Paul Chenailler, Compagnon de la Libération
Nous avons appris la mort de notre camarade Paul Chenailler, compagnon de la Libération (ex-colonel Morice, Résistance-Morbihan). Le colonel Bourgoin assistait aux obsèques, représentant les Compagnons de la Libération et l’Association des Français Libres. Nous retransmettons, ci-dessous, le texte du discours qu’il a prononcé :
Nous portons aujourd’hui en terre celui qui fut notre ami et notre compagnon d’armes, Paul Chenailler, le colonel Morice, l’âme et l’organisateur de la Résistance dans le Morbihan.
Je l’ai rencontré pour la première fois, il y a seize ans, dans ce même mois de juin, tout près d’ici, sur cette terre bretonne qu’il aimait tant.
Après des années d’attente, nous étions enfin parachutés pour la libération du territoire sur la ferme de la Nouette, chez les Pondard où il avait établi son P.C. Les Bretons nous attendaient comme une grande et décisive cérémonie nocturne.
Son fanion frappé de l’hermine et de la croix de Lorraine date d’alors. Il fut fait avec la soie de nos parachutes.
Dès les premiers contacts, dès que je vis ces airs décidés, cette foi dans les regards, dès que je pus évaluer la qualité de leur chef, celui qui va reposer ici, je compris que, de la conjugaison de cette armée de l’ombre qui s’était constituée sur le territoire et celle de la France Libre dont nous étions l’avant-garde, ne pouvait résulter que la victoire et la libération.
De cette époque subsiste, sur le lieu même où se livrèrent les grandes batailles, un monument de granit qui rappellera longtemps ce que furent ici les combats de la Résistance.
Cette Résistance du Morbihan, les 15.000 morts que déplore cette province, il les personnifiait toujours avec modestie et sans plus jamais en parler. Il est des hommes, ainsi, qui ont de leurs mains fait de l’histoire, de la belle histoire de France pétrie de courage et de sacrifice et puis sont rentrés dans le rang comme à l’issue d’une tâche quotidienne.
Est-il besoin de retracer sa vie pour nous tous qui sommes ses amis et la connaissions ?
Il était né à Paris le 6 mai 1904 ; il était capitaine au long cours et lieutenant de vaisseau de réserve quand la guerre éclata. Après avoir servi dans la reconnaissance au Havre, il fut contraint de se replier sur Cherbourg puis de gagner Casablanca sur l’aviso dragueur Marie-Gilberte qu’il commandait alors. Démobilisé au Maroc, il fut rapatrié sur la France et affecté au ravitaillement général du Morbihan en 1941.
Dès cette époque, il s’occupa de la Résistance qu’il devait si magistralement organiser par la suite.
Devenu le colonel Morice, il harmonisa les forces dispersées du maquis et réussit à en faire une armée clandestine homogène de 12.000 hommes, celle que nous trouvâmes en arrivant ici.
Puis vinrent les premiers combats de la Libération, combats dont l’ordonnance fut faussée par la tempête qui paralysa le débarquement, combats qui ne devaient durer qu’une semaine, qui durèrent deux mois et dont Saint-Marcel fut le plus sanglant.
Traqué, recherché à la fois par la milice, la Gestapo et l’armée, jamais il ne quitta le maquis, regroupant les sections dispersées, reprenant les contacts perdus, distribuant et acheminant les armes et les munitions et réussissant, malgré le désarroi des nôtres, à donner à l’innombrable armée allemande qui couvrait le pays l’apparence d’une armée traquée qui n’osait plus rien faire, même plus se déplacer sans engager des effectifs considérables.
Il m’est impossible de me remémorer cette phase de la bataille sans associer au nom du colonel Morice, leur chef, tous ces maquisards bretons qui jamais ne baissèrent les yeux et jamais ne refusèrent la lutte si inégale fut-elle : soldats des fougères et des chênes, qui se cachaient le jour et se déplaçaient la nuit, petites agentes de liaison qui transportaient sur leurs vélos le matériel et les documents les plus compromettants tout en sachant que, prises, elles n’avaient que la mort à attendre et quelle mort ! Fermiers qui nous recevaient dans les nuits obscures, nous nourrissaient, nous cachaient, assuraient nos contacts, sans souci du danger que nous traînions avec nous à chacun de nos pas.
Il m’est impossible de me remémorer cette phase de la bataille sans associer au nom du colonel Morice celui de sa femme qui ne le quitta guère et qui, l’humeur toujours égale, partagea, sans faiblir, sa vie d’homme traqué, de ses fils qui participèrent, comme en jouant, à bien des histoires meurtrières. Je les ai vus, alors que l’aîné avait à peine quinze ans, nous rapporter les précieux postes qui nous liaient directement à Londres, les boches traînant les cadavres de leurs morts étant encore en vue.
Le colonel Morice, après le 6 août, après que nous avions établi notre liaison avec l’armée américaine, tint le front de Lorient et de la Vilaine avec le général Borgnis-Desbordes, puis adjoint au commandant de la 19e D.I., il se fit démobiliser ; la guerre étant terminée, il rentrait dans le rang avec le grade de capitaine de frégate ; entre autres nombreuses décorations, il était officier de la Légion d’honneur, Compagnon de la Libération, avait une croix de guerre lourde de palmes, la rosette de la Résistance, et les Anglais avaient tenu à lui manifester leur admiration en lui décernant leur plus belle décoration de guerre, la D.S.O.
Devenu directeur d’industrie, il apporta à la gestion de son affaire le même souci de compréhension et les mêmes sentiments humains, et ses ouvriers et employés peuvent témoigner que M. Chenailler était digne du colonel Morice.
Maintenant vingt ans presque jour pour jour, après l’Appel du 18-Juin, alors que nous avons encore dans l’oreille les sonneries qui marquèrent avant-hier l’ensevelissement de 16 martyrs de la Résistance dans la crypte du mont Valérien, Paul Chenailler, le colonel Morice nous a quittés. Il a trouvé bien trop jeune hélas ! un repos qu’il n’avait pas connu sur cette terre.
Patriote fervent, combattant courageux, fils, époux et père exemplaire, ami loyal, patron estimé, il reste un exemple pour tous ceux qui l’ont connu.
Sa mère, qui ne comprend pas encore qu’il soit parti, sa veuve, ses fils savent que nous sommes tous avec eux dans l’épreuve qu’ils traversent.
L’ordre de la Libération, l’Association des Français Libres, les parachutistes S.A.S. m’ont chargé de leur manifester la grande affection de tous ses frères d’armes.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 127, juillet-août 1960.