Les parachutistes Français libres du SAS
Après ce formidable succès, David Stirling se lancera avec ses Jeeps dans un harcèlement permanent des arrières ennemis, y créant un maximum d’insécurité afin de favoriser la poursuite victorieuse de l’offensive de la VIIIe Armée de Montgomery, lancée depuis El Alamein. Il continuera son action en Tunisie. C’est là qu’un matin, il sera pris. Quelques jours plus tard, Jordan tombera à son tour aux mains de l’ennemi. Tous deux rejoindront Bergé à la fameuse forteresse de Colditz où les Allemands l’ont enfermé.
Ainsi, par la force des choses, dans cette rétrospective, je ne vous parlerai plus directement d’eux. Alors avant de les quitter seulement dans ce discours, je veux dire à David Stirling que nous avons la joie et l’honneur d’avoir ici, parmi nous, entouré de ses camarades de combat et d’infortune, Bergé et Jordan, d’abord notre admiration pour les formidables victoires grâce à lui obtenues dans cette lutte contre la Luftwaffe. Parce que plus de 400 avions ont été détruits par ses SAS, Montgomery dira plus tard que cela a pesé très lourd dans la bataille contre l’Afrika-Korps de Rommel. Ensuite, notre immense reconnaissance pour avoir donné aux parachutistes de la France Libre, la possibilité de se battre dans de si extraordinaires conditions et d’être associés à tant de succès.
Notre gratitude aussi au général Bergé, héros de la première mission en France qui a permis que sa première compagnie devienne le « French Squadron », et à son successeur Jordan, qui fut de toutes les missions en Libye jusqu’à sa capture en Tunisie.
La suite va donc se faire sans eux, car la guerre continue. Nous sommes en 1943, et une page va être tournée. Après la défaite totale de l’Afrika-Korps, c’est en Italie que le Special Air Service avec un nouveau régiment (2e SAS), poursuivra ses missions, sous le commandement de Bill, frère de David Stirling. Parmi eux, un nouveau « French Squadron » qui lui a été incorporé, commandé par le capitaine de Sablé. C’est lui qui réduira les défenses de l’île de Pantaleria, position stratégique entre la Tunisie et la Sicile.
De la Sicile en mai 1943, jusqu’au Brenner en Autriche, en février 1945, les sticks du 1er SAS seront parachutés derrière les lignes ennemies pour préparer les grandes offensives alliées dans la péninsule. Il n’est malheureusement pas possible de vous décrire cette succession de formidables aventures pour ces hommes qui se sont battus seuls, loin des lignes amies. La liste est longue de ceux qui ont trouvé la mort dans les campagnes italiennes.
De leur côté, les rescapés du French Squadron de Libye sont ramenés en Angleterre où il vont aider par leur expérience à la formation et l’entraînement de tous les volontaires évadés de France ou venus d’Afrique du Nord et de Corse, pour former deux régiments qui seront intégrées au « Special Air Service », devenu, en ce début de 1944, une « Brigade » se composant de deux régiments britanniques [1er et 2e SAS] et deux français [3e et 4e RCP / SAS]. En avril une compagnie belge viendra compléter l’effectif. Pour tous, c’est l’attente du débarquement.
Début juin, le colonel Bourgoin apprend que le 4e SAS aura l’honneur d’être le premier engagé dans « Overlord » nom de code de la bataille de la Libération, avec mission de bloquer en Bretagne les unités allemandes qui y sont concentrées, afin de les empêcher d’aller renforcer le front de Normandie.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, Deplante, Marienne, Botella, Deschamps et leurs hommes seront parachutés. Une heure après son atterrissage, l’équipe radio de Marienne repérée, est décimée. Émile Bouétard sera ainsi le premier mort allié de l’opération du débarquement.
Pendant des semaines, avec le concours des maquis, partout en Bretagne, les SAS vont faire régner l’insécurité au prix de pertes dramatiques car les réactions allemandes sont aussi violentes qu’impitoyables. Le 18 juin à Saint-Marcel, la base Dingson, créée avec le concours des forces de l’intérieur, doit être abandonnée après une dure bataille qui coûtera très cher à l’ennemi. Un peu plus tard, Marienne, trahi, sera abattu ainsi que ses camarades, par la Gestapo. Aux derniers jours des combats en Bretagne, Ithuria et Fauquet qui étaient avec Stirling et Jordan à Sidi Hanneisch, trouveront la mort.
Mais, parallèlement à cet engagement en Bretagne, dans le cadre de la bataille de la libération, partout en France les SAS sont en action. Britanniques, Belges, Français du 3e SAS avec Conan, sont parachutés dans toutes les régions. Mais comment vous décrire ou seulement évoquer ces missions accomplies sur notre sol. Il y eut tant d’exploits, il y eut tant de deuils, comme pour le groupe britannique du capitaine Tonkin largué, lui aussi, dès le 5 juin près de Montmorillon ; parti avec 40 hommes du 1er SAS, 33 trouveront la mort, lâchement fusillés.
C’est Sicaud et sa compagnie du côté de Pont-de-Roide, après une mission en Bretagne c’est le major Frank qui avec une centaine de SAS mènera la mission Pistol-Loyton à laquelle participera notre camarade Pichon. Il perdra 25 hommes tués ou fusillés.
C’est Fournier en Vendée, c’est Vauthier dans la Vienne. Depuis des semaines aussi, les sticks de Colcombet, Porot, Rouan, Akar, Gayard, Ferchaud, Barres, Zermati et d’autres, désorganisent les voies de communication et montent des embuscades particulièrement meurtrières. En Saône-et-Loire, c’est Conan lui-même qui, dans le Lyonnais, crée l’insécurité avec une partie du 3e SAS qu’il commande.
Mais c’est aussi l’épopée du capitaine de Combaud à la tête de ses Jeeps armées qui ont repris la tradition de Libye. Profitant d’une attaque alliée à Avranches, il s’est infiltré, avec ses véhicules, en territoire occupé. Roulant de nuit, rusant avec l’ennemi, il a livré des voitures aux sticks prévus pour les renforcer dans leur combat. Lui-même avec quatre Jeeps est arrivé en Saône-et-Loire, région de son enfance, celle aussi où ses amis Jarrot dit « Goujon » et Mary Basset, héros de la Résistance, qu’il a rencontrés en Angleterre lors de leurs voyages clandestins, ont la responsabilité des forces de l’intérieur locales. Associées aux embuscades tendues à l’ennemi, les jeeps vont en multiplier l’efficacité.
Le 3 septembre, l’ordre est donné de bloquer toute retraite à un convoi qui va se former dans la nuit à Sennecey-le-Grand pour se replier. Guy de Combaud décide de l’attaquer et le 4 septembre, au petit matin, les quatre Jeeps, leur capitaine en tête, vont prendre cette petite route au bord de laquelle nous nous trouvons. Aucune ne reviendra, car après avoir détruit le convoi prêt au départ dans la rue principale, en le mitraillant à bout portant de toutes ses armes, la voie de dégagement prévue s’avérant bloquée, les jeeps ne peuvent que reprendre le chemin de l’aller. Une à une, elles sont détruites. Seule la quatrième traversera, véhicule fou, le barrage de feu, avec ses hommes grièvement blessés. Joseph Tramoni et Alexis Baude seront miraculeusement sauvés par des résistants qui les récupéreront et les évacueront dans les forêts proches.
C’est en souvenir de ce fait d’arme que le mémorial a été érigé à Sennecey-le-Grand, en bordure de ce chemin que Guy de Combaud, père de six enfants, et ses camarades avaient emprunté pour aller vers leur destin.
Fin septembre, les missions en France sont terminées, notre pays est en grande partie délivré. Les SAS sont ramenés en Angleterre pour s’équiper à nouveau et entraîner les jeunes volontaires, la plupart venus des maquis où, depuis des mois, les combats ont été menés ensemble. C’est eux qui vont combler les pertes cruelles qui ont accompagné les succès de toutes les opérations.
Au printemps 1945 la fin de la guerre est proche. Sur tous les fronts l’armée allemande recule. Mais alors que d’aucuns pensent que les SAS n’auront plus l’occasion d’être engagés, début avril, c’est à nouveau l’effervescence et l’envoi au camp secret, prélude habituel des départs en mission. Le général Calvert qui commande la brigade vient de décider que dans la nuit du 7 au 8 avril tous les sticks des 3e et 4e SAS sous les ordres de De Bollardière et Puech-Sanson seront parachutés en Hollande, en avant-garde des blindés canadiens bloqués à Coeverden.
À quelques semaines de la fin de cet épouvantable conflit, à quelques semaines de la victoire des armées alliées, les SAS vont être lancés dans une ultime mission. Fidèles à leurs engagements ils en accepteront tous les risques et se battront, là aussi, jusqu’au dernier sacrifice.
Ce sera Betbeze lançant ses hommes à l’assaut d’un QG allemand à Westerbork. Ce sera Taylor, si jeune avec ses galons de lieutenant, tué d’une balle en pleine tête. Ce sera Judet qui a échappé, en Bretagne, à l’exécution près de son chef Marienne. Cette fois, il n’y aura pas un deuxième miracle. Il sera fusillé et ne connaîtra jamais le fils que sa femme, en Angleterre, vient de lui donner.
Ce sera Valayer et son stick. Refusant de se rendre, ils périront brûlés vifs dans la grange où ils s’étaient repliés.
Ce sera Rouan, Caïtucoli et leurs hommes encerclés dans une ferme à 150 kilomètres des lignes, qui n’accepteront pas de répondre aux ultimatums répétés exigeant leur reddition. Ils tenteront une sortie désespérée et meurtrière lorsque le feu sera mis à leur grange. Ils étaient partis à 15. Onze seront blessés dont certains grièvement. Rouan la poitrine transpercée ne sera sauvé que par miracle.
Aujourd’hui, à Assen, un monument rappelle aux Hollandais, avec les noms de tous leurs morts inscrits dans la pierre, le sacrifice, en ces derniers jours de guerre, des parachutistes français du « Special Air Service » qui, jusqu’au bout ont respecté la tradition du combat SAS. « Qui ose gagne » était leur devise. Ils ont osé en permanence. Ils ont gagné souvent. Mais ils l’ont payé très cher. Toujours.
Jeunesse de France, jeunesse de tous les pays, puissent ces combats exemplaires brièvement évoqués, rester en vos mémoires. Puissiez-vous ne jamais oublier ce qu’avec courage, générosité, désintéressement, détermination ces hommes de 20 ans destinés à une mort en milieu ennemi, souvent torturés et fusillés, ont volontairement accepté comme sacrifice, pour qu’un désastre se transforme en victoire et que la France retrouve son honneur, pour que l’asservissement soit vaincu et que l’Europe retrouve sa liberté.
Liberté, ce bien unique et précieux que vous avez eu la chance de toujours connaître depuis, mais dont on ne mesure, hélas, la vitale nécessité que lorsqu’on l’a perdue. Parce qu’ils vous l’ont léguée au prix de leur vie, alors nous vous le demandons, ne l’oubliez jamais.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 264, 4e trimestre 1988.