La D.F.L. reçoit l’ordre de s’installer à Bir-Hakeim le 14 février 1942
par Léon Rouillon
À la fin du mois de février de cette année 1942, si incertaine et si angoissante pour les Alliés, alors que le sort des armes ne semblait pas encore fixé, nos pérégrinations dans le désert libyque, nos quelques barouds, tels la prise d’Halfaya, semblèrent toucher à leur fin.
Le haut commandement britannique, dont les troupes avaient connu diverses vicissitudes et accompli, dans toute l’Afrique du Nord, maints exploits qui ne faisaient que préfigurer les victoires de la VIIIe armée, décida d’utiliser les Free French pour une mission délicate et de leur confier un poste qui, au cas d’une avance allemande, serait périlleux, mais d’une importance capitale. Poste d’honneur s’il en fut qui témoignait de l’estime accordée, désormais, à nos forces nouvelles et, par nous, à notre patrie renaissante.
La situation des armées sur le front de Libye était assez mouvante et imprécise.
Rommel, appuyé sur Tripoli, où se trouvait le gros de ses forces, n’aventurait au travers de la Cyrénaïque que de faibles éléments et des formations qui parcouraient le désert et poussaient des pointes de reconnaissance vers Tobrouk, où les Anglais étaient solidement retranchés.
Il ne semblait vouloir que tâter le terrain en n’engageant avec nous que des escarmouches.
En prévision d’une poussée plus forte, plus brutale et composée de forces beaucoup plus importantes de l’Afrikakorps, les Anglais, qui ne disposaient au Moyen-Orient que d’effectifs peu nombreux, pensèrent à organiser une ligne de défense constituée par des champs de mines barrant la route d’Égypte sur un front allant de Tobrouk au cœur des sables, en une manière de point fort, au lieu-dit Bir-Hakeim.
Ce point fort devait s’établir autour d’une masure en ruines, auprès d’un puits tari dont, au temps jadis, les Italiens avaient fait un relais pour quelques goumiers préposés à la surveillance de ces régions désertiques.
Il échut à la D.F.L. de s’installer à Bir-Hakeim et d’organiser les lieux.
Et chacun, en arrivant, de pester et de maugréer contre cet exil infernal qui semblait, en ce mois de février 1942, devoir se prolonger éternellement et nous tenir éloignés, à tout jamais, des terrains de combat.
Il paraissait, en effet, à tous les hommes, voire à bon nombre de leurs chefs qui n’étaient pas dans le secret des dieux, bien improbable que le général Rommel, jouissant alors d’un immense prestige, fût assez fou pour engager ses troupes dans les immensités du désert de Libye, aux confins du Sahara où nous allions être chargés de monter une garde qui apparaissait à nos yeux comme vaine et dérisoire.
À ces raisons, qui chatouillaient désagréablement notre orgueil de combattants trop optimistes, oublieux des inconnues de la guerre, s’ajoutèrent, dès le soir de notre arrivée, l’amère constatation de nous trouver dans le plus affreux bled que de mémoire de broussards – et Dieu sait si la D.F.L. en comptait – l’Afrique ait recélé.
Bir-Hakeim. Ce nom, maintenant impérissable et qui évoque à l’esprit des images de légende, ne s’applique, hélas, qu’à un coin du désert pareil à des milliers d’autres. C’est un lieu-dit, la rencontre, sur une carte, de deux axes de coordonnées, et du sable, et de la rocaille dans une morne étendue à peu près plate.
Bir-Hakeim ! En y arrivant, ce triste soir de février 1942, nous doutions-nous qu’à tout jamais ce nom se graverait dans nos mémoires avec sa sanglante auréole et ses fulgurants tableaux des dernières heures que nous y vécûmes ?
La nuit venait.
Nos colonnes qui, tout le jour, avaient progressé en ordre dispersé, guidées à la boussole par leurs chefs de file, convergeaient vers ces lieux où une unité britannique que nous allions relever, ayant plié bagage, nous attendait pour nous céder la place.
Nous avions eu à subir, en chemin, un furieux vent de sable qui avait enrobé nos véhicules de ses voiles opaques et nous étions meurtris par ses assauts, suants et sales, accablés de lassitude et de dégoût, en mettant pied à terre, dans le calme subit qui lui succédait avec la venue d’un crépuscule sombre.
Le ciel roulait de gros nuages qui avançaient la nuit. Nous étions épuisés et dans ce bivouac inhospitalier, nous nous installâmes à la diable, mourant de soif et de sommeil.
Champrosay lui-même semblait touché par l’hostilité des choses environnantes, gagné par l’inquiétude qui nous étreignait tous et, pour une fois, indifférent à notre installation.
Il se calfeutra dans sa voiture, s’étendit sur les coussins, refusant d’un geste las le quart de thé que j’avais réussi à préparer. Alors, je montai, en hâte, un vague abri, avec mes toiles de tente, où à même le sable tiède, écrasé par la fatigue, l’âme noyée de tristesse, je m’étendis.
Quelques jours après, organisés et installés, nous avions oublié ce funeste présage et la vie s’écoulait paisiblement sur son rythme habituel.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.