Mouchotte a refusé la défaite
Le 17 juin 1940, René Mouchotte commence la rédaction de ses carnets. Il la poursuit jusqu’à sa mort, le 9 janvier 1943. Dans ces carnets, il évoque les événements quotidiens, qu’il agrémente de réflexions personnelles, de photographies et de coupures de presse.
Oran. Juin 1940
Lundi 17 juin
Je viens d’apprendre par la radio l’incroyable nouvelle de la capitulation de Pétain. C’est tellement inconcevable qu’on reste là, les membres brisés, à s’imaginer mille choses, un rêve, une erreur, une propagande, pour tenter de faire s’évanouir l’horrible cauchemar. L’impitoyable T.S.F. achève de briser la résistance de nos nerfs trop tendus en faisant résonner une Marseillaise vibrante, le dernier appel d’une France hier libre.
De ma vie, je ne me rappelle avoir ressenti une émotion aussi intense et douloureuse. On voudrait courir, montrer à tous qu’on a encore une force, une énergie pour continuer à combattre. La France doit rester la France et son cœur bat toujours, malgré ceux qui veulent l’assassiner sans lui permettre de lutter. Un grand dégoût nous saisit pour ces vingt années passées depuis 1918, où la France fut le jouet d’une bande d’arrivistes qui se bousculèrent les uns les autres pour tenir à leur tour les rênes de l’État. De gauche, de droite, ils ont tous concourus pour faire du théâtre politique un spectacle de querelles, de désordres et de honte.
Et voici aujourd’hui le bilan de leur œuvre. Pourquoi donc se sont battus nos anciens, pour la recherche d’un idéal ? En 1919, on s’arrangeait déjà pour que ces « anciens combattants » n’aient pas le droit de regard sur les affaires de l’État. On évinçait ces gêneurs, eux qui pendant quatre ans ont souffert mille morts pour conserver à la France sa liberté. S’ils avaient su qu’on saboterait leur victoire, ils auraient continué à lutter, contre un ennemi intérieur, plus fourbe, plus lâche…
16 heures.
Ce n’est pas possible, nous reprenons nos esprits, la France ne peut ainsi être vaincue, même si elle fut la malheureuse victime de saboteurs et de traîtres. Il reste, Dieu merci, des hommes d’énergie qui ont encore une foi et un cœur. Il en sera bien un pour ranimer les courages défaillant devant de honteux exemples…
L’Afrique du Nord va se désolidariser de la métropole et, les armes à la main, tiendra bon. Quelles vont être les clauses de cet armistice ? Qui croire maintenant ? Le maréchal Pétain, cette vivante légende, on s’en est servi comme d’un drapeau. On a fait appel à ses services alors que la situation s’avérait désespérée. Que pense-t-il ? Ce qu’il va nous commander de faire est-il en rapport avec ce que son cœur de Français nous supplie de faire ?…
Extrait de : René Mouchotte, Mes Carnets, juin 1940-août 1943, Service historique de l’armée de l’Air, 2000.