Les premiers jours en France du bataillon fusilier marin commando

Les premiers jours en France du bataillon fusilier marin commando

Les premiers jours en France du bataillon fusilier marin commando

Par le commandant Hubert Faure

L’action du 1er BFM, unité intégrée au n° 4 Commando, est bien connue, mais, après son débarquement, le 6 juin, à 7 h 30 du matin, et la prise de Ouistreham, commence la dure campagne de Normandie.

Le commandant Faure a rassemblé ses souvenirs et rappelle ici les tous premiers jours de la dure bataille de Caen, début des 84 jours du 1er BFM Commando en contacts et combats constants jusqu’à l’avance vers la Seine fin août 1944.

Au soir du 6 juin, la troupe avait établi ses positions sur les lisières est du Plain Amfreville dans la tête de pont lancée sur la rive gauche de l’Orne, à partir de Bénouville et Ranville. Nous étions en liaison sur notre droite avec la troupe 8 du lieutenant Lofi et la troupe des « K » guns. Sur notre gauche en direction de la mer, vers le hameau Oger et le hameau La Rue, les lignes étaient tenues par les troupes anglaises du n° 4 Commando, ainsi que par les unités de la 61st Airborne. Une des troupes du n° 4 Commando s’était installée, après des combats acharnés, tard dans la soirée du 6 juin, sur la mer à Franceville. Le 7 juin au matin, cette troupe avait dû s’en retirer, délogée par une violente contre-attaque menée par un bataillon de S.S. La perte de Franceville ouvrait une brèche jusqu’à l’embouchure de l’Orne puisqu’à Sallenelles un blockhaus allemand tenait toujours, n’ayant pas été attaqué. La tête de pont pouvait ainsi être tournée par le Nord.

Par cette brèche difficilement contrôlable des « sniper » allemands pouvaient s’infiltrer et à partir du 8 juin nos liaisons avec l’arrière en furent troublées ; spécialement dans le secteur de la zone d’atterrissage des planeurs située à l’Ouest d’Amfreville où plusieurs agents de liaison furent blessés par balle.

Le 9 juin au matin, je fus convoqué au PC du commandant Kieffer. Celui-ci, dont la blessure à la cuisse s’infectait, se déplaçait difficilement ; aussi le colonel Menday (qui avait relevé le colonel Dawson blessé) était venu à ce PC accompagné d’un officier de liaison de la Navy qui réglait et coordonnait les tirs de marine effectués à notre profit dans notre secteur. Le colonel Menday fit un résumé de la situation ; il était préoccupé de la perte de Franceville, créant une brèche le long du littoral et une liaison avec l’ouvrage ennemi de Sallenelles à l’embouchure de l’Orne. Pour contrôler plus ou moins cette zone littorale, la marine alliée procédait à des tirs d’interdiction systématiques entre Sallenelles et Franceville le long de la mer. Toutefois, ces deux agglomérations n’étaient pas bombardées directement, des civils s’y trouvant probablement car des drapeaux blancs flottaient partout sur ces deux villes.

Les intentions finales du colonel Menday étaient de prendre le blockhaus de Sallenelles et de remonter le long du littoral vers Franceville. Il fallait donc envoyer une patrouille de reconnaissance à Sallenelles pour y recueillir le maximum de renseignements dans ce but. La troupe 1 était désignée pour cela. Lardennois, qui le 6 juin avait réussi une mission périlleuse similaire, vers les écluses de l’embouchure de l’Orne à Ouistreham, en fut chargé, avec comme instructions de refuser tout combat, de rentrer dans Sallenelles sans se faire repérer, prendre contact avec la population s’il en restait encore, connaître ses besoins et son importance, surtout rechercher le maximum de renseignements sur le blockhaus, les accès possibles pour une attaque, l’effectif et l’armement ennemis, etc.

Lardennois forma une patrouille légère avec deux hommes éprouvés : Gorbin et Guyader. Il réussit parfaitement à atteindre et pénétrer dans le village sans être vu. La plus grande partie de la population avait fui les combats, seuls quelques fermiers restaient et surtout un boulanger qui aida Lardennois et lui fournit des renseignements précieux sur l’ennemi. Un observatoire bien placé permit d’étudier le blockhaus et les mouvements ennemis pendant plus de deux heures, après quoi Lardennois et son équipe regagnèrent nos positions. J’accompagnai Lardennois rendre compte de sa mission au PC du colonel.

Lardennois indiqua que le blockhaus de Sallenelles se trouvait dans un marécage, à quelque distance de la ville avec des champs de mines implantés tout autour. La garnison était composée d’une quinzaine d’hommes sous les ordres d’un adjudant très fanatique. L’armement comprenait un canon de 88 sous tourelle ne pouvant tirer que vers la côte et seulement à l’est de l’Orne. Aucune vue directe possible sur les plages de débarquement. Plusieurs mitrailleuses complétaient le dispositif. Une attaque du blockhaus n’était possible qu’avec l’emploi d’un matériel spécial pour protéger l’approche des attaquants. Pendant la durée de son observation, Lardennois avait noté la prise à partie presque continue du blockhaus par une vedette de la marine alliée, bombardant la position et ses abords. De plus, des mouvements d’isolés venant de la direction de Franceville, ou y retournant, semblaient être des agents de liaison.

Pendant le compte rendu de Lardennois, et depuis le début de l’après-midi, la situation autour de nos positions d’Amfreville semblait s’animer : de nombreuses patrouilles ennemies vinrent buter sur nos positions en même temps que les tirs d’artillerie ennemis devinrent plus concentrés et plus précis. Dans ces conditions le colonel mit entre parenthèses cette mission sur Sallenelles en attendant que les choses se calment. En fait, la nuit du 9 au 10 juin fut très agitée. Il était évident que depuis la veille l’ennemi cherchait à localiser exactement nos positions.

À l’aube du 10, un bombardement précis et brutal vint s’abattre sur nos positions puis, venant de Bréville et des forêts voisines, des chars dévalèrent en notre direction. La 21e SS Panzer attaquait avec pour objectif de nous rejeter à la mer. Heureusement pour nous, la marine alliée, avec les cuirassés Nelson et Rodney, appuyés par d’autres unités navales, purent nous prêter main forte avec leur artillerie lourde. Bientôt les bois de Bréville ne furent plus sous les obus qu’un nuage de poussières avec ça et là des chars en flammes. Mais des chars Tigre passaient et progressaient toujours vers nous, certains même parvenant à s’infiltrer sur nos arrières, où nos armes antichars réussirent à les détruire. L’un des chars Tigre avait pris position à 300 mètres de nos positions, hors de portée de nos engins antichars. On voyait à la jumelle les fantassins d’accompagnement accroupis dans les champs de blé. Les mitrailleuses de la troupe des « K » guns faisaient merveille, clouant cette infanterie sur place, aidées en cela par nos fusils mitrailleurs et ceux de la troupe 8 que nous voyions à notre droite tirer sans interruption. Le char faisait feu de toutes ses pièces sur nos positions. Je vis tomber le brave Gesrel de la troupe « K » gun toute proche, tué sur le coup d’une balle en plein front et d’autres encore.

Le fanion du 1er BFM commando porté à Londres, le 14 juillet 1943 par le sergent Nasseau de Warrigny (RFL).

C’est un obus du canon de 88 de ce char Tigre qui arracha la moitié de la tête de notre malheureux compagnon Bégot. Seuls ses yeux restaient vivants dans son visage. Les mâchoires supérieure et inférieure et le nez furent arrachés et déchiquetés ; il perdait son sang en abondance, qui en coulant dans ses poumons produisait un gargouillis insoutenable. Ses camarades, autour de lui, avaient le moral sapé à cette vue. Il était évident que tout délai dans l’évacuation de Bégot diminuait ses chances de s’en tirer. D’un autre côté le problème était ce char tout proche et environ 40 mètres à passer à découvert pour gagner un couvert menant au poste de secours. Cela put se faire dans la minute qui suivit la blessure de Bégot. Il semble que le tireur du char ennemi qui vit dans sa lunette un homme courir avec Bégot installé sur son dos, comprit ce qui se passait et ne tira pas. Au poste de secours, Bégot reçut une piqûre de morphine et fut immédiatement transporté à l’hôpital. Les chirurgiens britanniques et plus tard français firent des merveilles pour lui remodeler un visage mais, quarante ans après, Bégot souffre toujours de ses blessures et a de sérieux problèmes de rejet de greffe. Cette journée du 10 juin fut vécue par tous avec une telle intensité que nous en avions perdu la notion du temps. Grâce aux efforts et aux sacrifices de beaucoup, l’ennemi ne réussit pas à entamer nos positions.

Il avait perdu presque tout le matériel d’une division d’élite de chars. En fin d’après-midi, les attaques diminuèrent d’intensité. C’est à ce moment-là que je fus convoqué au PC du lieutenant Lofi qui depuis la veille avait pris la relève du commandant Kieffer, évacué sur l’Angleterre. Nous eûmes droit à un briefing du colonel Menday. Il indiqua que la situation se dégradait vers l’aire d’atterrissage des planeurs à l’est d’Amfreville. Le carrefour de la route menant d’Amfreville à la Basse Écarde avec la route D 514 était peu sûr. Le colonel craignait une forte implantation ennemie sur nos arrières. Il indiqua que les canons de la Navy tenaient sous leurs feux la zone littorale entre Franceville et Sallenelles et le long de l’Orne de la Basse Écarde à Sallenelles.

Pour s’opposer à cette tentative d’encerclement la troupe reçut l’ordre d’aller occuper le carrefour en question. Nous fîmes aussitôt mouvement. Après l’enfer de cette journée, cette mission nous paraissait comme un départ au repos à l’arrière. Nous arrivâmes sans encombre au carrefour sur lequel se trouvait installée une magnifique auberge normande (hôtel, restaurant, tabac) dont les propriétaires avaient fui devant les combats. Nous nous y installâmes, d’autant plus que ce bâtiment élevé d’un étage surmonté d’un grenier pouvait servir d’observatoire en même temps que de PC. Nous établîmes des postes de défense tout autour pendant que des patrouilles légères ratissaient les environs. Une grosse patrouille sous les ordres du second maître de Montlaur comprenant le groupe Maggi, le brave Zhivolava toujours en fer de lance comme la plupart du temps, fut envoyée vers le terrain d’atterrissage des planeurs à quelques centaines de mètres, là où les snipers ennemis avaient été signalés. Cette patrouille fut, en effet, fortement engagée ; elle réussit parfaitement à prendre le dessus et à poursuivre des éléments ennemis s’enfuyant vers la Basse Écarde. Ce secteur redevint calme.

Pendant ce temps, malgré la précarité de la situation et du moment, nous organisâmes ce cantonnement inespéré en vue de faire reposer par roulement le personnel disponible dans des conditions de confort inhabituelles en temps de guerre.

Nous avions le gîte mais restait le couvert. Bien que l’auberge ait été en partie pillée la cave regorgeait encore de vins fins et de cidre, la basse-cour de volailles. Nous en étions là de notre inventaire quand surgit le propriétaire des lieux, en provenance de quelque cache voisine où il s’était réfugié pendant les combats ; je n’eus pas beaucoup de mal à le convaincre de nous laisser utiliser ces ressources d’autant plus que des tirs tout proches le firent battre en retraite (je le pourvus d’une attestation qui, comme il me l’a dit quelques années plus tard, lui fut bien utile pour les dommages de guerre).

Scherrer, Garrabos, Ropert se mirent aussitôt, qui aux fourneaux, qui à la poursuite des volailles et, en peu de temps, nous eûmes une table d’hôte richement pourvue. À la tombée de la nuit, le colonel Menday, en inspection, accepta de se joindre à nous (quarante ans après il ne l’a pas oublié). Une fois les patrouilles rentrées, tout le monde eut droit à sa part de festin.

Cela fut un excellent dérivatif.

À la tombée de la nuit, nous eûmes la joie de voir passer sur notre carrefour, se dirigeant vers Amfreville, le 45e Royal Marine Commando.

Le colonel Menday voulut bien me confier qu’il était prévu que cette unité attaquerait le lendemain pour reprendre Franceville.

La nuit fut assez agitée ; des patrouilles ennemies vinrent harceler nos postes, mais sans trop insister. Le 11 juin, au lever du jour, par l’observatoire installé dans le grenier, nous décelâmes des mouvements nombreux d’isolés, venant de Sallenelles en longeant le canal et se dirigeant vers nous. Nos liaisons radio étant toujours défaillantes, c’est encore Bouilly et Goujon qui comme toujours s’acquittèrent efficacement de la tâche épuisante des liaisons et portèrent au PC nos demandes de tir pour battre la zone longeant le canal.

Tout à coup, des tirs de lance-grenades et de mortiers de 60 vinrent s’abattre sur nos positions. Garrados, Gabriel et Richemont tombèrent sérieusement blessés par des éclats et durent être évacués.

La route encaissée descendant vers la Basse Écarde était bordée de flancs vallonnés couverts de végétation et d’arbustes favorables à des progressions à couvert. Des mouvements ayant été repérés, deux fortes patrouilles furent constituées, l’une commandée par de Montlaur, l’autre par Lardennois et furent dirigées vers la Basse Écarde de part et d’autre de la route avec mission de nettoyer et de ratisser ces couverts. Ces patrouilles surprirent l’ennemi alors qu’il se concentrait pour nous attaquer. Celui-ci s’enfuit en débandade en direction de la Basse Écarde et de Sallenelles où sa retraite fut accompagnée par nos tirs d’artillerie.

Malheureusement au cours de cette poursuite notre camarade Vinat fut tué ; Maggi et Lossec, blessés, durent être évacués. Tous ces blessés et Vinat avaient été parmi les premiers à joindre le casino de Riva Bella le 6 juin, où ils s’étaient vaillamment comportés. Après cette opération, tout redevint calme autour de nous, mais, au loin, en direction de Franceville, nous entendions les bruits caractéristiques d’un important combat dont nous connaissions l’enjeu. Celui-ci se termina puisque, un peu plus tard, nous reçûmes notre ordre de repli, envoyé par le lieutenant Lofi notre nouveau commandant de bataillon. D’ailleurs Sallenelles et le littoral passaient sous le contrôle d’une autre unité.

Ordre nous était donné de ratisser au retour la zone comprise entre l’aire d’atterrissage des planeurs et Amfreville où quelques snipers avaient été signalés. Effectivement, Zhivolava et Scherrer réussirent à débusquer un sniper installé dans le clocher de l’église du Plain.

Aussitôt rentré à Amfreville, j’allais rendre compte au lieutenant Lofi et la troupe fut finalement envoyée en protection du PC du régiment à la ferme Oger, où nous demeurâmes un certain temps.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 247, 2e trimestre 1984.