Le dernier vol du commandant Schlœsing

Le dernier vol du commandant Schlœsing

Le dernier vol du commandant Schlœsing

Le commandant Jacques-Henri Schlœsing est né le 12 décembre 1919 à Montreux (Suisse), fils d’un pasteur protestant. Après avoir obtenu son baccalauréat, il prépare l’École coloniale, tout en faisant son droit.

À la déclaration de guerre, il s’engage le 5 septembre 1939 et suit à Laval le peloton des EOR. En novembre, il est volontaire pour l’aviation et entre à l’École de l’air à Versailles, où il obtient les brevets de commandant de bord et d’observateur.

En mai 1940, l’École de l’air est repliée à Saint-André-de-l’Eure. Devant l’avance allemande elle gagne Toulouse- Francazal, où Schlœsing entend le discours du maréchal Pétain le 17 juin 1940, annonçant les pourparlers d’armistice. Ce jour-là, il écrit à sa mère une lettre dont voici des extraits.

« Dans l’ignorance absolue de ce qui va sortir de cet armistice et en prévoyant que tout le territoire français passera au service de l’Allemagne pour l’aider dans la guerre contre la Grande-Bretagne amie et alliée, prévoyant ce que cela signifie pour tous, pour vous et pour moi, de souffrance et de séparation, je crois voir mon devoir ailleurs. Tu comprendras combien il m’est dur de t’écrire cette lettre qui est peut-être la dernière. Il faudra accepter que notre vie de famille soit bien finie. L’enjeu de cette guerre était total et je ne sais pas si l’on fait bien d’essayer une sorte de compromis. Ne valait-il pas mieux, coûte que coûte, continuer la lutte de la nation, même hors du territoire ? Si vous pouviez tous sortir de cette France asservie et partir pour un pays encore libre ! Échapper à cette servitude n’est pas une lâcheté, loin de là.

Je suis encore ici, mais pas pour longtemps, je pense. Après deux jours complets de réflexion, je suis déterminé à tout tenter pour partir… Si je peux prendre la lutte ailleurs, là où elle sera, en Angleterre ou en Afrique, j’aurai conscience de le faire pour vous, pour votre vie, pour nos vies. Et si ce qu’on appelle le sacrifice suprême est demandé, tu sauras toujours dans quel but il aura été fait : pour une cause désormais indiscutable. Tu seras heureuse d’avoir au moins un de tes enfants au service de cette cause, libre de se donner à elle. »

Rappelons-nous que ces lignes sont écrites par un garçon de 19 ans.

Il entend le discours du général de Gaulle et cherche alors un moyen pour rejoindre la Grande-Bretagne. Il rencontre sur la base le sergent-pilote Béguin qui, lui aussi, veut rejoindre le général de Gaulle. Partent avec eux, l’aspirant Casparius, le lieutenant Roques et l’aspirant Ricard-Cordingley. À l’exception de ce dernier, ils seront tous faits Compagnons de la Libération.

Le 22 juin 1940, ils décollent à midi à bord d’un Caudron Goéland et, après un voyage aventureux, arrivent au-dessus de la Cornouaille et se posent, presque à bout d’essence, sur un petit terrain de tourisme.

De son côté, sa mère et ses deux fils cadets embarquent sur un vieux bateau charbonnier pour rejoindre l’Angleterre alors que le pasteur Schlœsing était capturé par les Allemands.

L’aspirant Jacques-Henri Schlœsing est affecté à l’École franco-belge d’Odiham dès sa création avant d’être admis dans le cycle d’entraînement de la RAF, qu’il termine, à la fin de 1942, à l’Operational Training Unit de Crosby-on-Eden, près de Carlisle, où il vole sur Hurricane et devient pilote de chasse.

Après un court passage au Squadron 17, il est affecté au groupe de chasse n° 2 « Île-de-France », première unité française en Angleterre en cours de formation à Turnhouse, près d’Edimbourg, où il est très vite apprécié.

Le groupe « Île-de-France », Squadron 340 de la RAF, est commandé par le Squadron-Leader Keith Loft. Le lieutenant de vaisseau Philippe de Scitivaux commande le Flight A (1re escadrille) et le capitaine Bernard Dupérier le Flight B (2e escadrille).

Quelques mois plus tard, au départ de Keith Loft, le lieutenant de vaisseau de Scitivaux prend le commandement de l’ »Île-de-France » ; et l’unité, déclarée suffisamment entraînée, est affectée au 11e Group, dans le sud-est de l’Angleterre, où les combats avec l’ennemi sont fréquents.

L’ »Île-de-France » est rattachée à la Wing de Tangmere, commandée par le Wing-commander Michael Robinson, grand ami de la France, qui a comme équipier le lieutenant Maurice Choron qui avait rejoint les FAFL dès juin 1940 et participé à la bataille d’Angleterre.

Le 10 avril 1942, la Wing de Tangmere, décolle pour une mission offensive au-dessus de la France. Elle est composée d’un Squadron de la RAF et du groupe « Île-de-France ». Pour honorer l’unité française, qui effectue sa première mission au-dessus de la France, Michael Robinson décide de voler à la tête de l’unité française ; il a, à sa droite, son fidèle ami Maurice Choron.

Au-dessus de la côte française la Wing est engagée par une forte formation de FW 190, supérieurs au Spitfire VB. Michaël Robinson donne l’ordre d’engager le combat. Les conséquences sont sévères pour la Wing de Tangmere.

Michaël Robinson, Maurice Choron, qui avait abattu un FW 190, et Philippe de Scitivaux sont portés disparus. Toutefois, ce dernier, qui avait pu sauter en parachute, fut capturé par les Allemands.

À la suite de ce dramatique combat, le groupe « Île-de-France » dut être restructuré. Le capitaine Dupérier en prit le commandement.

Le 17 juillet 1942, Bernard Dupérier, qui avait apprécié le sérieux et l’ascendant de Schlœsing sur ses camarades, lui confia le commandement d’une escadrille. Le 1er décembre 1942, au départ de Bernard Dupérier, il reçoit le commandement du groupe « Île-de-France ».

Le 13 février 1943, au cours d’une mission au-dessus de la Somme, il est attaqué par des FW 190. Il est touché et son avion est en flammes. Il réussit, avec de nombreuses difficultés causées par les flammes, à sauter en parachute.

Malgré ses atroces brûlures à la face, il échappe à la capture et parvient à gagner Paris. Après avoir reçu les soins essentiels, il est pris en charge par une filière d’évasion et regagne l’Angleterre au mois de mai 1944.

Hospitalisé, il subit plusieurs opérations de chirurgie faciale, mais son seul souci est de repartir en opérations. Contre l’avis du commandement il obtient de rejoindre son ancien groupe le 6 juin. Il avait entre-temps été nommé commandant avec prise de rang du 1er février 1944.

Le 22 août 1944, il est désigné pour remplacer le commandant Christian Martell à la tête du Squadron 341 « Alsace », basé près de Bayeux.

Le 25 août, peu après 15 heures, au moment où la radio annonçait que le général de Gaulle descendait les Champs-Élysées, il fut surpris par une patrouille allemande alors qu’il se préparait à attaquer un convoi routier entre Beauvoir-en-Lyons et Gournay-en-Bray. Son avion mortellement touché s’écrasa dans une ferme située sur la commune de Beauvoir. Pierre Parent, son équipier, eut son avion gravement touché, il dut se poser en campagne et fut fait prisonnier. Malgré son avion endommagé : son deuxième équipier Émile Le Goff put retourner à sa base.

C’est avec consternation que la nouvelle de sa mort fut ressentie par ses camarades et par tous ceux qui le connaissaient.

Il repose dans le petit cimetière de Beauvoir-en-Lyons, où sa tombe est religieusement entretenue par la municipalité et où l’anniversaire de sa mort est commémoré tous les ans.

Il avait été fait Compagnon de la Libération le 15 août 1944.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 285, 1er trimestre 1994.