Le docteur Jean Laquintinie, chirurgien de Koufra
Premier médecin Compagnon de la Libération
Le 2 mars 2021, la France a fêté le 80e anniversaire de la victoire de Koufra. Ce fut l’occasion de rappeler que des médecins ont participé courageusement à cette toute première opération de la France libre, soignant les blessés dans des conditions rudimentaires, risquant leur vie.
Philippe de Hauteclocque (alias Leclerc) s’était présenté au général de Gaulle, à Londres, le 25 juin 1940. Le futur libérateur de Paris et de Strasbourg, sera nommé Compagnon de la Libération, le 6 mars 1941 et élevé à la dignité de maréchal de France, à titre posthume, le 23 août 1952.
Des médecins, tout en continuant leur œuvre de soins auprès des malades et des blessés, montrèrent à leurs compatriotes la voie de l’objection de conscience et jouèrent un rôle déterminant dans le ralliement de l’empire à la France Libre.
Le ralliement de l’Afrique équatoriale française à la France Libre
Une fraction importante des européens des colonies d’Afrique noire était désireuse de continuer la lutte, pour rallier à la France Libre, l’Afrique équatoriale française.
Missionné par le général de Gaulle, le 26 août 1940, Philippe Leclerc et des officiers venus du Dahomey, du Togo et du Cameroun participèrent au ralliement du Cameroun. L’expédition qui comptait vingt-trois personnes fut la première unité française libre. Elle embarqua sur un canot, puis sur trois longues pirogues, pour remonter silencieusement le fleuve Wouri, jusqu’au port de Douala.
Après avoir débarqué, les conjurés se retrouvèrent dans une case complice. Là se trouvait un méhariste du Tchad qui commandait une compagnie de tirailleurs : le capitaine Louis Dio. Ce dernier, à la tête de sa compagnie prit le contrôle des points essentiels du camp militaire. Louis Dio sera nommé Compagnon de la Libération le 14 juillet 1941 et succédera au général Philippe Leclerc, à la tête de la Deuxième Division Blindé, en mai 1945.
Après les raids sur Tedjéré et Mourzouk, au cours duquel le lieutenant-colonel Jean Colonna d’Ornano fut tué, le 11 janvier 1941, Philippe Leclerc va s’attaquer à l’oasis de Koufra, tenue par les italiens. Jean Colonna d’Ornano, officier méhariste, auréolé de prestige, qui commandait le renfort n° 2 du Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad (RTST), rallié à la France Libre parmi les premiers, sera nommé Compagnon de la Libération, à titre posthume, le 31 janvier 1941.
L’attaque de Koufra
Les distances sont considérables. De Fort-Lamy à Faya-Largeau, il y a près de 900 kilomètres à vol d’oiseau, 1300 km de Fort-Lamy à la frontière Nord du Tchad. À vol d’oiseau, il y a plus de 1500 km de Fort-Lamy à Koufra et près de 2300 de Fort-Lamy à Tripoli. Le désert de Libye, parsemé d’oasis, prolonge celui du Tchad : tel est le théâtre des opérations attribué à Leclerc par le général de Gaulle, dans une note confidentielle du 21 octobre 1940.
Partant de la base opérationnelle Faya-Largeau, le 23 décembre 1940, Philippe Leclerc a installé une base avancée comprenant un aéroport de fortune et un dépôt de carburant à Ounianga-Kébir, près de la frontière Libyenne.
Le 24 décembre 1941, le Groupe Réserve de Bombardement n°1, sous les ordres du commandant Jean Astier de Vilatte, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 23 juin 1941, a été mis à la disposition de Philippe Leclerc qui envoya les avions dont il disposait, des Bristols Blenheim, des Westland Lysander et des Potez 29, provenant du Détachement Permanent des Forces Aériennes du Tchad, pour accomplir des missions de reconnaissance et de bombardement sur Koufra, avec malheureusement peu d’efficacité.
Le 31 janvier 1941 l’armada fut rassemblée au rocher de Tumma : devant elle, un paysage sans vie, menant à l’oasis de Koufra, distante de six cents kilomètres.
L’armada était bien modeste : trois cents tirailleurs africains et cent européens, sur quatre-vingt-dix véhicules dont vingt-trois camions Bedford la Compagnie Portée de Faya-Largeau et du Groupe Nomade de l’Ennedi, deux canons de montagne de 75 (il fallut en abandonner un en route) et deux automitrailleuses essoufflées qui furent abandonnées en cours de route.
La composition de la colonne était la suivante :
• Etat-major colonel Philippe Leclerc, commandants Pierre Hous (chef du groupe 3) et Louis Dio, (renfort) capitaines Jacque de Guillebon (chef d’état-major) qui sera nommé Compagnon de la Libération le 14 juillet 1941 et George Mercer Nairne, futur marquis de Lansdowne (officier de liaison britannique) ;
• Deux pelotons de la compagnie portée, aux ordres des capitaines Pierre Hauteclocque de Rennepont, cousin germain du Colonel Leclerc, et André Geoffroy, qui seront nommés Compagnon de la Libération le 14 juillet 1941 ;
• Deux sections du groupe Nomade de l’Ennedi aux ordres du capitaine Fernand Barboteu renforcées avec les cadres européens du groupe nomade du Borkou du capitaine Pierre Poletti, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 23 mai 1942, ainsi que les lieutenants et Jean-Marie Corlu, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 14 juillet 1941, et Marcel Sammercelli, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 12 septembre 1945 ;
• Deux sections de la 7e compagnie du RTST, aux ordres du lieutenant Robert Fabre ;
• Deux groupes de mortiers de 81, avec le lieutenant René Dubut de la 6e compagnie RTST ;
• Une section de 75 de montagne (artillerie) aux ordres du lieutenant Roger Ceccaldi, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 24 mars 1945 ;
• Une section d’auto-mitrailleuses Laffly aux ordres de l’adjudant Jules Detouche, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 17 novembre 1945 ;
• Un train de combat avec le ravitaillement, la santé et le dépannage, aux ordres, respectivement du médecin-capitaine Charles Mauric, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 24 mars 1945, du capitaine Gilbert Parazols, qui sera nommé Compagnon de la Libération le 28 mai 1945, et du lieutenant Robert Combes.
En outre, la colonne est renforcée par le Long Range Desert Group (LRDG) du major Patrick Clayton avec 20 véhicules bien équipés et bien armés.
Une première patrouille de reconnaissance est menée par Philippe Leclerc lui-même et le capitaine Jacques de Guillebon.
Le 17 février 1941 la colonne d’attaque de Koufra, menée par Leclerc et Louis Dio, se met en branle. Après deux jours de combat déterminants contre la compagnie motorisée italienne « Sahariana di Cufra » et dix jours de siège, la garnison italienne de Koufra se rendit, le 1er mars 1940.
Le 2 mars 1941 à 8 heures du matin, le drapeau français et la flamme à croix de Lorraine furent hissés solennellement au grand mat. Philippe Leclerc salua et prononcera les paroles devenues fameuses sous le nom de serment de Koufra : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ».
Les médecins à Koufra
Trois médecins ont participé à l’opération de Koufra, avec des moyens dérisoires, permettant seulement de donner les premiers soins aux blessés et de procéder aux évacuations sanitaires.
Un Potez sanitaire, piloté par le capitaine Jean René de Goujon de De Thuizy, permettait d’évacuer les blessés. Le 18 juin 1940, il s’était envolé de Cognac, à destination de l’Angleterre. Engagé dans les Forces Aériennes Françaises Libres, il avait affecté au Groupe de Combat n° 1 et prit part au combat, en se distinguant particulièrement en février 1941 lors des opérations sur Koufra en appui de la colonne Leclerc, dans des conditions périlleuses et éprouvantes. Alors qu’il achevait son entraînement pour une mission de nuit, le 1er novembre 1944, sur un De Havilland Mosquito, Jean René de Goujon de De Thuizy percutera une colline à Craig-Crom Bycham, Angleterre. Il sera nommé Compagnon de la Libération à titre posthume le 16 octobre 1945.
Le médecin capitaine Charles Mauric, affecté en 1939 au Tchad, dans la région du Tibesti, comme médecin-chef du Groupe III de la 7e Compagnie du RTST, avait entendu l’appel du général de Gaulle et s’était rallié à la France Libre, dès le 26 août 1940. C’est lui qui soigna le commandant Louis Dio qui, au cours d’une patrouille de nuit pour harceler l’ennemi, fut très grièvement blessé et évacué.
Le médecin capitaine Robert Borie fait aussi partie de l’opération et ira lui aussi jusqu’à Koufra. Il rejoindra plus tard le Groupe Sanitaire Divisionnaire de la Colonne n°1 de la Brigade Mixte d’Afrique Française Libre.
Jean Laquintinie, médecin chef à l’hôpital indigène de Douala, avait entendu l’appel du 18 juin et décidé de poursuivre la lutte. Il avait fait partie du comité d’accueil à Philippe Leclerc, quand, dans la nuit du 26 au 27 août 1940, l’envoyé du général de Gaulle, arriva en pirogue et débarqua sur le quai du Wouri à Douala. Affecté au 1er Régiment de Tirailleurs du Cameroun, Jean Laquintinie avait pris part à la campagne du Gabon, en novembre 1940.
Quand Philippe Leclerc fut désigné pour prendre le commandement du Tchad, le médecin-capitaine Jean Laquintinie qui était en permission fut rappelé en décembre 1940, pour participer aux opérations de Libye et prendre, en janvier 1941, la tête de l’équipe chirurgicale de la colonne Leclerc qui attaqua Koufra.
Le 15 février 1941, le médecin capitaine Jean Laquintinie rejoignit Faya-Largeau en avion, transporté par le Blenheim de Jean de Pange, alors que la colonne était déjà en marche vers le Nord, depuis dix jours. Il a monté une ambulance chirurgicale.
Le 18 février, ce fut le premier engagement contre la compagnie motorisée « Sahariana » italienne qui couvrait les abords de Koufra. Jean Laquintinie soignait, opérait, réconfortait ceux qui souffraient.
Au soir du deuxième jour, les Italiens battaient en retraite dans le désert où ils furent poursuivis sur 150 km.
Dans la journée du 20 février, la cuvette de l’oasis, le terrain d’aviation et le village indigène furent occupés. Restait à conquérir le fort d’El Taj, défendu par un bataillon et où flottait toujours le drapeau italien. Pendant les dix jours du siège, le docteur Jean Laquintinie demeura sans faiblir à sa tâche. Pourtant le paludisme dont il souffrait l’avait repris. De plus, en opérant dans ces conditions précaires, il s’était blessé à la main. La fièvre, le tourmentait, dans cette chaleur accablante qui écrasait les combattants et les blessés. Le lendemain se déclencha une septicémie. Il refusa de se laisser évacuer, sans doute pour voir de ses yeux flotter les couleurs françaises sur El Taj.
C’est alors que le 2 mars 1941, Leclerc, face à ses hommes figés au garde-à-vous, prononça le serment de Koufra. Laquintinie accepta alors d’être ramené au Cameroun.
Trois jours plus tard, le 4 mars, il était de retour à Yaoundé. Malgré une amputation du bras, il était trop tard : la fièvre qui terrassait le chirurgien de Koufra n’était pas due au seul paludisme, mais à la septicémie qu’il avait contractée en opérant.
Il mourut le 5 mars 1941.
Le Médecin Capitaine Jean Laquintinie fut le premier mort du Service médical de la France Libre. Il fut le premier médecin nommé Compagnon de la Libération, le 13 mai 1941 à titre posthume, mort pour la France, victime de son dévouement. Écoutons l’hommage qui lui sera rendu par Leclerc : « … Il fut l’un de mes compagnons d’arme les plus dévoués, les plus ardents, nous pleurons en lui le médecin, l’homme, le soldat… »
L’hôpital de Douala au Cameroun porte le nom du Docteur Jean Laquintinie.
Médecin en Chef (R) Bernard François Michel et général (R) Jean-Paul Michel
Bibliographie
Chauliac Guy, Le Service de Santé de la France Libre. Du 18 juin 1940 au 1er août 1943, Mercure Graphic, Paris, 1994, 240 pp.
Compagnon Jean, Leclerc, Maréchal de France, Flammarion, Paris, 1994, 629 pp.
De Pange Jean, Nous en avons tant vu… 1940-1945. De Koufra au Normandie-Niemen, Éditions Serpenoise, Metz, 1990, 343 pp.
Hugonot Georges, Le Service de santé dans les combats de la Libération, Éditions de l’association Rhin et Danube, Imprimerie Nationale, Paris, 1953, 181 pp.
Michel Bernard François, Quélen André, Le service médical au service de la France Libre. Du 18 juin 1940 au 18 juin 1942, Elzévir, Paris, 2010, 250 pp.