L’évasion de politiques, de syndicalistes et de militaires
Albert Guigui
Albert Guigui-Theral, dit Albert Guigui (1903-1982) est un ouvrier mécanicien puis correcteur d’imprimerie et un syndicaliste, membre de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) puis, à partir de 1925, de la Confédération générale du travail (CGT). Installé à Toulouse sous l’Occupation, il part en février 1943 pour Londres, où il représente la CGT clandestine.
Son arrivée est signalée en avril 1943 dans le n° 3 du volume III de La Lettre de la France Combattante, dans l’article « M. Albert Guigui arrives in England », publié page 13.
Six personnalités du monde politique
Paru en mai 1943 dans le n° 4 du volume III de La Lettre de la France Combattante, pages 9 à 13, « Escaped from France » rend compte du ralliement au général de Gaulle de six personnalités du monde politique, syndical ou militaire évadées de France :
– Henri Queuille (1884-1970), maire de Neuvic (1942-1941), député (1914-1935) puis sénateur radical-socialiste de la Corrèze (1935-1940), ministre du Ravitaillement dans le gouvernement de Paul Reynaud (mai-juin 1940), rallié à de Gaulle et embarqué à bord d’un Lysander à destination de Londres en avril 1943, nommé commissaire d’État au sein du Comité national de la Libération française en novembre 1943 ;
– Pierre Viénot (1897-1944), député socialiste des Ardennes (1932-1940), sous-secrétaire d’État chargé des protectorats du Maghreb et des mandats du Proche-Orient (1936-1937), embarqué en juin 1940 à bord du Massilia avec d’autres parlementaires, condamné par le tribunal militaire de Clermont, en décembre 1940, à huit ans de prison avec sursis pour « désertion devant l’ennemi », cofondateur du Comité d’action socialiste, évadé de France le 21 avril 1943 lors d’une opération aérienne dans la région d’Angoulême, nommé ambassadeur du Comité national de la Libération française puis du Gouvernement provisoire de la République française à Londres ;
– Marcel Poimbœuf (1889-1974), cofondateur en 1919 de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), nommé pour représenter la CFTC à l’Assemblée consultative provisoire ;
– Georges Buisson (1878-1946), secrétaire de la Confédération générale du travail (CGT) depuis 1929, parti pour Londres en avril 1943, désigné pour représenter la CGT à l’Assemblée consultative provisoire ;
– le général Étienne Beynet (1883-1969) ;
– le général Georges Suffren (1887-1952) est attaché auprès du général Weygand, délégué général en Afrique du Nord, avant d’être contraint, sur l’intervention des Allemands, de rentrer en métropole en janvier 1942 pour prendre le commandement de la région de Saint-Étienne. Rentré clandestinement au Maroc par l’Espagne en février 1943, il est nommé chef de la division de Fès le 27 août 1943 et promu général de division le 25 mars 1944.
Ces six notices sont accompagnées d’une double-page de photographies présentant « d’éminents Français » qui, les mois précédents, « ont réussi à rejoindre l’Angleterre pour servir avec le général de Gaulle » :
– le général de division aérienne François d’Astier de La Vigerie (1886-1956), associé aux activités de son frère Emmanuel, embarque à bord d’un Lysander à destination de Londres, le 18 novembre 1942 ;
– Pierre Viénot ;
– André Maroselli (1893-1970), sénateur radical de Haute-Saône (1935-1940) mobilisé dans l’armée de l’air en 1939, premier sénateur à rejoindre de Gaulle en 1943 ;
– Jean Pierre-Bloch (1905-1999), député socialiste de l’Aisne (1936-1941) ;
– Claude Hettier de Boislambert ;
– Albert Guigui ;
– André Philip (1902-1970), député socialiste du Rhône (1936-1940) qui a refusé de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, membre du Comité d’action socialiste et à Libération-sud, rallié à de Gaulle en 1942 et nommé commissaire à l’Intérieur au sein du Comité national français ;
– Fernand Grenier (1901-1992), député communiste de la Seine et maire de Saint-Denis (1937-1939), arrêté le 5 octobre 1940 et interné successivement à Aincourt, Fontevrault et Châteaubriant, d’où il s’évade le 19 juin 1941, envoyé à Londres pour y représenter le comité central du parti communiste en janvier 1943, nommé commissaire à l’Air au sein du Comité français de la Libération nationale en avril 1944, membre de l’Assemblée consultative provisoire ;
– René Massigli (1888-1988), ambassadeur de France en Turquie (1938-1940) mis en disponibilité par le gouvernement de Vichy, rallié à de Gaulle au début de 1943 et nommé commissaire aux Affaires étrangères au sein du Comité national français ;
– le général Beynet ;
– le général Georges Suffren ;
– Henri Queuille ;
– Félix Gouin (1884-1977), député socialiste des Bouches-du-Rhône (1924-1940) qui refuse de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, cofondateur du Comité d’action socialiste, évadé de France par l’Espagne, interné pendant trois mois au camp de Miranda de Ebro, président de la commission de réforme de l’État, membre de l’Assemblée consultative provisoire, dont il est élu président le 10 novembre 1943 ;
– Marcel Poimbœuf.
Jean Pierre-Bloch
Le 1er juillet 1943, Les Cahiers français publient, dans leur n° 45, pages 33 à 41, le texte d’une conférence de Jean Pierre-Bloch. Intitulé « Des Oflags aux prisons de Vichy », ce texte fait le récit du parcours de Pierre-Bloch depuis sa capture par les Allemands le 23 juin 1940 jusqu’à son arrivée à Londres le 1er novembre 1942 et son engagement dans les Forces françaises libres.
Membre de l’état-major particulier du général de Gaulle, Jean Pierre-Bloch devient chef des services politiques du BCRA, avant d’être appelé, le 9 novembre 1943, à siéger à l’Assemblée consultative provisoire, à Alger. Le 17 novembre 1943, il devient l’adjoint d’Emmanuel d’Astier, commissaire à l’Intérieur.
Lucie Aubrac
Dans le n° 2 du volume 4 de Tricolore : News of France at war, paru en avril 1944, la mission française d’information à Londres publie le portrait, signé François Joliet, de Lucie Aubrac, « épouse, mère, enseignante et combattante », qui « siège maintenant à l’Assemblée consultative ».
Mariée à Raymond Samuel, dit « Aubrac », Lucie Bernard (1912-2007) participe à la formation du mouvement Libération-sud. Le 21 juin 1943, Raymond Aubrac est arrêté à Caluire, avec Jean Moulin et d’autres responsables de la Résistance, et interné à la prison de Montluc, à Lyon. Le 21 octobre 1943, Lucie le fait évader. Après plusieurs mois dans la clandestinité, le couple s’envole avec leur fils pour Londres, où ils arrivent le 8 février 1944. Lucie Aubrac est désignée par le général de Gaulle pour représenter la Résistance intérieure à l’Assemblée consultative provisoire, à Alger. Maurice Schumann lui consacre l’essentiel de son émission « Honneur et patrie » du 24 mars. Elle-même prend la parole au micro de la BBC le 5 avril 1944.
Le général de Lattre et Louis Marin
Dans le numéro 3 du volume 4 de Tricolore : News of France at war, paru en juin 1944, la mission française d’information à Londres consacre une page (en anglais, « Escapist camouflage ») aux méthodes de camouflage employées par deux évadés de France : le général Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) et Louis Marin (1871-1960).
Le général de Lattre commande la 16e division militaire à Montpellier quand les Allemands envahissent la zone sud, le 11 novembre 1942. Ayant refusé d’obéir à l’ordre du gouvernement de ne pas combattre, il est arrêté et condamné à dix ans de prison. Interné à la maison d’arrêt de Riom, il s’évade dans des circonstances rocambolesques le 3 septembre 1943, avec la complicité des gardiens, de sa femme et de son fils. Arrivé à Londres le 18 octobre, il est incorporé le 26 octobre et promu général d’armée le 16 novembre, grâce à l’intervention du général Giraud. Le 26 décembre 1943, le général de Gaulle, président du Comité français de la Libération nationale, lui confie le commandement de l’armée B, qui débarque en Provence le 15 août 1944.
Louis Marin est député de Meurthe-et-Moselle (1905-1940), président de la Fédération républicaine (1925-1940), ministre d’État dans le gouvernement Paul Reynaud (mai-juin 1940), où il se montre favorable à la guerre à outrance et s’oppose à l’armistice. Le 10 juillet 1940, il refuse de participer aux discussions et au vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. En 1943, il obtient que Jacques Debû-Bridel, l’un de ses proches, représente la Fédération républicaine au Conseil de la Résistance. Ayant décidé de rallier de Gaulle, il rejoint le sud de la Cher, après un périple semi-clandestin de 24 jours, et embarque à bord d’un Lysander, le dimanche 10 avril 1944. Pour l’occasion, il a rasé ses moustaches, teint en noir ses cheveux et renoncé à sa lavallière pour une cravate. Son arrivée à Londres, après une heure et demie, est remarquée. Il siège à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger.