Ils chantaient
Parmi quelques milliers d’autres chasseurs alpins revenant de Norvège, je cantonnais le 28 juin 1940 à Trentham Park près de Stoke on Trent en Angleterre.
Il s’agissait pour nous de prendre une décision: continuer la lutte aux côtés des Anglais dans des conditions encore mal définies ou suivre le bataillon qui rentrait en France pour se faire démobiliser.
Les Anglais exigent une réponse rapide; je suis hésitant, n’ayant en effet aucune indication sur les conditions nouvelles où nous placera cette décision. J’essaie d’obtenir quelques précisions auprès des officiers qui envisagent de rester, ils ne savent rien.
Le 30 juin je pense que je vais rester, j’en parle à mon camarade Dupont qui est dans les mêmes dispositions que moi.
Nous débattons longuement ensemble du pour et du contre. Nous allons prier pour recevoir la lumière.
Presque tous les hommes du bataillon veulent retourner en France. Il est bien difficile de prendre une décision!
Le soir je vais traîner dans la partie du camp, réservée aux très jeunes Français qui sont arrivés récemment de France par des moyens divers pour suivre le général de Gaulle.
Ils sont en train de chanter autour d’un feu de camp. Ils chantent! Ils chantent de vieilles chansons françaises autour du brasier. Sont-ils gais? Sont-ils tristes? Ni l’un ni l’autre probablement. Ils paraissent plus que gais et plus que tristes, la sécurité semble installée dans leur cœur, leur décision est prise, pour eux le fossé a été franchi.
D’un seul coup d’aile, ils se sont libérés, leur place est désormais dans les rangs des hommes libres. Qu’importe ce qui pourrait maintenant leur arriver, ils chantent!
Plus tard je me suis demandé bien souvent d’où venaient cette sérénité et cette ardeur en des heures aussi sombres; avaient-elles quelque chose de commun à celles du religieux qui ayant tout abandonné des joies et des attaches de ce monde éprouve enfin du don qu’il a fait une paix infinie. Étaient-ce celles de ces conventionnels dont parle Anatole France qui n’avaient d’autre choix qu’entre la Victoire ou la Mort? Qu’importe après tout. Ils chantaient et ce chant était comme une immense espérance. Il montait vers le ciel dans cette nuit anglaise, une de ces nuits où se joue le destin des peuples, comme une offrande de leur jeune et pure énergie, comme une prière.
Je retrouvais ensuite Dupont et lui fit part de ma décision de rester, il me confirma la sienne. Tard dans la nuit nous cheminions côte à côte dans de parc immense où s’endormaient ici, des enfants qui demain seraient des soldats à la recherche d’un idéal, là-bas des soldats qui demain seraient des civils à la recherche d’une situation. Nous avons parlé de nos familles, des conséquences que pourrait avoir pour elles notre décision et puis nous avons prié ensemble.
Il y a deux voies, me dit encore Dupont, ce soir-là, une voie facile: rentrer, obéir; une difficile: rester et prendre le risque. Ce doit être la difficile qui est la bonne.
Et là dessus nous nous séparâmes plus légers.
J’écrivais une dernière lettre à mes parents à Grenoble pour leur expliquer ma décision.
Tu restes décidément? me demanda un camarade de tente – « Oui, je reste. » Et la bougie étant éteinte tout rentra dans le silence. Je m’endormis facilement, j’étais un Français Libre.
Ils sont en train de chanter autour d’un feu de camp. Ils chantent! Ils chantent de vieilles chansons françaises autour du brasier. Sont-ils gais? Sont-ils tristes? Ni l’un ni l’autre probablement. Ils paraissent plus que gais et plus que tristes, la sécurité semble installée dans leur cœur, leur décision est prise, pour eux le fossé a été franchi.
D’un seul coup d’aile, ils se sont libérés, leur place est désormais dans les rangs des hommes libres. Qu’importe ce qui pourrait maintenant leur arriver, ils chantent!
Plus tard je me suis demandé bien souvent d’où venaient cette sérénité et cette ardeur en des heures aussi sombres; avaient-elles quelque chose de commun à celles du religieux qui ayant tout abandonné des joies et des attaches de ce monde éprouve enfin du don qu’il a fait une paix infinie. Étaient-ce celles de ces conventionnels dont parle Anatole France qui n’avaient d’autre choix qu’entre la Victoire ou la Mort? Qu’importe après tout. Ils chantaient et ce chant était comme une immense espérance. Il montait vers le ciel dans cette nuit anglaise, une de ces nuits où se joue le destin des peuples, comme une offrande de leur jeune et pure énergie, comme une prière.
Je retrouvais ensuite Dupont et lui fit part de ma décision de rester, il me confirma la sienne. Tard dans la nuit nous cheminions côte à côte dans de parc immense où s’endormaient ici, des enfants qui demain seraient des soldats à la recherche d’un idéal, là-bas des soldats qui demain seraient des civils à la recherche d’une situation. Nous avons parlé de nos familles, des conséquences que pourrait avoir pour elles notre décision et puis nous avons prié ensemble.
Il y a deux voies, me dit encore Dupont, ce soir-là, une voie facile: rentrer, obéir; une difficile: rester et prendre le risque. Ce doit être la difficile qui est la bonne.
Et là dessus nous nous séparâmes plus légers.
J’écrivais une dernière lettre à mes parents à Grenoble pour leur expliquer ma décision.
Tu restes décidément? me demanda un camarade de tente – « Oui, je reste. » Et la bougie étant éteinte tout rentra dans le silence. Je m’endormis facilement, j’étais un Français Libre.
Jean Silvy, compagnon de la Libération
(Journal de guerre)
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 230, 1er trimestre 1980.