Le ralliement des îles Wallis, par Jean-Baptiste Mattei, médecin commandant

Le ralliement des îles Wallis, par Jean-Baptiste Mattei, médecin commandant

Le ralliement des îles Wallis, par Jean-Baptiste Mattei, médecin commandant

Depuis le 19 septembre 1940, les Nouvelles-Hébrides, Tahiti, la Nouvelle Calédonie ont rallié le général de Gaulle. Seul de toutes les possessions françaises du Pacifique, l’Archipel des îles Wallis et Futuna reste en étroite liaison avec Saïgon, et malgré nos appels, le médecin résident Vrigneau entend demeurer fidèle à Pétain.
L’archipel constitue cependant un point stratégique dont l’importance n’échappe pas aux Américains. Aussi, le 17 mai 1942, le commandant en chef de la flotte américaine rend visite à Nouméa à l’amiral Thierry d’Argenlieu, haut commissaire de France pour le Pacifique et lui déclare que la position des îles Wallis fait partie du plan d’action de la marine U.S.A. et que si dans un délai très bref l’archipel n’avait pas rallié la France Libre la marine américaine l’occuperait pour son propre compte.
Ce protectorat français très peu connu allait jouer un rôle considérable comme base de départ des offensives alliées dans le Pacifique.
L’archipel comprend deux grandes îles, Wallis ou Ouvéa, longue de 20 kilomètres, large de 8 à 10. Son point culminant ne dépasse pas 140 mètres. Elle est, à peu près comme toutes les îles du Pacifique, entourée d’une ceinture de récifs ayant une seul passe au Sud, la passe d’Honikulu. Cette passe est le seul chenal d’entrée qui est très étroit et où règnent des courants violents. Les petits bâtiments seulement (type Chevreuil) peuvent entrer, mais doivent franchir la passe à l’étale.
La résidence est à Mata-Utu. Il y a un évêché, un hôpital, différentes missions catholiques et de nombreux prêtres et sœurs indigènes.
Il y a un Roi (Lavelua) entouré de ministres, dont un Premier ministre (Kivalu). Roi et ministres touchent une pension du gouvernement français. L’île vit de la production du coprah. Les indigènes sont de pure race polynésienne.
La deuxième grande île, Futuna est située au sud de Wallis. Elle est très montagneuse et possède de nombreux cours d’eau. Elle n’est pas entourée de récifs, on l’aborde par la côte ouest où se trouve le port Sigave, difficilement accessible par vent d’ouest. Cette Île ne possède aucune route carrossable et ses habitants n’ont pas encore vu d’automobile.
L’archipel possède une troisième grande île Alofi et une multitude de petits îlots splendides.
Le 17 mai, donc, notre protectorat faisait le principal objet d’une conversation entre chefs, Américains et Français ; et le chef français s’empresse de donner l’assurance au chef américain que le pavillon français frappé de la croix de Lorraine montera bientôt au mât de la résidence de France des îles Wallis.
M. Fourcade, chef de cabinet de l’amiral Thierry d’Argenlieu me met au courant de la situation, et me fait part de l’intention de l’amiral de me confier les fonctions de résident de France du protectorat. J’accepte avec enthousiasme. Quel honneur de pouvoir porter sa modeste pierre au temple de la France Libre.
Il ne restait qu’à organiser rapidement l’expédition. Cette tâche incombe au capitaine de frégate Cabanier qui la règle avec une remarquable précision. Le lieutenant de vaisseau Fourlinnie, commandant le Chevreuil, marin de grande classe dirigera l’occupation militaire des Wallis et en réglera les détails d’exécution. Le capitaine Molina prendra le commandement de l’ensemble composé par : la compagnie de débarquement du Chevreuil et le corps d’occupation (officier des équipages Gauthier). Il sera placé naturellement sous les ordres du commandant du Chevreuil.
Après le départ du Chevreuil, seul le corps d’occupation restera aux Wallis sous les ordres de l’O.E. Gauthier qui se placera lui-même sous les ordres du médecin résident Mattei.
Les préparatifs sont faits dans le plus grand secret. Nous embarquons des vivres, des médicaments. Nous ignorons totalement ce qui se passe aux Wallis n’ayant plus aucune nouvelle de l’archipel depuis 18 mois. Qu’allons-nous trouver là-bas ? Des japonais peut-être ? Nous verrons bien !
Et le 23 mai, à 5 h 30 le Chevreuil franchit la passe de Nouméa et met le cap sur l’île Wallis. Il a reçu comme instruction de passer au nord des îles Fidji en se tenant hors de portée visuelle de Futuna. Le voyage est sans histoire. Une mer d’huile. La bonne humeur règne à bord, jeux de cartes, lecture. La nuit, allongés sur le pont, nous goûtons le charme étrange de la nuit tropicale. Et sur la mer phosphorescente, guidé par la croix du Sud, le Chevreuil trace son sillon d’or.
Le 27 au matin, l’île émerge à l’horizon. À 11 heures le Chevreuil se présente à la passe. À toute vitesse il s’engage dans le lagon et à travers un réseau invraisemblable de récifs, de dunes de sable. Brusquement une chaloupe se détache de son bord, elle emmène une dizaine de marins sous les ordres de l’O.E. Gauthier. Ils ont pour mission de neutraliser le poste de T.S.F. de Wallis.
On n’aperçoit âme qui vive et nous avons l’impression d’arriver dans une île déserte.
Sur le wharf se dessine une silhouette solitaire.
Le commandant amène son bateau à quelques mètres du wharf. Dans un bruit de chaînes, l’ancre plonge dans l’eau, pendant qu’à la proue, le pavillon marqué de la croix de Lorraine s’élève dans le ciel radieux de Wallis.
En compagnie du capitaine Molina qui, pour la circonstance a arboré un splendide monocle ; nous prenons place à bord d’un canot qui, en quelques coups de rames, nous fait aborder le Wharf. Nous prenons pied sur la terre wallisienne.
Le solitaire se présente, médecin commandant Vrigneau, résident de France.
Il est visiblement déçu, depuis 18 mois il attend un bateau de Saïgon. Il n’a plus rien, ni argent, ni ravitaillement. Quand le bateau a franchi la passe il a eu un moment d’espoir. Il a distingué les trois couleurs qui flottaient en poupe du navire, Saïgon a-t-il entendu ses appels ?
La situation dans l’île est sérieuse. Nous devions apprendre par la suite qu’au moment de notre arrivée la révolte grondait. Pour payer les quelques Wallisiens qui recevaient une rémunération de la France, le résident avait dû emprunter de l’argent à un commerçant anglais de Mata-Utu, ardent propagandiste du général de Gaulle.
Ce bateau de guerre qui gagne sans hésitation le fond du lagon est-ce le messager de l’amiral Decoux ?
La croix de Lorraine hissée à la proue du Chevreuil ruine tous ses espoirs.
Les présentations faites nous l’invitons à prendre place dans le canot qui va nous conduire à bord du Chevreuil.
Quelques instants plus tard, nous voici installés dans le salon du Chevreuil.
– La France Libre, dit le commandant s’adressant au docteur Vrigneau, vient prendre possession des îles Wallis je vous demande de transmettre vos pouvoirs au médecin capitaine Mattei qui désormais représente la France dans l’archipel. Après quelques considérations sur la légalité de l’opération le docteur Vrigneau s’offre à me conduire à la Résidence où se fera la transmission des services.
Avant de quitter le bord, le commandant offre le traditionnel whisky que le docteur Vrigneau refuse énergiquement. Nous n’insistons pas. Mais sa volonté cède devant le paquet de cigarettes. Il nous avoue que depuis deux ans il en est réduit au tabac wallisien roulé dans du papier d’épicier.
Pendant ce temps, Joseph, un Wallisien que nous avions embarqué à Nouméa et qui assumera les fonctions d’interprète, s’en alla quérir le Roi qui, sans se faire prier, embarque à bord du canot qui va l’amener à bord du Chevreuil. Je lui fais part de notre étonnement de n’apercevoir âme qui vive.
– Il n’y a personne, parce que le bruit a couru que le bateau de guerre allait nous bombarder. Mes sujets ont pris peur et sont partis se cacher. Ils craignent, maintenant que vous me gardiez comme otage ; mais j’ai confiance en vous.
– Avez-vous entendu parler du général de Gaulle ?
– Certainement, et depuis quelque temps nous attendions l’arrivée de ses soldats.
– Et quel sera maintenant votre comportement vis-à-vis des soldats de la France Libre ?
– Vous pouvez compter sur mon loyalisme.
Après lui avoir fait part de notre désir d’aller le visiter au Palais royal, le Roi quitte le bord muni de quelques petits cadeaux, avec tous les égards dus à son rang.
wallis
Le ralliement des îles Wallis, le 27 mai 1942. Devant le Palais royal, de gauche à droite : le Premier ministre, le capitaine Molina, le Roi des Wallis, le docteur Mattei. Légèrement caché, entre le Roi et le docteur Mattei, le lieutenant de vaisseau Fourlinnie, commandant le “Chevreuil” (RFL).

Quelques instants après, nous quittons à notre tour le bateau pour nous rendre à la résidence. Mata-Utu commence à s’animer. Les cases se vident ; les Wallisiens rassurés envahissent le wharf, la place du palais royal. Des marins arborent déjà des couronnes de tiaré autour du cou. Nous sentons que nous sommes accueillis avec sympathie, une sympathie qui ne se démentira jamais.

Et nous voici à la résidence, un grand bungalow tout en longueur qui surplombe la mer. On y accède par un escalier assez rude. Au moment où nous franchissons la porte, le pavillon sur lequel se détache la croix de Lorraine monte majestueusement au mât de la résidence, pendant que retentit la sonnerie « Au Drapeau ».
Monseigneur Poncet, évêque des Wallis, nous attendait dans le bureau du résident.
– 27 mai 1917 dit l’évêque en manière de bienvenue, catastrophe pour la France au Chemin des Dames (j’étais aumônier d’une division).
27 mai 1942, catastrophe pour les îles Wallis où vous apportez les horreurs de la guerre.
– Monseigneur, seul l’avenir nous dira si ce jour aura été un jour faste, ou un jour néfaste pour les Wallis.
J’ai en ce qui me concerne pour mission de rallier les Îles Wallis à la France Libre, et cette mission (vous pouvez me faire confiance) je la remplirai jusqu’au bout.
L’amiral d’Argenlieu m’avait confié une lettre pour l’évêque. Au moment de la remettre je m’aperçois que je l’ai oubliée dans ma serviette qui est restée à bord. J’irai la remettre dans l’après-midi à l’évêché. À 3 heures, avec le commandant Fourlinnie nous nous rendons à l’évêché où nous sommes accueillis par un jeune père, breton, qui nous déclare : « Je suis de cœur avec les Français Libres ».
L’entretien que nous avons avec Monseigneur Poncet est nettement plus cordial que celui du matin. Les petits verres se remplissent de « Bananine » liqueur excellente fabriquée par les pères de la mission. Nous parlons des besoins immédiats de l’archipel ; de son ravitaillement en vivres et en médicaments.
Au moment de prendre congé, l’évêque me donne l’assurance que rien ne sera fait du côté de l’évêché, qui pourrait gêner ma mission.
Il m’est agréable, de dire aujourd’hui que pendant mon séjour aux Îles Wallis aucun incident n’est venu troubler les excellents rapports que j’ai entretenus avec la mission catholique.
Le lendemain matin, grande cérémonie au palais royal, où le Roi et les ministres, en présence du commandant du Chevreuil jurent de servir fidèlement et loyalement le nouveau représentant de la France dans le protectorat.
J’épingle sur la poitrine du Roi l’insigne des F.N.F.L. Toute la population, en habits de fête a envahi la place. C’est au milieu des ovations que nous nous dirigeons avec le Roi et les ministres vers le canot du Chevreuil à bord duquel un vin d’honneur est offert au Roi et à ses ministres.
Depuis ce jour une franche collaboration avec le Roi et ses conseillers nous a permis d’améliorer la condition des Wallisiens qui ont toujours manifesté envers la France une loyauté absolue. Toutes les occasions étaient bonnes pour l’affirmer.
Je fais appel au souvenir des officiers et équipages de l’Oiseau des îles venus présenter le pavillon dans l’archipel qui ont certainement gardé de cette visite un souvenir impérissable.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 99 juin 1957.