La Maison de France est… votre maison (14 juillet 1942)
Beaucoup d’entre vous, chers auditeurs, assisteront sans doute, à la fête organisée au Plaza ce soir, fête qui clôturera la série des manifestations françaises, élaborées en vue de commémorer ce grand jour du 14 juillet.
Vous y verrez, évoquées dans un cadre approprié, les principales provinces de France, et au cours d’une apothéose patriotique, une « Marseillaise Vivante » chantera l’hymne national caractérisant ainsi l’âme de la France.
Je ne vous en dirai pas davantage, afin de vous laisser toute la surprise qui vous attend.
En ce jour anniversaire des grandes libertés françaises, est-il un thème qui serait mieux accueilli que celui ayant trait au rôle joué par « les Marseillaises vivantes » au cours de l’histoire de la France ?
Nous pensons donc vous intéresser en vous parlant aujourd’hui, de ces interprètes dont l’histoire a retenu les noms, et qui ont tant de fois soulevé l’enthousiasme des foules.
Les Marseillaises vivantes
Dans tous les coins de la terre où la France a son drapeau, doit retentir le célèbre refrain qui jouit dans le monde d’un prestige indiscutable avec ses strophes enflammées et sa musique trépidante. Que de Français sont morts et mourront encore aux accents irrésistibles de la Marseillaise. Mais, si la fanfare qui passe empoigne ainsi le cœur le moins émotif, que dire de l’ascendant qu’ont exercé les « Marseillaises vivantes » sur les populations !
Décrété chant national par la Convention de 1798 (1), ce ne fut pourtant qu’en 1848 qu’une artiste incomparable, Rachel, incarna ce rôle magnifique.
Bien qu’à cette époque l’illustre tragédienne n’eût pas d’idée bien arrêtée en politique, elle opta pour la République et décida alors de faire entendre l’hymne de la liberté, qui était proscrit en France depuis le retour de la royauté. Elle annonça aussi à sa sœur, Sarah Félix, qu’elle le déclamerait au Théâtre Français. « Tu vas faire frémir la salle » lui avait répondu celle-ci. En effet, lorsque simplement vêtue d’une tunique grecque, enveloppée dans les plis du drapeau tricolore, et tombant à genoux, Rachel déclama les couplets célèbres, ce fut du délire patriotique qu’elle déchaîna. Aux places populaires, le public hurlait son enthousiasme, Pour demander à Rachel de répéter le dernier couplet, un ouvrier descendit des places du haut, et vint sur la scène déposer des fleurs dans les bras de la tragédienne, au lieu de les lui jeter.
Théophile Gautier applaudit Rachel sans réserve, faisant un portrait romantique de la « Déesse au regard noir de souffrance et de révolte, aux lèvres prêtes à sonner des malédictions, et aux narines passionnément gonflées. »
Le duc de Noailles, qui protégeait l’artiste, lui reprocha ce chant révolutionnaire comme n’étant pas digne d’elle ; mais elle finit par convaincre ses admirateurs, même ceux de l’ancien régime. Aussi, les chefs du mouvement républicain s’adjoignirent-ils une pareille interprète et il fut décidé qu’elle organiserait des tournées patriotiques dans toute la France. Elle partit ainsi sur les grandes routes, Marseillaise vivante, s’en allant en diligence, tandis que ses troupes suivaient en carrioles. Près de Metz, ses chevaux s’emballèrent. Des conscrits, qui avaient prêté l’attelage et maîtrisé les chevaux, réclamèrent en échange, l’hymne sacré que, sur la route, elle lança en plein ciel. Après une tournée délirante, l’artiste rentra à Paris où elle allait servir de modèle aux sculpteurs de la République.
Pendant bien des années on n’entendit plus la Marseillaise, c’était devenu un chant séditieux sous Napoléon III ; mais en Juillet 1870, ces couplets retentirent de nouveau, clamés par ceux qui se voyaient déjà à Berlin.
Au Théâtre Français, ce fut Agar qui, dans sa robe d’Iphigénie, et brandissant nos trois couleurs, déclama la Marseillaise, déchaînant dans les rangs populaires, sinon dans le public des fauteuils et des loges, le même enthousiasme que Rachel. Comme on croyait à la victoire ce chant porta à son comble l’exaltation.
Puis ce fut au Théâtre de la Gaîté, que l’actrice Thérésa apparut, vêtue en tricoteuse de la Révolution : robe courte, tablier à bavette, corsage décolleté en carré, bonnet de dentelle orné de la cocarde tricolore, le drapeau à la main. Dans la salle archi-comble et croulant sous les applaudissements, quand elle chanta Aux armes citoyens, Formez vos bataillons », que – l’ambiance du moment et l’incertitude du lendemain rendaient irrésistible – elle eut un tel succès que, sortant peu après du théâtre, et ayant été reconnue au bas du boulevard Sébastopol, la foule, réclamant le chant national, la hissa sur l’impériale d’un omnibus, et, au milieu d’un silence impressionnant, elle entonna les couplets jusqu’à ce que, l’émotion aidant, elle s’effondra exténuée sur la banquette, tandis que plusieurs milliers de voix reprenaient le refrain.
Agar et Thérésa décidèrent alors de s’en aller par toute la France comme Rachel, avec la Marseillaise, mais, hélas ! ce fut l’invasion, Reischoffen et Sedan ! Et si Thérésa chanta encore l’hymne de Rouget de Lisle, ce fut avec un drapeau cravaté de deuil.
Durant la Grande Guerre, nombreuses furent les vedettes tricolores, de Marguerite Carré à Huguette Duflos, qui firent applaudir le chant national : Gabrielle Dorsiat le fit acclamer à Londres ; Paole Fritsch, bien souvent aux États-Unis ; mais c’est Marthe Chenal qui restera officiellement la « Marseillaise vivante » de la Grande Guerre. La tête ornée d’un large nœud d’Alsace, sculpturale dans sa longue robe blanche, encadrée par les trois couleurs du drapeau, ainsi apparut-elle à la salle Favart, en décembre 1914, dans la « Fille du Régiment ». C’était une évocation frémissante, d’une éloquence qui saisissait et pénétrait les âmes, quand, brûlée d’une flamme d’enthousiasme, l’artiste, de tout son cœur, de tout son être, de toute sa voix admirable, fit vibrer ce chant patriotique.
Et, ainsi, pendant quatre ans, des centaines et des centaines de fois, et comme mobilisée dans cette mission, elle fut la Marseillaise éblouissante, à Paris, en Provence, partout, dans les concerts, dans les hôpitaux, dans les fêtes pour les blessés, sur le front, s’identifiant avec le symbole qu’elle incarnait.
Le soir de l’Armistice, au-dessus de la multitude ivre de bonheur, Marthe Chenal au balcon de l’Opéra jeta vers le ciel d’une voix éclatante : « Le jour de gloire est arrivé ! » dans cette joie triomphale, où personne ne doutait plus que la paix était enfin conquise « par les enfants de la Patrie ! »
Et aujourd’hui comme hier, le chant de la Marseillaise est pour tous les peuples, un hymne généreux, un chant de vaillance et d’affranchissement. Redevenu officiellement l’hymne de la France depuis 1879, purifié, agrandi, élevé à la hauteur d’un cantique national, il est resté le symbole du courage et de la fraternité humaine; et quand vibrent ses accents héroïques, est-il besoin d’autre chose pour se reconnaître, se rallier à un même idéal.
Aussi, après les jours d’épreuves, quand viendra celui de la libération, avec la même exaltation qui conduisit ceux de Valmy, d’Iéna, d’Austerlitz, de la Marne, de Verdun, de nouvelles « Marseillaises vivantes » dépouillant leurs voiles de deuil et se drapant des trois couleurs de la Patrie reconquise clameront encore ces sublimes paroles :
14 juillet 1942
Le document
Cette 14e émission radiophonique de la Maison de France est diffusée le 14 juillet 1942 sur les ondes de Radio-Maurice, pour la troisième commémoration du 14 juillet depuis la défaite de juin 1940. Voir La Maison de France, Île Maurice, 1941-1946, recueil – souvenir, Port-Louis, 1946.