Les Français Libres, des combattants en exil
Les volontaires qui s’engagent dans les Forces françaises libres, après les armistices franco-allemand et franco-italien de juin 1940, sont des « dissidents », en rupture avec les autorités de leur pays, qu’ils ont quitté pour poursuivre le combat contre l’Allemagne, aux côtés des Britanniques.
Cet engagement implique un arrachement par rapport à leur famille restée au pays et à leur environnement. Cette séparation est source d’inquiétudes, le sort de leurs parents et amis leur demeurant souvent inconnu jusqu’à la Libération. En outre, les volontaires pouvaient craindre, à juste raison, que l’écho de leur engagement n’entraîne des représailles à l’encontre des leurs.
Pour ceux qui souhaitaient à tout prix rompre le silence, plusieurs possibilités s’offraient à eux, avec des possibilités de succès aléatoires et des délais souvent prolongés.
La première solution était tout simplement envoyer une lettre par les services postaux. S’il était relativement possible d’atteindre un correspondant résidant dans un territoire colonial dépendant de Vichy ou dans la zone sud, les limitations apportées par l’occupant aux communications interzones compliquaient singulièrement tout échange épistolaire avec un résidant de la zone nord.
Les volontaires pouvaient également trouver l’occasion d’adresser un message personnel sur les ondes d’une radio. Encore fallait-il qu’en France, leurs proches soient à l’écoute. En outre, la correspondance était limitée à quelques mots et à sens unique.
Enfin, le Comité international de la Croix Rouge, via ses différentes délégations, pouvait assurer la transmission de télégrammes. Cette Voie était plus sûre, mais la communication limitée à vingt-cinq mots.
Les messages personnels
Un volontaire évadé de France pouvait envoyer un message personnel aux membres de sa famille restée en France.
C’est le cas de Maurice Lassablière. Né le 13 avril 1919 à Harfleur (Seine-Maritime), il s’est engagé à la fin de 1938 et a été affecté en Algérie, où il suit la débâcle de juin 1940. Nommé caporal, il embarque en 1941 au Maroc pour les Antilles françaises. Aux Caraïbes, son bâtiment est arraisonné par la Royal Navy et le personnel à bord interné à Trinidad, dans les Antilles anglaises. Ayant demandé à rejoindre les Forces françaises libres, il signe son engagement à Port-of-Spain le 23 juin 1941 et embarque le 11 juillet pour l’Angleterre, via le Canada. Affecté le 29 août au régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad, il embarque pour l’Afrique équatoriale française (AEF). Arrivé à Pointe-Noire (Moyen-Congo) le 2 octobre 1941, il rejoint la capitale, Brazzaville, à bord du SW Guynet puis Bangui (Oubangui-chari, actuelle Centrafrique), Fort-Archambault et Faya-Largeau, au Tchad, où il intègre le 4 juin 1942, la colonne Leclerc, puis la 2e DB, lors de sa formation au Maroc en 1943.
Avant son départ pour l’Afrique, Maurice Lassablière a le temps de faire passer le message ci-dessous à sa famille. Il est diffusé à la BBC le 9 septembre 1941 :
« Maurice envoie ses amitiés à son père, son frère Lucien et sa famille de la Mare-au-Clerc et de Notre-Dame. Il est en excellente santé.
En Afrique équatoriale française, la France Libre développe ses propres moyens de radiodiffusion. Radio Brazzaville commence à émettre le 5 décembre 1940, avec des moyens limités, avant que soit installé un émetteur de 50 kw qui lui permet, à partir de 1943, d’émettre vers l’Afrique du Nord, mais aussi la péninsule ibérique, la France et la Grande-Bretagne.
Le samedi 1er février, le journal France d’abord, publié à Brazzaville, fait paraître dans son deuxième numéro, page 4, un avis sur les émissions radiophoniques de l’Afrique française libre, précédé d’une annonce à destination des Français d’AEF : « Radio-Brazzaville transmet des messages aux familles », indiquant les précisant les conditions pour faire diffuser un message personnel à la radio.
Les télégrammes de la Croix-Rouge
Il était possible pour un volontaire engagé dans les Forces françaises libres ou un Français demeuré dans les colonies contrôlées par la France Libre, de maintenir le lien avec ceux de leurs parents restés dans les territoires relevant du gouvernement de Vichy ou occupés par l’ennemi en leur adressant un télégramme via la Croix-Rouge internationale.
Le dimanche 31 mai 1942, l’article « Service de renseignements aux famille », paru dans le numéro 27 du journal France d’abord, page 3, annonce l’ouverture, depuis le 1er mai 1942, d’un service de renseignements installé à Brazzaville sous l’autorité de Mgr Paul Biéchy (1887-1960), vicaire apostolique du Congo français (1936-1954).
Les documents ci-dessous, issus des fonds de la famille d’Ange Heurtel (né en 1913 à Erquy, en Bretagne), illustrent la procédure de la Croix-Rouge. Quartier-maître mécanicien, celui-ci signe un engagement dans les Forces navales françaises libres en Grande-Bretagne à l’été 1940 et sert dans les fusiliers marins. Affecté en 1942 à la 1re brigade française libre du général Kœnig, le 1er bataillon de fusiliers marins est engagé en Égypte et en Cyrénaïque aux côtés de la 8e armée britannique contre les forces italo-allemandes de Rommel. Il participe notamment à la bataille de Bir Hakeim (26 mai-11 juin 1942). Par l’entremise de la délégation du Caire, il adresse un télégramme à son épouse, restée en France avec leur enfant. Un premier message est envoyé au destinataire, de Genève, par le Comité international de la Croix-Rouge, le 6 août 1942, afin de l’informer de l’existence de ce télégramme. Après confirmation, celui-ci lui est adressé.
Le document comprend, au recto, les coordonnées de l’expéditeur et du destinataire, ainsi que le message lui-même limité à 25 mots et à des « nouvelles de caractère strictement personnel et familial ». Parti le 9 janvier 1943, il est reçu le 16 février.
La réponse, du même format, figure au verso.
L’engagement dans la France Libre impliquait très souvent des poursuites judiciaires par contumace à l’encontre de celui qui avait fait le choix de la « dissidence » par rapport aux autorités françaises de Bordeaux puis de Vichy. Parallèlement à ces poursuites, le volontaire pouvait craindre que les autorités ou l’occupant exercent des représailles aux dépens de leurs proches restés en France, ce qui explique l’usage fréquent de pseudonymes au moment de la signature de l’acte d’engagement.
Côté français, ces représailles pouvaient passer, en particulier, par le non versement d’un traitement ou d’une pension. Le cas d’Ange Heurtel, présenté comme un « mobilisé dont on est sans nouvelles » à la date du 6 février 1941, constitue un contre-exemple.