La prise de Koufra, par le capitaine Douzamy

La prise de Koufra, par le capitaine Douzamy

La prise de Koufra, par le capitaine Douzamy

Le siège du fort d’El Taj

Les éléments mobiles étant ainsi éliminés, restait le fort du Taj et sa garnison.

Dès la fin de l’après-midi du 15, le gros de la colonne, aux ordres du capitaine Dio, a pu rejoindre la palmeraie.

Pour le moment, il ne peut être question d’une action de vive force, d’un assaut contre la forteresse. Il faut se contenter de tenir la palmeraie et d’interdire toute communication du fort avec l’extérieur.

Un détachement de cinq véhicules est placé en surveillance à 10 kilomètres au Nord-Est du fort, prêt à s’opposer à l’arrivée de renforts ou à s’opposer à une retraite des assiégés.

Faute d’effectifs assez nombreux pour investir complètement le Taj, le colonel Leclerc décide aussitôt d’installer un point d’appui principal dans le quartier nord-ouest du village d’El Giof. Les pâtés de maisons de l’agglomération sont rapidement transformés pour les besoins de la défense pendant que les véhicules sont mis à l’abri des bombardements à l’intérieur des murs de terre sèche.

Le colonel établit son poste de commandement à El Chair, ancien poste des carabiniers royaux.

Quant à notre 75, le lieutenant Ceccaldi l’installe à l’intérieur d’une construction de pisé de la place du marché dont l’ouverture n’est découverte que durant les périodes de tir. Malgré les efforts de l’aviation italienne, son emplacement ne sera jamais repéré.

Désormais, la tactique consistera à harceler l’ennemi de jour et de nuit par les tirs de notre 75 et des pièces de mortier d’un point d’appui situé à1.500 mètres du Fort.

De plus, la nuit, il sera constamment tenu en éveil par des patrouilles portées jusqu’au cœur même des ouvrages de défense extérieurs.

Une section de G.N.E. avec le capitaine Barboteu et le lieutenant Coulon, au cours de la première nuit, en terrain inconnu, se heurte soudain à un poste installé sur des rochers. Les Italiens, surpris, ripostent de leurs armes automatiques et à la grenade. Par miracle, l’affaire se termine sans perte pour nous. Quelques jour plus tard, le capitaine Dio et le lieutenant Corlu conduisent une patrouille particulièrement audacieuse à l’intérieur même de la position italienne. Plusieurs ennemis sont abattus au revolver, de la main même du capitaine. Mais au cours de l’action, Corlu et Dio, sont grièvement blessés. Ce dernier ne rejoindra nos lignes que par un effort d’énergie peu commun et, grâce au dévouement d’un de ses goumiers.

L’ennemi réagit surtout par son aviation et par le feu de ses armes automatiques. De jour, il s’efforce par le tir de ses armes lourdes d’infanterie d’interdire toute circulation. La nuit, c’est bien pire : au moindre bruit le barrage général se déclenche.

Les jours se succèdent sans événement notable pendant que les convois du lieutenant Combes amènent vivres et munitions et que la sanitaire du lieutenant de Thuisy évacue les blessés graves.

Le tir de 75 se poursuit à la cadence d’une trentaine d’obus par jour.

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Près de Koufra, la Sebkra, lagune d’eau salée (RFL).

Ceccaldi réussit des coups heureux : plusieurs atteignent directement la salle à manger des officiers, le poste de radio; le 25, le pavillon italien qui flotte nuit jour, est abattu d’un coup de canon. Il ne sera jamais relevé.

Le 26, les nôtres découvrent un dépôt de bombes et le font sauter.

Les Italiens croient que nous évacuons leur position que nous détruisons nos propres munitions. Mais le lendemain matin, ils doivent déchanter.

Le 28, au matin, un soldat libyen de la garnison apporte au colonel Leclerc une lettre du commandant du fort qui propose la neutralisation de part et d’autre d’emplacements destinés à recevoir les blessés.

Leclerc répond qu’il ne traitera qu’avec un officier en personne.

À 4 heures de l’après-midi, un officier italien, porteur d’un drapeau blanc sort à son tour, pour renouveler la requête.

Le colonel Leclerc, dans le but de tâter le moral l’adversaire fait répondre par le capitaine de Guillebon et le lieutenant Sammarcelli qu’il ne peut s’accommoder de tels arrangements. La discussion se prolonge, et l’officier italien finit par demander, en confidence, et à titre purement personnel, quelles seraient les conditions de capitulation.

Cette fois, la situation est claire. Leclerc comprend que l’ennemi est à bout et ne tiendra pas.

La capitulation

Dès la fin des pourparlers, les tirs d’artillerie reprennent et, dans la nuit du 28 février au 1er mars, Ceccaldi tirera deux fois plus d’obus que d’habitude. Ce ne sera pas en vain.

Au petit matin du 1er mars, mettant l’œil à sa binoculaire avant de donner le signal de la première rafale, notre artilleur découvre, le premier, le drapeau blanc hissé au haut du fort. Éperdu de joie, Ceccaldi se précipite avertir le colonel. Le lieutenant Miliani envoyé, en parlementaire, essaie d’ouvrir la discussion.

Alors le colonel Leclerc brusque les choses. Montant sur une voiture légère il se précipite à l’intérieur du fort, accompagné du capitaine de Guillebon, du sous-lieutenant Huet et du parlementaire italien.

D’un ton sans réplique, il exige : «Vous vous rendez sans conditions. Je passerai la garnison en revue dans une demi-heure» et, se tournant vers le capitaine Colonna, commandant la place : «Prenez un papier, écrivez sous ma dictée : acte de reddition du fort Taj …».

L’ennemi nous abandonne tout l’armement, tout le matériel auto et les approvisionnements.

Cependant, à la demande du commandant du fort, le colonel accepte que seuls des Européens occupent la forteresse tant qu’y séjournera la garnison italienne; il autorise, en outre, les militaires la garnison à envoyer des messages radio à leurs familles et à mettre ensuite hors d’état le poste d’émission.

Médusés, les Italiens s’exécutent et rentrent silencieusement dans les locaux assignés pendant qu’à l’extérieur, le révérend père Bronner, aumônier du Tchad, armé d’un mousqueton, baïonnette au canon, assure la garde à la porte du fort.

À 14 heures, la garnison italienne, après avoir été passée en revue par le colonel Leclerc évacue le Taj.

Douze officiers, 47 gradés italiens et 273 militaires libyens de tous grades sont tombés entre nos mains.

L’ennemi nous abandonne entre autres prises : quatre pièces antiaériennes de 20 mm, trois mitrailleuses Breda de12,7 mm, 18 mitrailleuses lourdes Schwartzlose et 32 mitrailleuses et F.M. Fiat et Breda.

Le lendemain, 2 mars, à 8 heures du matin, en présence des troupes françaises réunies dans le fort, le drapeau français à croix de Lorraine monte solennellement au grand mât. Face au drapeau qui flotte maintenant sur le fort conquis, le colonel Leclerc prononça quelques paroles. «Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg».

Koufra, première opération offensive menée après juin 1940 par des troupes françaises en territoire ennemi, en partant d’un territoire français, marque la renaissance de nos armes après la défaite et donne le signal du redressement de l’esprit national après une catastrophe qui faillit rayer définitivement la France de la carte du monde.

Dans le conflit mondial, dans lequel ne sont encore entrés ni la Russie, ni les États-Unis, Koufra, après une série de jours sombres et de revers, est le premier pas sur la route de la victoire, le premier succès mettant fin au mythe de l’invincibilité des forces de l’Axe.

Pour les jeunes Forces françaises libres du Tchad, c’est la certitude qu’elles ont choisi la bonne voie.

Elles ont aussi trouvé le chef qu’elles attendaient.

Désormais, rien ne pourra plus les arrêter, avant le Fezzan, la Tunisie, Alençon, Paris, Strasbourg et Berchtesgaden.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 1b, juin 1946.