27 janvier 2016 In Toutes les actualités By Administrateur
René Cassin est un Français libre !
Communiqué du conseil scientifique de la Fondation de la France Libre
Le 16 janvier 2015, Le Monde Culture et Idées a fait paraître sous la signature de M. Nicolas Weill un article intitulé « L’apatridie, l’envers du droit » qui nécessite un certain nombre de rectifications.
Dans ce texte, M. Weill revient sur l’historique des lois de privation de la nationalité, notamment sous Vichy, omettant du reste de préciser que le général de Gaulle et des Français libres en furent eux-mêmes victimes. Il rappelle fort justement que Vichy prive de nationalité française par la loi du 22 juillet 1940 les étrangers récemment naturalisés (Italiens, Espagnols), visant principalement les Juifs, ce qui les fragilise et précipite leur déportation.
Toutefois, dans le paragraphe suivant, il écrit : « À la Libération, non sans réticences de la part de quelques Français libres, mais sur l’insistance du juriste résistant – et pour cela déchu de sa nationalité par Vichy – René Cassin, futur rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les décrets de dénaturalisation seront abrogés par le gouvernement provisoire. »
À plus d’un titre, cette phrase ne repose sur aucun fondement historique sérieux.
Tout d’abord, l’auteur semble établir une distinction entre « quelques Français libres », qu’il ne nomme pas, et le « juriste résistant René Cassin ». Or, Cassin était lui-même un Français libre, et même l’un des tout premiers à avoir rejoint le général de Gaulle : responsable du service juridique de la France Libre, et à ce titre rédacteur des accords de Gaulle-Churchill établissant les relations entre la France Libre et le gouvernement britannique, il est nommé au Conseil de Défense de l’Empire à sa création en octobre 1940, puis commissaire à la Justice et à l’Instruction publique du Comité national français en septembre 1941, ce qui correspond à nos ministres de la Justice et de l’Éducation nationale, excusez du peu !
De plus, René Cassin avait établi au Commissariat à la Justice et à l’Instruction publique un registre de nationalité, tenu par le lieutenant François Marion, premier secrétaire général de l’Ordre de la Libération, et actuellement conservé aux Archives nationales, sur lequel ont été enregistrées plus d’un millier de demandes de naturalisation ou de confirmation de la nationalité française. De manière significative, la partie concernant les dénaturalisations y est demeurée vide.
René Cassin n’est pas, comme le laisse entendre l’article, un « juriste » indépendant ou une sorte de conscience morale résistante, mais le responsable d’une des plus hautes instances juridiques du Comité français de la Libération nationale (CFLN) puis du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) lui-même présidé par de Gaulle – le raccourci de M. Weill prête à confusion – et au centre du dispositif de révision des lois de Vichy voulu et institué par de Gaulle et le CFLN-GPRF.
À partir d’août 1943, en effet, René Cassin préside à Alger le Comité juridique du CFLN, qui fait office de Conseil d’État. En cette qualité, il examine la légalité formelle, à l’aune des critères républicains, des ordonnances que le CFLN-GPRF peut être amené à promulguer.
Il siège également, à partir de novembre 1943 à l’Assemblée consultative provisoire qui, si elle ne vote pas les ordonnances (puisque non élue), en débat sur le fond. Il est ensuite nommé par de Gaulle, à l’automne 1944, vice-président du Conseil d’État, poste qu’il conservera jusqu’en 1960, date à laquelle il est nommé au Conseil constitutionnel, encore par de Gaulle, cette fois en qualité de président de la République.
Rappelons que la tradition républicaine veut que la présidence (formelle et non effective) du Conseil d’État soit assurée par le chef du gouvernement, en l’occurrence Charles de Gaulle en 1943-1946. Rappelons aussi qu’il reviendra alors (fin 1944) au Conseil d’État, présidé matériellement par Cassin, d’examiner l’ensemble des lois de Vichy (abrogées a priori et en bloc par l’ordonnance du GPRF du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, ordonnance examinée au préalable par le Comité juridique présidé par Cassin) pour déterminer, en leur sein, quelles sont les dispositions qui peuvent être maintenues dans le cadre législatif républicain rénové (ce qui explique que certains « historiens » découvrent effarés que des lois de Vichy soient encore en vigueur, alors que ce sont simplement des dispositions techniques sans portée politique).
La séparation de René Cassin et du général de Gaulle est aussi historiquement fausse.
La présentation de Nicolas Weill, par trop schématique, conduit à établir, dans l’esprit des lecteurs, le sentiment d’une France Libre « conservatrice », qui aurait fait sienne la politique de dénaturalisation perpétrée par Vichy, opposée à une résistance qui aurait été progressiste et anti-vichyste.
Sans doute, il y eut des discussions entre le Commissariat à la Justice du CFLN-GPRF, dirigé par le résistant François de Menthon, et le Comité juridique, présidé par le Français libre René Cassin, et au sein de l’Assemblée consultative provisoire. Antoine Prost et Jay Winter ont apporté d’utiles précisions dans leur remarquable biographie du « juriste de la France Libre » (cf. René Cassin, éditions Fayard, 2011). Mais on ne peut prétendre, comme le laisse entendre M. Weill, que Français libres et résistants s’opposaient sur l’essentiel alors qu’ils étaient totalement solidaires au sein de la France Combattante.
Général Robert Bresse
Président de la Fondation de la France Libre
Directeur du cercle d’études de la Fondation Napoléon
Ancien directeur du musée de l’Armée
Pour la totalité du conseil scientifique de la Fondation :
Christophe Bayard, professeur d’histoire-géographie, vice-président de la Fondation de la France Libre
François Broche, historien et journaliste
Sylvain Cornil-Frerrot, doctorant en histoire, responsable des recherches historiques à la Fondation de la France Libre
Raphaël Dargent, historien et écrivain
Vincent Giraudier, docteur en histoire, responsable de l’Historial Charles-de-Gaulle au musée de l’Armée
Jean-Marc Largeaud, maître de conférences à l’université François Rabelais de Tours
Christine Levisse-Touzé, directrice du musée du général Leclerc de Hautclocque et de la Libération de Paris-musée Jean Moulin, directeur de recherche à Paris-IV
Jean-François Muracciole, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry Montpellier-III
Frédérique Neau-Dufour, docteur en histoire, directrice du Centre européen du résistant déporté
Philippe Oulmont, agrégé d’histoire, ancien directeur scientifique à la Fondation Charles de Gaulle
Philippe Ratte, historien
Stéphane Simonnet, docteur en histoire, chercheur associé à l’université de Caen
Émeline Vanthuyne, agrégée d’histoire, chargée des projets pédagogiques et numériques à la Fondation Charles de Gaulle