris, la difficile tâche, après les terribles arrestations d’août 1941, de continuer à faire vivre l’efficace sous réseau Vérines. Gueule cassée de la première guerre, Jean Vérines se grandit encore dans la dureté de la vie clandestine, au point que le commandant de l’École de gendarmerie de Melun, prononçant son allocution à la promotion « Vérines » d’officiers élèves du 28 février 1948, eut ces mots :

– Un tel nom interdit tout abandon et toute faiblesse, comme le soldat, le héros et le martyr que nous honorons aujourd’hui. Jean Vérines fut fusillé par les nazis à Cologne le 20 octobre 1943.

Le meilleur hommage au réseau Saint-Jacques et « à ses compagnons de l’impossible » fut peut-être celui donné en 1990 par l’opération Flambeau, montée par P. Castelneau et P. Hug. Ces flambeaux allumés à travers la France sur tous les hauts lieux de la Résistance furent rassemblés le 18 juin 1990 à l’Arc de Triomphe. Or à Paris sur les 20 lieux sacrés désignés par une commission nationale, trois appartenaient au réseau Saint-Jacques ! Un réseau à l’efficacité certaine (plan utilisé à Omaha Beach pour le débarquement, mise sur pied des plans « vert », « tortue » et « violet » pour neutraliser l’ennemi le jour J). D’ailleurs, le rapport du liquidateur, L. Feltesse, vice-président de l’AFL, fait état de 2 500 membres, dont 400 seulement ont été identifiés.

Lucien Feltesse rapportait d’ailleurs cette déclaration le 7 mai 1949 :

– Il n’y a pas très longtemps, le chef de la Gestapo de l’avenue Foch, Placke, actuellement détenu à la Santé, a déclaré que le réseau Saint-Jacques était considéré comme l’un des plus importants par l’OKW et que les Allemands avaient dû s’incliner devant la discipline et le patriotisme de ses agents.

Saint-Jacques, installé plus tard en Argentine, a pu écrire à l’auteur de cet article :

À mon cher compagnon des heures difficiles. En souvenir de ces vieux et chers amis les anciens combattants français de la liberté française pour celle du monde entier.

Il est bon que le dernier mot du chef du premier réseau de la France Libre soit une référence à la liberté.

Édith Desaleux Membre du comité directeur de l’AFL

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.