Une jonction historique : Dragoon rencontre Overlord
Le 8 septembre 1944, le groupement Dio de la division Leclerc (2e DB) fait mouvement vers l’est.
Le 11, appuyée par un peloton de chars Sherman du 12e cuirassier, la 2e compagnie du 1er R.T.M. atteint Châtillon-sur-Seine ; elle constitue l’extrémité de l’aile droite de la poussée américaine issue du débarquement de Normandie. Au sud, c’est le no man’s land où sont peut-être encore des Allemands en cours de repli vers l’est.
La Ire Armée du général de Lattre de Tassigny est certainement à Dijon, venant de la Méditerranée ; les mâchoires Overlord-Normandie et Dragoon-Provence sont prêtes à se fermer pour assurer le bouclage complet de la nasse où se trouvent encore bien des unités ennemies.
En arrivant à Châtillon-sur-Seine, le capitaine Perceval dispose sa compagnie aux issues principales de la petite ville dont le centre est en ruines (bombardement de 1940). Contact est pris avec le capitaine Jean qui commande les F.F.I. du secteur. Ce garçon dynamique, intelligent, nous signale que les Allemands tenaient encore, il y a vingt-quatre heures Baigneux-les-Juifs, petite commune située à 35 kilomètres sur la N. 71 en direction de Dijon.
Perceval a pour mission de couvrir les abords sud de l’avance américaine et éventuellement de prendre contact avec la 1re armée française dont les éléments de reconnaissance ont certainement dépassé le nord de Dijon.
Le 12 septembre à 13 heures, appelé au P.C. de la 2e compagnie qui est installée dans la maison que le général Joffre avait occupée en 1914, je reçois l’ordre de pousser une reconnaissance en direction de Baigneux-les-Juifs et éventuellement plus au sud pour faire la jonction avec les éléments de reconnaissance « amis ».
Moyens : Le Half Track « Tchad » avec un groupe de combat, la Jeep « FYE », le peloton de chars doit lui aussi participer à cette reconnaissance, mais il nous lâchera à une quinzaine de kilomètres au sud de Chatillon rappelé par le groupement. Au départ de Châtillon, je prends avec moi le lieutenant Marson qui commande la section installée à la sortie sud de la ville. Nous progressons rapidement, traversons Buncey, Chamesson, Nord-sur-Seine et Aisey-sur-Seine, nous nous arrêtons pour interroger les habitants qui ne savent rien et signaler au P.C. de la compagnie notre arrivée dans ce village, par téléphone qui est plus discret que la radio.
Durant notre stationnement à Aisey-sur-Seine nous arrêtons une voiture qui vient du Sud et qui est pilotée par un capitaine. Nous sympathisons cinq minutes. Il nous déclare se diriger vers Paris en mission, que les éléments de la Ire Armée montent vers le Nord, c’est-à-dire vers nous et qu’il n’a rien vu sur la route de particulier. Le curé du village vient vers nous, tout heureux de savoir que la région est libérée par des Français.
En se présentant : « abbé Karcher », cela provoque chez moi la réponse : « j’ai un bon camarade le lieutenant Karcher qui est actuellement quelque part dans la division. » – « C’est mon cousin ».
On traverse la Seine, un ruisseau, et nous allons jusqu’à l’église où une équipe de rudes gars du village fait sonner la cloche avec une telle vigueur que le cousin de Karcher manifeste des craintes pour son clocher.
Des drapeaux sortent et nous partons plus loin pour reprendre notre mission vers le sud. Nous ne recueillons guère de renseignements, si ce n’est une magnifique meule de gruyère que l’ennemi a oubliée dans la précipitation de sa fuite ; ce sera le trophée pour le retour, combien apprécié. À un détour de la route, montant la côte à vive allure, une Jeep, au volant un militaire ayant un képi kaki, à son côté une A.F.A.T. Tout le monde s’arrête ; nous nous présentons : général Brosset – Eve Curie – lieutenants Jourdan et Marson : 2e D.B. – Régiment de Marche du Tchad.
Le général nous dit qu’il se rend chez la générale Mangin, sa belle-mère qui demeure dans la région, vers Saint-Marc-sur-Seine et que les éléments de reconnaissance de la 1re D.F.L. viennent d’arriver à Saint-Seine-l’Abbaye. Ce sont les fusiliers marins.
Sur un « Présentez mes respects à votre général », il est reparti. Quelques 25 kilomètres plus loin, à 17 heures, nous trouvons effectivement nos camarades de la 1re D.F.L. Notre mission est terminée ; plus d’ennuis dans la région ; les mâchoires se sont refermées. La liaison a été faite dans les meilleures conditions.
Le lendemain, 13 septembre, les fusiliers marins nous rendaient notre visite à Châtillon-sur-Seine et chacun partit de son côté pour se rejoindre à nouveau en Alsace sur le Rhin.
À noter que la liaison a été réalisée par trois Français Libres, tous trois Compagnons de la Libération.
Maurice Jourdan
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 184, février 1970.