L’étrange mystère du commando Trepel
par le VAE (CR) Chaline – président de l’AFNFL
L’événement marquant pour la marine de la France Libre en 1944, c’est bien sûr le débarquement auquel vont participer toutes les unités combattantes des Forces navales en Grande-Bretagne, et qui est évoqué ailleurs dans ces pages.
Je voudrais ici rendre hommage au capitaine Trepel et aux cinq hommes du 1er BFM Commandos qui l’accompagnaient, le second maître Magneray, les Q/M Rivière, Cobanella, Guy et un radio, en relatant le raid fatal et mystérieux de la nuit du 27 février 1944.
D’octobre 1943 à mars 1944, divers raids de sondage étaient confiés au 1er BFM Commandos du commandant Kieffer. Le capitaine Charles Trepel, officier en second du bataillon, avait insisté pour commander un raid de sondage (nom de code Premium) prévu sur la côte hollandaise. Trepel était un officier très doué ; sa connaissance des langues était remarquable : il parlait couramment français, anglais, allemand, russe et néerlandais. Sa mission était de rapporter le maximum de renseignements sur les défenses ennemies situées dans une zone au nord de Scheveningen, en particulier :
– sur la plage ;
– à l’intérieur des terres jusqu’au canal Aankver ;
– sur les possibilités de traverser ce canal ;
– sur les mouvements et heures de patrouille de l’ennemi.
Ce raid devait se passer si possible sans accrochage avec l’ennemi et ne laisser aucune trace du passage des commandos.
L’équipe de raid embarquait à 16 heures le 27 février 1944 à Great Yarmouth (côte est de l’Angleterre) sur une vedette rapide, la MTB 682. Parvenus à environ 700 mètres de l’objectif avec un retard de deux heures sur l’horaire, les commandos prenaient place à 1 h 20 dans un doris propulsé par un moteur silencieux, armé par deux hommes et remorquant un petit radeau plus léger. À 30 mètres de la plage, le doris mouillait, l’équipe embarquait dans le petit radeau et touchait la plage à 2 heures après avoir filé au fur et à mesure de son avance une ligne pour permettre un retour plus rapide vers le doris. Au moment où le commando passait du doris au radeau, des fusées colorées de signalisation étaient aperçues dans le ciel côté terre au nord et au sud du point de débarquement puis, lors de la mise à terre, des fusées éclairantes apparaissaient au-dessus de la plage, enfin l’armement du doris constatait qu’il y avait du « mou » dans la ligne le reliant au radeau. Un quinzaine de minutes plus tard, des hurlements « hystériques » troublaient par intermittence et pendant environ trois quarts, d’heure le silence de la nuit ? Mais aucun coup de feu ne se faisait entendre.
Les fusées éclairantes continuaient à illuminer la scène par intervalles jusqu’à 4 heures, faisant apparaître pour un moment les silhouettes de trois hommes sur la plage. Le doris s’écartait par précaution à une centaine de mètres.
À 5 heures, heure limite prévue pour le retour, le doris ralliait la vedette, sans avoir eu le moindre signe de vie de l’équipe de raid depuis son débarquement. À 5 h 10, la MTB appareillait pour Yarmouth ? Qu’elle atteignait à 10 heures le 28.
Pendant les mois qui suivirent, le commandant Kieffer attendit en vain le retour au moins d’un survivant. Après la libération des Pays-Bas et la découverte sur les lieux du raid de six tombes, le fossoyeur des environs de Scheveningen, qui avait été réquisitionné pour enterrer les corps de six commandos français, répondait aux officiers qui l’interrogeaient qu’aucun des corps ne portait de trace de balles, mais que leurs visages indiquaient qu’ils avaient terriblement souffert.
Que s’était-il passé ?
On peut penser que les Allemands ont eu connaissance du raid et ont capturé dès leur débarquement les commandos sans que ceux-ci aient pu faire usage de leurs armes ou de la radio qui les reliait au doris.
Le raid était planifié de longue date, sous un autre nom, depuis le début de l’hiver 1943-1944.
L’opération Premium aurait dû avoir lieu dans la nuit du 24 au 25, mais par suite d’une panne du système de radio-navigation, elle avait été annulée à 10 milles des côtes hollandaises.
Le retard de deux heures dans l’exécution de l’opération était dû à la rencontre d’un convoi ennemi dans le voisinage du point de débarquement et à une nouvelle défaillance du système de radio-navigation.
Les fusées colorées tirées au moment du transbordement sur le radeau paraissent indiquer que l’ennemi était alerté et auraient dû rendre le commando particulièrement méfiant.
Lorsque l’équipage du doris avait halé la ligne « molle » le reliant au radeau, il avait constaté que le bout était sectionné. Or la règle était, en présence de l’ennemi, de couper le filin pour permettre au doris de retourner plus rapidement à la vedette – L’ennemi était-il alors sur la plage au moment où le radeau s’échouait ? Mais pourquoi pas un mot sur la radio, pas un cri, pourquoi ne pas rebrousser chemin vers le doris qui n’est qu’à 30 mètres ?
Les hurlements « hystériques » n’étaient-ils pas des cris poussés sous la torture ?
Des documents britanniques relatifs à l’opération Premium sont accessibles au public ; notre camarade l’amiral Zang a pu en prendre connaissance, mais aucune explication n’a été fournie. Les Allemands, de leur côté, n’ont donné aucune version de l’affaire.
Le mystère reste entier.
Extrait de la Revue de la France, n° 285, premier trimestre 1994.