Général Pierre-Marie Bert
Grand officier de la Légion d’honneur
Les obsèques du général Pierre-Marie Bert ont été célébrées le 14 décembre 1976 à Obernai en présence des autorités départementales et municipales et de nombreux Français Libres, dont MM. Gaston Pernot et Jacques Petitjean, respectivement présidents des sections A.F.L. de Strasbourg et de Haute-Saône, René Civrac, président départemental de l’amicale de la 1re D.F.L., et du général Jacques Bourdis, qui prononça l’émouvant éloge que nous reproduisons ci-dessous.
« Nous voici intimement rassemblés, compatriotes, parents, amis, compagnons d’armes d’hier, soldats d’aujourd’hui autour du général Bert en ce cimetière d’Obernai.
J’ai la peine d’exprimer à sa veuve, qu’il a connue ici même, les condoléances du gouverneur militaire de Strasbourg commandant la 1re armée. Mais j’ai le privilège de lui apporter l’hommage de notre armée. Il y a servi avec honneur et distinction ainsi que l’atteste une riche suite de services volontaires et éminents.
Né à Riom en Auvergne en 1899, Pierre Bert à dix-neuf ans est à Verdun. Dès 1921 et jusqu’en 1924, il participe à la rude campagne de Syrie. Puis c’est le Maroc, le Rif de 1925 à 1927 date de sa nomination au grade de capitaine qui, avec cinq citations et la croix de chevalier de la Légion d’honneur sanctionnent un heureux départ dans la carrière des armes.
Chef d’escadron en 1940, il est blessé grièvement dans les Vosges au cours des tout derniers combats.
Il n’accepte pas l’humiliation de la défaite. À peine rétabli. il obtient de partir outre-mer, résolu à saisir la première occasion de reprendre la lutte. Il est lieutenant-colonel en A.O.F. en 1942. Il y affiche courageusement ses convictions en refusant de siéger dans un tribunal qui doit condamner des Français Libres. On l’envoie en pénitence au Niger. Le jour du débarquement allié en A.F.N. il proclame que l’A.O.F. doit s’engager dans la guerre ; on le met aux arrêts de forteresse. Indésirable en A.O.F., on le mute au Maroc : c’est l’occasion tant attendue de rejoindre le général de Gaulle et de lui demander une place au combat.
Il l’obtient. Quelle place! Celle du lieutenant-colonel Laurent-Champrosay qui vient de tomber en Italie à la tête du 1er régiment d’artillerie qu’il a formé avec les fils les plus divers de notre Afrique noire, des cadres d’active et de réserve exemplaires et une phalange de jeunes gens échappés de France pour trouver en Angleterre puis en Afrique les armes qui leur permettront de revenir chez eux en vainqueurs. Ainsi, le colonel Bert commande l’artillerie de la 1re D.F.L. Cette grande unité qui sous Kœnig s’est signalée quand au plus noir de notre nuit, à Bir-Hakeim, elle a barré à l’Afrika Korps de Rommel la route du Caire et d’Alexandrie.
Elle débarque en Provence, connaît le plus exaltant des étés à travers la France libérée. L’automne la voit en Franche-Comté. Elle piétine, elle se bat très dur. Elle fait tomber Belfort et entre en Alsace, l’Alsace ou le colonel Bert va conduire le plus acharné, le plus efficace, le plus essentiel de ses combats, ici, tout contre Strasbourg à nouveau menacée dont les habitants à peine libérés recommencent à trembler et partent sur les routes comme en 1940.
En effet Rundstedt a lancé une contre-offensive dans les Ardennes. Il avance. Pour l’arrêter, on dégarnit l’Alsace avant d’avoir entièrement bordé le Rhin. Le 2 janvier, la 1re D.F.L. relève la 2e D.B. Son secteur s’étire de Plobsheim jusqu’à Sélestat plus loin même, jusqu’à Ostheim, Hunawihr. On la renforcée notamment de la brigade Alsace-Lorraine au Nord. Le 5 janvier la 198e division et la Feldemhalle blindée renforcent l’ennemi au contact et font peser une lourde menace. Les alliés voudraient évacuer l’Alsace. De Gaulle décide que s’ils le font, les Français la défendront seuls et l’on se bat à Rossfeld, à Herbsheim, à Reussern, à Osthouse, à Sand.
Le 7, on évacue Boofzheim. Dans Obenheim, un bataillon est isolé. Si l’ennemi parvient à franchir le canal à Krafft, plus rien ne l’arrêtera sur les treize kilomètres qui le séparent de Strasbourg. Le 8 on essaie vainement de dégager Obenheim, le 9 et le 10 la pression allemande est très forte. Obenheim flambe et tombe le 11. Le 12 on décroche de Rossfeld et d’Herbsheim. À Erstein et à Benfeld les ponts sur l’Ill son menacés. L’artillerie du colonel Bert a beau avoir été renforcée de cinq groupes, il lui faut faire des prodiges pour appuyer la division sur plus de 50 km de front.
La contre batterie fait rage, des saboteurs coupent nos lignes. Toute l’infanterie est engagée, la prévôté est répartie dans les unités de l’avant pour compenser les pertes en cadres. Les artilleurs tirent le canon sans relâche et doivent protéger eux-mêmes leurs positions de batterie.
Le 14 l’ennemi tente d’enlever Huttenheim mais il a été décimé, l’aviation l’accable.
Le 15 la Feldernhalle, la 198e et plus au sud la 26e division, la division 55 ont cessé d’attaquer.
La victoire tient du miracle. « La 1re D.F.L. aura sauvé Strasbourg après que la 2e D.B. l’a prise » écrit Leclerc à Garbay.
5achons nous en souvenir au moment d’adresser un ultime adieu à celui qui fut un des principaux artisans de ce succès acquis chèrement, en s’accrochant au terrain, en le défendant pied à pied dans la boue, la neige et le feu.
Les sacrifices qui ont été consentis par la 1re D.F.L. dont témoigne, parmi d’autres, le cimetière militaire d’Obernai ont épargné à l’Alsace les représailles qui auraient immanquablement accompagné sa reconquête. C’est pourquoi tant de villages et tant de bourgs éprouvés par les combats honorent la mémoire de ceux qui sont tombés chez eux. C’est pourquoi ils accueillent fraternellement les camarades qui reviennent pour se souvenir.
Après cette bataille le colonel Bert a engagé son artillerie pour la libération de Colmar puis il l’a conduite dans les Alpes où l’on s’est battu jusqu’à l’armistice.
Il a été nommé général ; dix fois cité, il a été élevé à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur.
Soldats du 153e d’infanterie, c’est pour cette dernière raison que vous lui rendez les honneurs militaires ici. Puissiez-vous ne jamais connaître la guerre, ses violences, ses haines, ses désastres et ses injustices. Mais rappelez-vous qu’en choisissant de reposer parmi ceux qu’il a défendus et qui l’accueillent aujourd’hui dans leur terre, le général Bert vous a aidés à comprendre qu’il peut être juste de se battre et nécessaire de vaincre. »
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 218, janvier-février-mars 1977.