Pierre Julitte
Compagnon de la Libération
En tant que chancelier de l’ordre de la Libération et président de l’Association des Français Libres, j’ai le pénible devoir de rendre un dernier hommage à notre compagnon Pierre Julitte, qui a appartenu à cette petite phalange d’hommes et de femmes qui n’ont pas désespéré de la France quand tout semblait perdu.
Il fut, en effet, un des premiers à répondre à l’appel à la résistance lancé de Londres en Juin 1940 par le général de Gaulle.
Il était membre d’une famille où le service de la patrie constituait une impérieuse obligation. Son père avait fait la Première Guerre mondiale comme officier de liaison auprès de l’armée britannique, il avait été à nouveau mobilisé en 1939 (officier de la Légion d’honneur à titre militaire et titulaire de la Military Cross).
C’est à la suite de démarches de son père que Pierre Julitte fut appelé à la mission de liaison franco-britannique. Ainsi, en décembre 1939, il fait l’objet d’une citation en raison de ses services d’officier de transmission. Devenu officier de liaison auprès du brigadier général Crocker de la 1re armoured division, il se distingue en effectuant à plusieurs reprises des missions périlleuses.
Dès le 16 juin 1940 donc, refusant d’abandonner la lutte, il s’embarque avec les derniers échelons britanniques pour rejoindre le général de Gaulle le 21 juin.
Pierre Julitte ne concevait pas après l’effondrement des armées françaises que la bataille pour la liberté puisse se terminer pour autant.
La Grande-Bretagne constituait à ses yeux la base de départ la plus favorable pour la libération du territoire national.
L’issue du conflit lui apparaissait alors sous la forme d’un dilemme, d’un côté la victoire alliée, de l’autre la défaite, c’est-à-dire écrit-il, l’asservissement définitif à l’Allemagne nazie et, dans ce cas, la vie ne mériterait plus d’être vécue ni pour sa famille, ni pour lui-même.
Dès son arrivée à Londres, le général de Gaulle lui confia la responsabilité très importante de l’ensemble des transmissions de la France Libre.
Il participe à ce poste à l’expédition de Dakar, qui se termina par un échec.
À Douala, puis à Brazzaville il est chef des transmissions de la France Libre, mais les théâtres d’opérations lointains ne lui suffisent pas, et il souhaite ardemment participer à la Résistance sur le territoire national.
En mars 1941, en mission à Londres, il met sur pied le plan des liaisons à réaliser entre l’état-major du général de Gaulle et la Résistance intérieure.
En mai 1941, il est parachuté en France pour mettre ce plan en œuvre et il devient rapidement un des éléments essentiels du premier réseau de renseignements de la zone Sud, le « CND ».
Se dépensant sans compter, amenant au réseau des éléments qui en feront plus tard les cadres responsables de toutes les liaisons radio, toujours de tous les coups durs il est « brûlé » en mars 1942 et rejoint Londres sur ordre. Il travaille alors à l’état-major du BCRA, mais ces occupations s’accordent mal avec son tempérament de lutteur.
Aussi en novembre 1942 débarque-t-il clandestinement sur la Côte d’Azur pour une mission Action, mais la Gestapo le traque, le poursuit et finit par s’emparer de lui en février 1943.
Simultanément son père, sa mère et sa sœur sont arrêtés par la Gestapo et mis au secret comme otages. Ils sont libérés après son arrestation.
Son père devait par la suite perdre une jambe dans les combats de la Libération.
Emprisonné à Fresnes, Pierre Julitte est déporté successivement à Neuebrene, Buchenwald, Dora et Bergen-Belsen.
Il ne cède jamais, continuant, du fond de ces camps, sa tâche qu’il ne juge jamais finie.
Pierre Julitte a été le héros d’une des plus extraordinaires histoires de la Résistance. Il nous raconte dans son très beau livre L’Arbre de Goethe comment, dans cet univers concentrationnaire, dans le pitoyable troupeau qui le peuple, quelques déportés français se regroupent.
Pour eux, comme pour les autres, le manque de nourriture, l’épuisement, le froid et la maladie sont des préoccupations majeures, mais comme l’écrit Joseph Kessel dans la très belle préface de l’ouvrage « malgré leur affreuse condition, leurs bourreaux n’ont pas réussi à les dégrader complètement ; chez eux, le feu spirituel n’est pas éteint ».
Il suffira d’une circonstance exceptionnelle pour les inciter à reprendre la lutte contre les nazis.
Près du camp, en effet, commence à fonctionner une usine très particulière. On recrute pour elle, parmi les déportés, des ingénieurs, des spécialistes, des techniciens.
Certains déportés s’interrogent sur l’objet de leur travail ; il s’agit de la réalisation d’armes secrètes.
Ainsi quelques-uns d’entre eux sous la direction de Pierre Julitte n’ont plus qu’une idée : saboter et détruire l’usine et progressivement mettre en place le complot qui leur permettra de réaliser leur objectif.
Pierre Julitte se fait employer à l’usine avec quelques-uns de ses camarades. Ils parviennent, grâce à Marcel Sailly, à signaler la position exacte de l’usine aux Alliés qui la détruisent par bombardement aérien.
Ainsi de misérables déportés allaient ruiner les efforts de savants et d’industriels allemands et détruire des fusées puissantes dont l’emploi aurait probablement modifié le cours de la guerre.
Pierre Julitte fut libéré le 15 avril 1945 par l’avance alliée et promu lieutenant-colonel à la fin de la guerre.
Pour reconnaître tant de courage et d’héroïsme, le général de Gaulle lui décerna la croix de la Libération par décret en date du 12 septembre.
La paix revenue, Pierre Julitte fut membre de l’Assemblée consultative provisoire à son retour de déportation, mais désirant conserver son indépendance et sa liberté d’expression il n’était pas intéressé par une carrière politique.
Ingénieur de l’École supérieure d’électricité et ingénieur du corps du génie rural, il fut détaché de ce corps au ministère des Affaires étrangères et envoyé en novembre 1945 en zone française d’occupation en Allemagne comme directeur du cabinet de Claude Hettier de Boislambert, gouverneur de Rhénanie-Palatinat, puis en 1948 comme délégué de la haute commission alliée pour la province de Trèves.
En 1951, il prend sa retraite comme ingénieur général honoraire du génie rural et entreprend ensuite une carrière privée.
L’énumération de tous les dangers courus, de toutes les responsabilités assumées avec distinction et efficacité ne donne pas une physionomie complète de la personnalité exceptionnelle de Pierre Julitte.
Je voudrais évoquer aussi sa rectitude morale, sa franchise, sa disponibilité et son souci des autres.
Commandeur de la Légion d’honneur.
Compagnon de la Libération.
Rosette de la Résistance.
Croix de guerre 1939-1945 avec cinq citations.
Membre du British Empire.
Commandeur de l’ordre de la Couronne de chêne luxembourgeoise.
Vous resterez pour nous une des plus pures figures de la France Libre et l’ordre de la Libération auquel vous attachez une dévotion toute particulière conservera pieusement votre mémoire.
Je souhaite de tout coeur que l’affection de vos camarades de combat et de vos amis, qui sont ici avec vous ou par le coeur et la pensée apporte à votre famille quelque réconfort dans leur grand malheur.
Allocution du général d’armée Jean Simon
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 275, 3e trimestre 1991.