Les parachutistes de la France Libre du 24 juin 1940 au 17 juin 1942

Les parachutistes de la France Libre du 24 juin 1940 au 17 juin 1942

Les parachutistes de la France Libre du 24 juin 1940 au 17 juin 1942

Par le général Georges Bergé

En juin-juillet 1940, nous, les volontaires français qui avions décidé de continuer la lutte avec le général de Gaulle, nous étions « parqués » à l’Olympia.

Je dis bien « parqués » parce que l’Olympia Hall était (et est toujours) un vaste building de béton, destiné à abriter des expositions diverses et qu’il ne comportait (hormis les toilettes) aucune des « facilités » propres à assurer la vie confortable de plusieurs milliers d’hommes. On dormait sur sa capote ou son manteau. Le sac était un mol oreiller. Les repas, très british, étaient amenés par des fournisseurs civils. Il y avait beaucoup de pies, de buns et de cakes. Très vite des dames bénévoles, émues par le dénuement de ces « poor French boys » organisèrent des distributions d’un thé excellent dont nous réussîmes à boire des litres, avec « fruit cake », bien sûr, et cigarettes Players ou Capstan.

Le commandant Renouard, commandant de cet ensemble hétéroclite, cherchait de l’aide. Je lui proposai mes services et fis de mon mieux pour structurer une masse enthousiaste mais souvent frondeuse.

Dans cet environnement quelque peu étonnant, arriva un jour le capitaine Bergé, désigné comme adjoint au commandant Renouard. Comme il était d’un grade supérieur au mien je m’apprêtai à m’effacer devant lui pour toutes les mêmes tâches dont m’avait chargé le commandant Renouard.

Le capitaine Bergé m’écouta fort attentivement et fort courtoisement et me déclara très nettement à peu près ceci : « Vous continuez à vous occuper de tout cela, car je vais me consacrer activement à la constitution des unités parachutistes. »

Et le capitaine Bergé s’isola dans le vestiaire des toilettes de dames, grâce à une magnifique toile de tente de l’armée française sans soulever la véhémente protestation de la dame patronnesse qui veillait avec soin sur son aimable petite troupe.

Un beau jour je partis pour Delville Camp puis pour l’opération sur Dakar et ce n’est qu’en 1943 en Tunisie que j’entendis parler de Bergé et des paras.

Vous allez vous en rendre compte, il avait eu bien raison de « s’isoler » à l’Olympia.

Général Robert Dubois

Dans un ouvrage ayant pour titre, L’Histoire mondiale du parachutisme, il me fut demandé de témoigner, à côté de quelques grands noms du parachutisme mondial, sur les parachutistes de la France Libre. Et voici ce que je disais pour les présenter :

« S’il fallait les apprécier sur le seul plan de la quantité, il serait présomptueux de faire figurer les parachutistes de la France Libre dans l’Histoire mondiale du parachutisme militaire.

« Ils étaient à peine une trentaine, en décembre 1940, à recevoir le « badge » bleu ciel du centre d’entraînement britannique de Ringway. En novembre 1942, au moment du débarquement allié en Afrique du Nord, le nombre de parachutistes brevetés ayant appartenu à la 1re Cie d’infanterie de l’Air des FFL se montait à 11 officiers et 123 sous-officiers et hommes de troupe.

« S’il s’agit, en revanche, de les situer sur le plan des résultats obtenus, le tableau est différent. Ce sont eux qui, les premiers, venant du ciel, ont eu l’honneur du premier contact avec l’ennemi. Mais c’est surtout par la liaison établie avec les réseaux de la Résistance qu’ils démontrèrent leur singulière efficacité. Dès 1941, les parachutistes de la France Libre avaient à leur actif en France occupée, deux missions de « coup de main » (Savannah, mars 1941 et Joséphine B, juillet 1941) et six missions de « renseignement action » (ces dernières dans le cadre du BCRA, le 2e Bureau FFL).

« En 1942, dans une autre forme de combat, opérant en Crète et en Cyrénaïque sur les arrières de l’armée Rommel, les destructions accomplies par cette unité « formation d’élite », dit la citation à l’ordre de l’armée aérienne, « ont été d’un rendement supérieur à celles obtenues dans les premières années de la guerre par le groupe de bombardement le plus efficace ».

Pour la période qui va du 24 juin 1940 au 17 juin 1942 au cours de laquelle j’ai été le fondateur et le chef des parachutistes de la France Libre, je puis, dans ses grandes lignes, conter leur histoire.

Tout commença le 24 juin 1940 dans la matinée lorsque le lieutenant de Courcel me faisait pénétrer dans le bureau du général de Gaulle à Saint Stephen’s House.

« D’où venez-vous ? Qu’avez-vous fait ?… » Je contai rapidement au Général mes affectations successives d’officier de l’armée active (Saint-Maixent, 1933-1935) et mon évasion de France. Mais, parmi mes titres, je signalai que j’avais été pendant quelques mois, comme volontaire, sous les contrôles de l’Infanterie de l’Air. « Si vous souhaitez un jour créer une unité de parachutistes, je pourrais être en mesure, si vous n’avez pas mieux que moi, de former et d’entraîner une compagnie de parachutistes.

– Ça, m’intéresse beaucoup, me dit le Général. Vous m’en parlerez plus tard. » Et il me donnait une affectation immédiate.

Vers la mi-juillet 1940, après le défilé du 14 Juillet dans Londres où quelques centaines de volontaires de la France Libre étaient chaleureusement applaudis par les Londoniens, je vins à plusieurs reprises à l’état-major. Le « Ça m’intéresse beaucoup » du Général revenait sans cesse dans ma pensée. Il fallait donc, à tout prix, faire préciser ses intentions. À ce même état-major, je finis par trouver un allié de poids, le chef d’état-major du moment, le commandant Passy. C’est vers le 15 août que la première décision fut prise :

« Présentez, ce soir, pour le Général, un projet, très court… une page… je le soumettrai à sa décision », m’avait dit Passy. Et c’est ainsi que j’obtins, dans la soirée, l’accord écrit du général de Gaulle pour la création d’une compagnie de parachutistes rattachée à l’armée de l’air. Vous imaginez ma joie à l’annonce de cette décision. L’acte de création de l’unité, signé de l’amiral Muselier, commandant des Forces Navales et Aériennes des Forces Françaises Libres, devait venir plus tard, le 15 septembre 1940.

Angleterre et France

C’est alors que commencèrent mes premières difficultés, le recrutement s’avérant difficile. Toutes les unités étaient déjà constituées ; il ne pouvait être question de détruire ce qui avait été fait avec peine. « Si l’autorisation en était donnée, disait un officier de l’état-major, les trois quarts des FFL demanderaient à servir dans les parachutistes. » Il fallut donc se contenter de recruter parmi les récents évadés, parmi les sortants d’hôpitaux évacués de Dunkerque et enfin, parmi les jeunes scouts de 18 ans dont certains avaient falsifié leur état civil et s’étaient volontairement vieillis.

Le premier noyau de volontaires constitué d’éléments de toutes origines (terre, air, marine, jeunes recrues), après examen médical, se montait à peine à 30.

Après un entraînement de deux mois dans le Kent, ce premier groupe de volontaires parachutistes de la France Libre fut admis au centre d’entraînement de Ringway, d’où ils sortirent brevetés la veille de Noël, le 24 décembre 1940.

C’est au cours de la courte permission qui nous avait été accordée après ce stage que, revenu à Londres, à l’état­ major, j’eus une longue conversation avec le commandant du 2e Bureau : le capitaine de vaisseau d’Estienne d’Orves connu alors sous le nom de commandant Châteauvieux. Encore une rencontre heureuse ! Mes idées furent précisées et ma foi dans les possibilités de mon équipe en sortit renforcée. Le commandant intervint tout de suite auprès des services spéciaux britanniques pour que je sois autorisé, avec les plus qualifiés de mes parachutistes, à faire un stage de renseignement et de sabotage. Lui-même en sortait. Je l’ai su plus tard.

Vers le 10 janvier 1941, j’étais envoyé à ce stage avec toutes les recommandations d’usage relatives à la discrétion et au secret.

Avant mon départ, j’étais allé saluer le commandant Châteauvieux pour le remercier de son intervention. Je ne devais plus le revoir. Il fut débarqué de nuit quelques jours plus tard en Bretagne pour accomplir une mission dont il ne revint pas. Ce fut un des premiers héros de la Résistance venant de Londres qui tomba sous les balles allemandes.

Vers le 10 janvier, nous fûmes dirigés sur un château anglais situé au nord de Londres (la Station 17). D’autres « clients », hommes et femmes étaient déjà installés dans cette demeure confortable. Nous ignorions leur identité. Nous fûmes rapidement pris en main par des professeurs qualifiés. C’est là, que pour la première fois, nous allions découvrir les effets destructeurs du plastic. Que de dégâts il a fait depuis ! Au cours de ce stage, nous eûmes la visite d’un ministre britannique accompagné d’un personnage important, le colonel Donovan, conseiller et confident du président Roosevelt, qui venait s’informer de l’effort de guerre britannique. Après une démonstration assez spectaculaire d’explosions de plastic, nous fûmes chaudement félicités par ce colonel.

Vers la fin de notre stage, fin janvier, l’adjoint du commandant Châteauvieux et un officier anglais, vinrent me trouver pour me proposer une mission très importante à faire en Bretagne. Acceptation enthousiaste. Mais, il fallait demander l’autorisation du général de Gaulle.

Huit jours plus tard, à la suite du général Spears, du général Gubbins et d’un colonel anglais, je pénétrai une deuxième fois dans le bureau du général de Gaulle. Il y eut d’abord une vive réaction du Général qui n’avait pas encore été saisi de la demande anglaise. Mais tout devint vite très clair. La mission Savannah, la première mission parachutiste en France, en territoire occupé, allait se réaliser.

C’est dans la nuit du 15 au 16 mars 1941, que le premier commando parachutiste de la France Libre atterrissait avec son matériel, dans la lande bretonne, près d’Elven.

Théoriquement, la mission était facile. En fait, il, y eut tant d’imprévus dans cette affaire qui avait été montée sur un renseignement du mois de janvier 1941, qu’elle échoua. Il y eut d’abord, le retard d’une lune. Nous devions sauter et nous étions prêts à le faire pour la pleine lune de février. Les circonstances atmosphériques ne le permirent pas. Il y eut aussi notre largage qui eut lieu à 8 km de l’endroit prévu. Notre pilote nous fit attendre sur le bord de la trappe du Wellington avant de donner le « go ». Il s’était perdu. Lassé, je donnais l’ordre de larguer quand même. Après l’atterris­ sage et notre installation dans une ferme abandonnée, avant d’effectuer de nuit, le transport de notre machine infernale qui pesait plus de 40 kg avec ses accessoires, il fallait une reconnaissance sérieuse. Après trois jours et trois nuits de guet, nous eûmes la conviction que le fameux autobus ne passait pas sur la route indiquée. Nous apprîmes, quelques jours plus tard, que les officiers venaient seuls, tous les jours, à la base, en voiture légère ; le restant du personnel logeait à la base. L’objectif fixé ayant disparu et les conditions d’insécurité s’aggravant tous les jours, je donnai l’ordre de dispersion. Nous devions nous retrouver, 12 jours plus tard, pour l’embarquement en sous-marin anglais, de nuit, à une borne kilométrique, sur une route près de Saint-Gilles­ Croix-de-Vie, en Vendée.

Certes, après cet échec dont je n’étais pas responsable, j’étais un peu écœuré. Les risques avaient été grands pour une mission impossible. Mais, avant le départ de Londres, on m’avait dit : « Notez bien tout ce qui peut améliorer ce mode de liaison par le ciel, par nuit de lune avec la France et si vous en revenez, nous l’espérons, nous voudrions un rapport ».

Je n’avais donc pas de temps à perdre. J’avais envoyé Joël Le Tac en Bretagne où il fut à l’origine d’un réseau important. Je partis ensuite avec un autre de mes co-équipiers, Forman, par train, vers Paris. Mon intention était de jalonner mon itinéraire de points de recueil pouvant servir éventuellement de boîtes à lettres que j’allais installer auprès d’amis sûrs, bien connus de moi. C’est ce que je fis à Paris, puis à Nevers, à Mimizan chez mon père et enfin à Bayonne… à Bayonne, où il me fut possible de monter rapidement un réseau de résistance ayant deux antennes (Mimizan et Bordeaux).

Ce réseau, un des premiers installés dans le Sud-Ouest, eut à fonctionner deux mois plus tard au moment de l’envoi de la deuxième mission parachutée, mission Joséphine B, qui devait détruire la centrale de transformation électrique de Pessac (11 au 12 mai 1941).

La mission Savannah qui était la mienne et la mission Joséphine B, la seconde formée d’éléments de la première compagnie de parachutistes de la France Libre, ouvraient ainsi la voie aux paras des réseaux « Action » dont les brillants exploits jalonnent l’épopée de la Résistance. Ils étaient aussi, avant la lettre, la préfiguration de la formule « SAS » des commandos parachutistes du major Stirling.

Le retour

Je passe sur les difficultés de notre rassemblement au lieu-dit et à l’heure dite. Trois sur cinq seulement des membres de la mission Savannah se retrouvèrent au rendez-vous, le 5 avril 1941. Deux seulement purent regagner l’Angle­ terre. Le canot de recueil l’envoyé du sous-marin britannique ne pouvant transporter que deux personnes, Joël Le Tac, abandonné de nuit sur la plage, devait rejoindre plus tard, au mois de mai, la deuxième mission Joséphine B. Je ne m’étendrai pas, non plus, sur les conditions de cet embarquement par nuit noire, à trois milles environ au large, sur le sous-marin britannique Tigris. Ce fut assez acrobatique.

Mais cette première mission en France occupée par l’ennemi allait en entraîner beaucoup d’autres qui allaient soutenir et animer les mouvements de Résistance.

Dans mon rapport de fin de mission, je ne manquai pas de souligner trois points essentiels :

– nécessité d’avoir, pour ces parachutages de nuit en France occupée, d’excellents pilotes et navigateurs ;

– nécessité aussi de mettre en place, au préalable, des éléments de recueil ;

– mettre en place enfin, dès que possible en France, des postes radio émetteurs.

À mon arrivée à Londres, je fus longuement interrogé, félicité aussi par des officiers de renseignements français et anglais. Mon retour fut fêté par un excellent repas offert par le chef de l’intelligence Service pour les pays européens occupés et où je me trouvais à côté du commandant Passy, chef du 2e Bureau des FFL.

Personnellement, j’étais assez surpris et gêné de l’éclat qui avait été donné à mon retour, mais j’étais revenu. C’était l’essentiel.

Ma récente mission en France m’avait renforcé dans l’idée que l’engagement, pour mes parachutistes, pourrait être assez rapide.

C’est en me rendant à Ringway, au centre d’entraînement des parachutistes où se trouvait un deuxième groupe de volontaires (ma compagnie allait enfin avoir son effectif normal), que j’appris la nouvelle de l’inspection prochaine du Premier ministre britannique Churchill.

La démonstration qui eut lieu en son honneur comprenait, pour la partie parachutiste, un largage de six « sticks » partant de six avions Whitleys volant en formation. Après l’atterrissage, les parachutistes devaient ouvrir les containers, s’emparer des armes et des équipements et bondir sur les objectifs situés à quelques centaines de mètres. J’avais fait promettre au sous-lieutenant, chef d’équipe et à ses hommes d’être les premiers sur l’objectif. Tout se passa comme prévu. Les Français arrivèrent les premiers avec une forte avance.

Après la démonstration, eurent lieu les présentations. Le Premier ministre était arrivé accompagné d’un groupe important de colonels et généraux. Nous étions alignés pour attendre la poignée de main du chef du gouvernement. Vint le tour des Français. Churchill félicita chaudement le jeune sous-lieutenant de l’équipe gagnante, puis j’annonçai mon nom. Il me serra la main, alla ensuite à mon voisin de droite et, subitement revint vers moi.

« Voulez-vous, me dit-il, me rappeler votre nom ?

– Capitaine Bergé, répondis-je.

– Vous êtes bien le commandant des parachutistes du général de Gaulle, et c’est bien vous qui rentrez d’une mission en France occupée ? »

Sur ma réponse affirmative, il se retourna brusquement, promena son regard au-delà du groupe qui l’accompagnait et partit à la rencontre de Mme Churchill qui était en train de bavarder à une dizaine de mètres de là avec un général d’aviation. Il l’amena jusqu’à moi : « Voilà, lui dit-il en français, je vous présente le capitaine Bergé, un officier français parachutiste qui est allé en France et qui nous est revenu en sous-marin. Félicitez-le. » Puis, il avisa dans le groupe le seul personnage qui n’était pas en uniforme. C’était un journaliste américain. « Venez ici, vous aussi, lui dit-il, interrogez ce capitaine, il vous parlera de la France qui combat. Dites bien à votre pays que dans l’effort de guerre que nous faisons, il serait temps d’être aidés par les États-Unis ».

Cette visite inattendue et cet incident nous valurent, à mes paras « free french » et à moi-même, vous l’imaginez, tout un flot de considérations et d’estime. Quant à moi, j’avais eu l’impression d’avoir vécu au sommet, un bref instant d’histoire.

*

J’avais demandé à installer mon unité dans un camp d’entraînement assez éloigné de Londres où je pourrais, dans un secret relatif, l’entraîner et lui faire profiter de mon expérience récemment acquise.

J’obtins très vite satisfaction au-delà même de ce que j’espérais.

On nous installa dans une grande et confortable demeure qui était la résidence d’été de la famille Rothschild : Inchmery House. Elle était située au sud de la New Forest, en bordure de mer, en face de l’île de Wight. Elle était entourée d’un immense parc. Les conditions étaient donc idéales pour une base d’entraînement de missions parachutistes.

Très vite, avec un adjoint de qualité, le capitaine René Georges Weil, ex-secrétaire de la Conférence des avocats de Paris et avec quelques jeunes officiers et sous-officiers qui m’avaient été affectés, nous nous sommes mis au travail.

J’orientai l’instruction en deux groupes. Le premier (renseignement) était destiné à des éléments sélectionnés et portait sur l’emploi et la manipulation des postes émetteurs-récepteurs, sur le sabotage et le renseignement. Le deuxième, le plus important, reçut la formation de « commando » avec de nombreux exercices de nuit.

Quand j’évoque le souvenir de cette période exaltante, certaines scènes me reviennent en mémoire. L’impatience de certains jeunes éléments, des Bretons surtout, était grande. Ils voulaient absolument se battre et, j’avais été surpris, certains jours, par une consommation exagérée d’essence. Une enquête me révéla que des détournements importants avaient lieu de nuit sur les réserves, pour préparer une expédition vers la Bretagne avec un yacht de 12 mètres appartenant à la famille Rothschild, nos hôtes.

Je découvris et j’interdis à temps cette tentative.

C’est à ce moment-là que nous avons aussi étudié deux armes spéciales de « coup de main » et de « sabotage ». La première, une sarbacane avec pointe de flèche d’injection pour attaquer les sentinelles, fut rejetée. Elle était contraire à la Convention de Genève. Mais, la deuxième dont j’étais l’auteur : une boîte anéroïde comportant un circuit de piles électriques liées au détonateur, le tout enrobé de plastic, qui était destinée à faire sauter des avions ennemis à une certaine altitude, fut acceptée et développée.

J’ai conté brièvement en 1953, dans le numéro spécial de la Revue de la France Libre consacré au parachutisme (1), les quelques coups du sort qui me furent réservés dans l’exercice de ce commandement où j’avais mis tout mon enthousiasme, toute ma passion. Le premier coup me fut donné lorsque j’appris que les deux officiers, parmi les meilleurs de mon unité, et en tous cas les plus aptes à la mission que je comptais leur confier en accord avec mon officier de liaison britannique, avaient été gravement accidentés lorsque l’avion de la RAF, dans lequel ils faisaient des essais pour vérifier le fonctionnement de cette fameuse bombe, s’écrasa au sol.

Le lieutenant Boissonnas et le lieutenant Heldt furent sévèrement brûlés dans cet accident. La mission dont ils étaient chargés fut retardée et passée à d’autres, moins compétents.

Outre la mise hors de combat, pendant une assez longue période, de deux de mes meilleurs éléments, j’avais à regretter que le chiffre des pertes des avions de l’Axe n’ait pas été, de ce fait, ce qu’il aurait dû être. Vers la fin du mois de juin 1941, il se produisit un événement qui bouleversa mes projets. Un télégramme du Caire émanant du général de Gaulle demandait l’envoi urgent au Moyen-Orient, de la compagnie de parachutistes.

Que faire ? Nos amis britanniques, qui avaient mis bien des espoirs en nous, ne cachaient pas leur déconvenue. J’essayais vainement de démontrer au chef d’état-major, que nous serions plus utiles à l’appui du mouvement de Résistance en France, que dans une action hypothétique au Moyen-Orient. Rien n’y fit. Un deuxième télégramme du Général, impératif celui-là, exigeait notre départ. Il fallait obéir !

Je demandai et j’obtins, de laisser sur place, la plupart des éléments du groupe « renseignement ». C’est ainsi qu’Inchmery House devint la station 36, placée sous le contrôle du B.C.R.A. Ce fut le noyau de formation et la base de départ d’un nombre d’agents parachutistes qui payèrent un lourd tribut dans la lutte pour la libération de la France.

Rares, sont les survivants du premier groupe.

Au cours de l’année 1941, sont sorties de cette école sept missions parachutistes dont voici la liste ci-dessous :

1. Mission Tortue, lieutenant Labit et son radio Cartigny. Parachutés en Normandie nuit du 8 au 9 juillet 1941 (2).

2. Mission Dastar, sergent Laverdet et son radio Alaimnat. Parachutés région de Paris du 7 au 8 septembre 1941.

3. Mission Fabulus, lieutenant Labit (qui était rentré par l’Espagne) et son radio Furet. Parachutés en zone libre du 10 au 11 septembre 1941.

4. Mission Barter, lieutenant Donnadieu et son radio Laurent. Parachutés dans la nuit du 10 au 11 octobre 1941 à Mimizan. Bénéficie du réseau de recueil installé par le capitaine Sergé lors de son passage à Mimizan mars 1941.

5. Mission Overcloud, Joël Le Tac et son radio de Kergorlay. Opération maritime, Joël Le Tac était rentré par l’Espagne après l’opération Joséphine B.

6. Mission Mainmast B, adjudant Forman (3e mission) avec son radio Périoux, 13 au 14 octobre 1941.

Quant au restant de ma compagnie, réduite à un effectif de 80 environ, tous « commandos parachutistes », il embarquait sous mon commandement à Liverpool, vers la mi-juillet 1941.

Le Moyen-Orient

Après un voyage interminable, au cours duquel, nous fîmes le tour de l’Afrique, nous débarquâmes, un mois plus tard, en Égypte. Le point de destination était la Syrie. On nous dirigea sur Beyrouth.

Nous fûmes affectés ensuite à la base aérienne de Lattaquié à Damas.

J’obtins enfin, après des palabres pénibles et déprimantes, d’être rattaché à la base des parachutistes britanniques du Moyen-Orient en Égypte.

C’est ainsi que la première compagnie de parachutistes de la France Libre devint au 1er janvier 1942, le French Squadron de la première SAS Brigade, commandée par le lieutenant­ colonel David Stirling. En fait, si du point de vue tactique, nous relevions du commandement SAS (Special Air Service), administrativement, nous restions rattachés au commande­ ment des Forces Aériennes Françaises Libres au Moyen-Orient (colonel Astier de Villatte).

Mon premier contact avec Stirling fut excellent. Il avait été informé de mes possibilités. C’est lui qui m’avait réclamé. J’étais, en outre, porteur d’une décoration anglaise de bonne qualité : la Military Cross, (la première qui avait été donnée à un officier des Forces Françaises Libres).

Très vite, mon programme d’entraînement fut établi. J’avais avec moi, outre le seul officier que j’avais amené d’Angle­ terre, le sous-lieutenant Jacquier, deux nouveaux éléments de valeur, le lieutenant Jordan et l’aspirant André Zirnheld (l’auteur de la fameuse prière).

Très vite, sur ma demande me furent affectés huit aspirants sortant de l’École des officiers de Damas et un certain nombre de sous-officiers.

L’instruction parachutiste et l’instruction spéciale de commandos furent menées de pair.

Vers le 1er mai 1942, après une manœuvre qui fit sensation auprès de mes amis britanniques (il s’agissait de l’attaque simulée de l’aéroport d’Héliopolis, à 110 kilomètres de notre base, après une série de marches de nuit) nous étions parfaitement opérationnels et en mesure d’attaquer tous les aérodromes de Libye.

L’effectif du French Squadron, bâti sur le modèle britannique (sept officiers, 12 sous-officiers, 42 hommes) était même dépassé.

C’est alors que je reçus un télégramme venant de Londres me demandant « de prendre toutes dispositions pour le transport, sans délai, de mon unité en Grande-Bretagne ».

Vous imaginez ma grogne et celle de mes officiers. Dans un rapport secret que je rédigeais immédiatement, et dont j’ai trouvé récemment une copie d’archive annotée au 3e Bureau du général Catroux au Caire (3) répondant aux « dispositions à prendre », j’exprimais, très fermement mon mécontentement : « Je dois formuler à ce sujet disais-je, les observations suivantes : après un an d’inaction en Angleterre, la Compagnie d’infanterie de l’Air a été envoyée en Moyen­ Orient où elle s’est trouvée, en septembre 1941 stationnée en Syrie, sans but précis et sans moyen d’action.

« Il a fallu quatre mois d’efforts pour que la compagnie obtienne d’être envoyée en Égypte pour reprendre son entraînement parachutiste et pour se spécialiser dans les raids à longue portée en zone désertique. La compagnie a suivi un entraînement intensif en ce sens. Elle a mainte­ nant des possibilités d’action presque immédiates, dans le rôle exploré au plan d’action du détachement « L » (4).

« Le retrait de la formation serait très vivement ressenti par le commandement britannique qui se croit en droit de pou­ voir compter sur notre concours. L’envoi de cette unité en Angleterre ne pourrait, à mon sens, présenter d’intérêt que si elle est destinée à coopérer à une action importante de commando sur le continent, et si, par conséquence, son transport était assuré par les voies les plus rapides. Dans le cas contraire, il semble bien que notre départ compromet­ trait les plans d’opérations spéciales du commandement allié en Moyen-Orient sans que nous puissions le justifier par l’assurance d’une activité plus féconde au profit de la cause alliée. »

Je fus écouté, mais nous étions toujours en attente de la mission dans laquelle le French Squadron allait donner sa mesure.

Un peu avant l’incident du télégramme, deux missions nous avaient été proposées sans qu’il y eût de suite. La première au cours de laquelle je m’étais rendu auprès du général Ritchie, commandant la VIIIe armée et où j’avais étudié avec le bureau d’opérations, la contribution de mes paras à l’attaque de la garnison italienne de El Gialo. Un changement dans le dispositif ennemi conduisit, hélas, à remettre cette opération. La deuxième, au cours de laquelle une partie de l’unité fut envoyée à Djeraboub (Sud-Libye) pour détruire des camions porte-chars allemands, fut également décommandée.

Ce fut enfin au début du mois de juin qu’on nous proposa une opération digne de nous.

Après la perte de la Crète, de Derna et de Tobrouk, Malte fut coupée d’Alexandrie par voie de mer. Malte, position-clé de la Méditerranée, était dans une position critique. Il fallait à tout prix la ravitailler.

Malgré la maîtrise complète de l’air que possédait la Luftwaffe sur le bassin oriental de la Méditerranée, un convoi allait tenter de passer, en partant d’Alexandrie. Pour cela, le Haut Commandement britannique fit appel aux hommes de Stirling. Ils avaient déjà, avant nous, fait leurs preuves. Il fallait attaquer, dans la nuit du 12 au 13 juin, ou à la rigueur du 13 au 14, tous les aérodromes de bombardiers en piqué allemands susceptibles de s’opposer au pas­ sage du convoi. Stirling nous réserva, cette fois, la part la plus belle : six sur huit des aérodromes à attaquer (trois à Martouba Derna, un à Sarcé, deux près de Benghazi, un à Derna et enfin l’aérodrome d’Héraklion en Crète).

Pour la deuxième fois, un sous-marin allié, un sous-marin grec, partant d’Alexandrie, allait me transporter. J’avais avec moi une équipe bien décidée, bien entraînée. Mon adjoint était le capitaine George Jellicoe (Lord Jellicoe, fils de l’amiral Jellicoe, vainqueur du Jutland), le sergent Mouhot, le caporal Sibard, le caporal Léostic, un officier de liaison grec, le lieutenant Petrakis.

Je passe sur les détails de cette opération, qui fut physique­ ment difficile. Nous étions préparés à cela. L’opération fut un succès exceptionnel sur le plan des destructions réalisées (21 avions, quatre camions, un dépôt d’essence furent détruits). Les pertes furent lourdes : un tué, le caporal Pierre Léostic (il n’avait pas encore 18 ans). Moi-même, Mouhot et Sibard, après avoir frôlé le peloton d’exécution, allions prendre le chemin de la captivité. Seuls Jellicoe et l’officier grec purent rentrer à Alexandrie.

En Cyrénaïque, les paras de la France Libre avaient fait du bon travail : cinq terrains attaqués, 20 avions détruits, sans compter d’autres destructions de matériels. Hélas ! au passif, il y eut 14 tués ou disparus. Mais, en définitive, et c’était l’essentiel, grâce à l’action des paras de la France Libre qui avaient détruit en deux nuits 40 avions ennemis, bien qu’avec de lourdes pertes, le convoi put passer.

Ma succession, c’est vrai, allait être parfaitement assurée par le capitaine Jordan, avec d’autres succès, d’autres coups très durs portés à l’ennemi jusqu’au jour où il vint me rejoindre, en février 1943, à la forteresse de Colditz avec d’autres éléments de la 1re Compagnie de Parachutistes de la France Libre, et avec même celui qui avait été notre chef, et compagnon d’aventures, le colonel David Stirling.

Ainsi, à la mi-juin 1942, bien avant le débarquement allié en Afrique du Nord, les parachutistes SAS de la France Libre avaient déjà écrit quelques pages de gloire, en France d’abord, depuis Savannah, en mars 1941 et aussi avec nos amis et compagnons de combat britanniques SAS, pour la défense de la Méditerranée.

Ce fut leur honneur de faire partie « des hommes de Stirling », dont Rommel disait qu’ils lui avaient fait tant de mal !

Quand je fus libéré, en mai 1945, après plus de deux ans passés à la forteresse de Colditz, ce fut avec une certaine fierté que j’appris que la 1re Compagnie de Parachutistes de la France Libre était devenue le 2e Régiment de Chasseurs Parachutistes et que son drapeau avait reçu des mains du général de Gaulle, le 11 novembre 1944, la croix de la Libération.

Mais en faisant le bilan des pertes de mes camarades de combat, ce fut avec beaucoup d’amertume que je me penchais sur chaque cas.

Certes, si les pertes au combat, à travers des exploits sou­vent exceptionnels, m’ont paru, alors, tolérables il y eut, hélas ! aussi ces fameux coups du sort ou du destin qui ont emporté, avant le combat, quelques-uns de mes meilleurs compagnons ; ces pertes-là, plus que tout autre, je les ai durement ressenties. Qu’il me soit permis de redire ici ce que j’écrivais pour un article du numéro spécial de la Revue de la France Libre en 1953 et qui avait pour titre « Ils sont tombés avant le combat… ».

… Damas, base de Mezzé, le 22 octobre 1941… les Blenheim, nouvellement affectés, partent journellement pour leurs exercices de bombardement. Le colonel commandant les FAFL en Moyen-Orient m’autorise à profiter de ces missions pour faire effectuer des vols d’accoutumance à mes parachutistes.

« Cette coopération se poursuit normalement. Mais certain après-midi fatal, l’avion que pilote le sous-lieutenant Neumann, et qui emporte trois parachutistes : Provost, Klinkemaille, Linale, s’écrase sous nos yeux à la fin d’un piqué trop brutal non loin de l’aérodrome. Six combattants d’élite viennent de disparaître : trois aviateurs et trois parachutistes.

« … Damas – veille de Noël 1941 – sur la base aérienne, la matinée, comme chaque jour, a été employée au maximum : culture physique, tirs. Puis une équipe a procédé sous ma direction aux essais d’une grenade antichar au plastic, de notre fabrication et que nous tirons au manchon VB. Les résultats sont concluants ; néanmoins, le manque de sensibilité de la fusée cause quelques ratés. Une fusée légère et plus sensible est nécessaire.

« Le caporal Gaultier, artificier de métier, le plus intéressé par l’expérience, ayant découvert sur l’aérodrome un obus de 37 non éclaté, prend l’initiative dans l’après-midi de démonter cet obus.

« Bricolage follement imprudent : l’obus éclate.

« Éventré, mutilé, mais conscient encore, Gaultier qui mourra quelques heures plus tard dans mes bras me dit : « Je vais crever, Mon Capitaine, mais quelle tristesse dans ces conditions… si c’était au combat, je partirais content. »

« … Le 13 juin 1942, un groupe de parachutistes FFL attaque les aérodromes de Derna Martouba. Mis en confiance par un succès précédent, les hommes de Jordan ont utilisé, pour pénétrer sur les aérodromes, des camions allemands conduits par d’ex-prisonniers antinazis.

« Hélas ! un de ces derniers trahit et livre tout un groupe aux Allemands. Premier et sérieux échec qui aura des suites graves.

« Après un séjour de quelques semaines dans un camp à proximité de Benghazi, nos parachutistes sont embarqués le 15 août à bord du Nino-Bixio à destination de l’Italie. Le 17 août le Nino-Bixio est torpillé en mer par un sous-marin allié. Parmi les 1 500 prisonniers qui se trouvent à bord, beaucoup sautent à la mer, et parmi eux sept parachutistes français : Gillet, Tourneret, Georges Royer, Jean Royer, Logeais, James, Jouanny.

« Cependant, le bâtiment touché ne coule pas ; il poursuit sa route, abandonnant derrière lui les naufragés dont nos sept malheureux camarades qui couleront bientôt épuisés, trahis une deuxième fois… et par les hommes et par le destin.

« À la même époque, dans l’équipe qui était restée en Angleterre pour être intégrée à la section « Action » du BCRA, un jeune officier à l’âme ardente et pleine de promesses, le lieutenant Georges Heldt, se tuait à l’entraînement à l’école d’escalade, quelques jours avant son premier départ en mission.

« Tragique gaspillage d’hommes, de foi, d’enthousiasmes, de volontés, de connaissances acquises… en vain !

« Non, pas en vain ! » Si la France, au jour de la Victoire, avait retrouvé sa liberté et sa grandeur, c’est aussi à vous, chers compagnons, qu’elle le devait car vous aviez été parmi les premiers à ne pas accepter la défaite, à opter pour un combat où l’audace était la règle. Et si la chance ne vous a pas souri, sachez que votre souvenir tient toujours, en nos cœurs, une place privilégiée (5).

(1) Voir in fine, un extrait de l’article « Ils sont tombés avant le combat ».

(2) Voir l’ouvrage d’Eric Piquet-Wicks, Quatre dans l’ombre.

(3) Rapport du 11 mai 1942 adressé au commandement des Forces Aériennes Françaises Libres en Moyen-Orient, avec copie au général Catroux.

(4) Détachement « L » : nom de code de la « SAS Brigade ».

(5) Cet article est également paru dans L’Épaulette, revue des anciens EOA n° 66 du 1er trimestre 1982.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 238, 1er trimestre 1982.