La Découverte participe à l’opération Neptune
Par le capitaine de vaisseau (H) Albert Jules Émile Labbens
Au cours de l’année 1943, après la fusion des Forces Françaises d’Afrique du Nord et des Forces Françaises Libres, les FNFL s’étaient transformées en Forces Navales Combattantes (1).
Les quelques ouvriers de la première heure voyaient leur nombre augmenter brusquement, ce qui permit à l’état-major d’armer de nouveaux escorteurs : les frégates.
La première devait recevoir le nom français de La Découverte.
Cédée à titre de prêt aux Forces Navales Françaises en Grande-Bretagne, la frégate Windrush (River Class Frigate) prend armement sous pavillon français à Leith (Écosse) le lundi 11 octobre 1943. Sa remise définitive est prévue pour le 30 octobre. Le commandement en est donné au capitaine de corvette Jean Récher, ancien commandant de l’école navale FNFL et du Président Théodore Tissier.
Après avoir, dans le courant du mois d’octobre, effectué des essais à Leith et Granton, la frégate Windrush rallie Tobermory pour entraînement.
Le troc du nom de Windrush contre celui de La Découverte peut-être mécontenta-t-il un des fantômes qui hantent, diton, les ruines des châteaux d’Écosse ? La frégate mouillée dans un loch y subit un terrible assaut du vent. Tobermory était le célèbre et redoutable centre d’entraînement des escorteurs. Là, régnait en souverain, à bord du Western Isles, l’ex-vice-admiral Stephenson ayant repris du service comme commodore, plus connu sous le vocable mi-affectueux de Devil of Tobermory (Le démon du Tobermory). Il délivre le blanc-seing aux escorteurs jugés aptes à prendre rang dans la bataille de l’Atlantique. La Découverte y resta du 6 au 27 novembre, ce qui était considéré comme une excellente performance, attachée, avec la 1re division de frégates (L’Aventure étant chef de division) au groupe B3 des Western Approaches dont la bague en damiers de la cheminée est déjà célèbre dans la Bataille de l’Atlantique, avec les corvettes FNFL de la Flower Class (Roselys, Renoncule, Lobelia et surtout Aconit) et les destroyers polonais Garland et Piorun.
Après avoir participé, sous les ordres du Towy qui a remplacé le Harvester coulé en Atlantique, aux convois de Gibraltar, La Découverte rallie Glasgow où, du 23 mars au 4 avril, elle participe avec L’Aventure, L’Escarmouche et le Burdock à différents exercices. Tout le monde pressent que quelque chose se prépare : des navires aux formes bizarres se rassemblent dans les estuaires écossais.
Descendant en Manche et basée à Plymouth la frégate participe à l’exercice Fabius I, répétition par phase d’une opération amphibie.
De ce jour, nous savons que quelque chose d’important se dessine. Habitués aux escortes en haute mer, nous sommes confinés aux rivages de la Manche et consignés à bord de nos bâtiments. Les plus astucieux, en comparant les côtes des deux rives, en déduisent le lieu de la future grande opération qui alimente les conversations de carré.
Nous continuons les escortes de convois sur la côte Sud mais, dès la fin du mois de mai, nous prenons part à des patrouilles sous-marines. À partir du 20 mai, le commandant se rend pendant cinq jours consécutifs au « briefing » à Southampton ; vraiment cela devient sérieux ! Le 3 juin, nous venons mouiller dans le Solent près de la sortie Ouest. De nombreux bâtiments sont mouillés entre l’île de Wight et la terre. Le 4 nous recevons le message du général Eisenhower :
« Soldats, marins, aviateurs de la Force Expéditionnaire Alliée, vous venez d’embarquer pour la grande croisade vers laquelle tous nos efforts ont tendu depuis de nombreux mois… Le monde a les yeux fixés sur vous… Votre tâche ne sera pas aisée. Votre ennemi est bien entraîné, bien équipé et aguerri au combat. Il se battra avec férocité… Mais nous sommes en 1944… Bien des événements sont survenus depuis les triomphes des Nazis en 1940-1941… La marée s’est renversée, les hommes libres du monde entament ensemble la marche vers la victoire… Bonne chance… »
Dwight Eisenhower
L’amiral Ramsay, responsable de l’opération Neptune, commençait ainsi son ordre du jour :
« C’est notre privilège de prendre part aujourd’hui à la plus grande opération amphibie de l’histoire, préliminaire indispensable à l’ouverture d’un front occidental en Europe. En liaison avec la grande offensive des troupes russes, nous allons écraser la puissance de l’Allemagne… Les Allemands résisteront avec désespoir… Je compte sur chacun d’entre vous pour assurer le succès de cette grande entreprise… »
Après l’enthousiasme de l’appareillage à 8 h 25, le 4 juin le temps se gâte, la houle se creuse à la sortie du phare des Needles, gardien de l’île de Wight. Dans la nuit du 5 juin, à 0 h 59, nous faisons demi-tour, à 3 h 08 nous repassons à la bouée laissée la veille à 21 h 13. Nous revenons dans le Solent par la passe Ouest, ayant fait le tour de l’île de Wight. Nous mouillons un peu déçus près de la pointe Hurst en face de Yarmouth.
Mais dans la matinée, l’ordre d’appareillage est confirmé et nous quittons l’Angleterre à 13 h 51 : direction les côtes de France pour l’opération Neptune, partie de Overlord.
Notre mission : escorte du groupe n° 11 de la force G.
a) De Hurst Point à 49° 27’5 N – 00° 34’2 W.
b) Escorte en retour de la 15e flottille de LCT jusqu’à Calshot (Solent).
La position est à proximité de la côte française dans le 005° de la Pointe de Ver. Nous y amenions le groupe n° 11, soit : le chef de groupe à bord de la ML 347, 30 LCT, 1 LST remorquant un rhinoffery (2), 7 LCM.
La force G est destinée à escorter les bâtiments d’assaut qui débarqueront sur la plage Gold dans le secteur britannique qui comprend aussi, d’ouest en est, les plages Juno (Canadiens) et Sword (forces J et S).
Le commandant n’a pas modifié ses ordres rédigés pour la nuit du 4 au 5 :
« Bien veiller la route.
Tenir compte du courant conformément au tableau affiché dans la salle des cartes.
Se recaler sur la bouée EA5…
Sonder si le temps se bouche pour trouver la fosse supérieure à 20 brasses.
Me prévenir si incertain de la position ou si la visibilité devient nulle. »
Nous arrivons devant les côtes de Normandie, à 7 h 15, sans incident, grâce à l’énorme travail fournit par les dragueurs opérant par pleine lune avec un renversement de marée, la pleine mer étant à 10 h 30 locale, ce 6 juin.
Après les bombardements aériens exécutés depuis l’aube, le bombardement naval des grosses unités et des destroyers aidés par les LCT (R) (lance rockets) neutralisa la défense ennemie.
Seule la plage américaine d’Omaha fut tenue en échec par la présence fortuite d’une division de campagne allemande que le service de renseignement allié n’avait pas signalée (3).
La Découverte rallia dans la matinée les îles Saint Marcouf à l’est du Cotentin. Les cadavres des soldats américains venus délivrer notre patrie en ce jour le plus long défilaient le long du bord.
À 12 h 32, ayant pris en charge la 15e flottille de LCT plus quatre LCT (R) et cinq LCI (L), le chef de groupe toujours à bord de la ML 347, nous remettions le cap sur l’Angleterre.
La première partie de notre mission en ce D-Day était accomplie. Pendant les mois de juin, juillet, août, nous continuons les escortes vers la France. Le 29 juillet La Découverte mène à Cherbourg, qui vient d’être libérée, le ministre de la Marine Louis Jacquinot.
Le 10 août, comme chef de groupe, elle participe à l’opération Author qui a pour objet le ravitaillement, par mer, du 12e groupe d’armées américain à Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion. Elle reprend les convois entre Portsmouth, Arromanches, Ostende, Port-en-Bessin, Le Havre.
Elle participe ensuite avec la 1re division de frégates (L’Aventure, La Découverte, Surprise) à la réduction des poches de l’Atlantique sous les ordres du groupe Lorraine (CA Rue). Le 10 août 1945 le capitaine de corvette J. Récher était remplacé.
Quelques mois plus tard, La Découverte partait en Extrême-Orient. Condamnée le 5 juin 1951, elle servait de bâtiment base à Brest au GBR (groupe de bâtiments de réserve). Ses avatars n’étaient pas terminés : Windrush (Assaut du vent), La Découverte, c’est maintenant sous le nom de Lucifer qu’on peut encore la voir de nos jours, échouée sur la plage, servant de plate-forme aux exercices de sécurité.
Le capitaine de vaisseau J. Récher, auquel je rends ici publiquement hommage, a subi lui aussi l’assaut des années mais y a résisté tout comme sa frégate.
Passionné d’astronomie et de mathématiques, l’ancien commandant de l’école navale à bord du Président Théodore Tissier, « faiseur » de la plupart des amiraux de la France Libre, commandant de la première frégate armée en Grande-Bretagne, a pris une retraite bien méritée dans la campagne vendéenne, près du berceau de celui qui fut le Père La Victoire.
Avec la modestie qui le caractérise il a refusé d’être le signataire de cet article. Son sens de l’humour lui permet d’affronter les difficultés de notre temps.
En ce jour anniversaire du « jour le plus long » une pointe d’amertume se mêle peut-être au souvenir ! Sommes-nous sûrs que tout a été fait par les responsables de notre pays pour honorer ses fils qui de « 1939 à 1945 ont lutté pour que la France vive libre ». Puissions-nous espérer voir un jour prochain les survivants de l’équipage de La Découverte réunis autour de leur ancien « Pacha ». Après avoir semé ensemble dans les larmes ils récolteront dans la joie. En souvenir de La Découverte ex Windrush qui sut être un « happy and efficient ship ».
(1) Les éléments chronologiques de ce récit ont été empruntés aux journaux de bord de navigation et d’opérations de la frégate La Découverte conservés au Service Historique de la Marine.
(2) L’orthographe est conforme à l’original (N.D.L.R.).
(3) Et surtout le manque de précision du bombardement aérien précédant l’attaque (N.D.L.R.).
Extrait de la Revue de la France Libre, 247, 2e trimestre 1984.