L’homme du 18 juin
Qui était « l’Homme du 18 juin » ?
1890 – Un « petit Lillois de Paris »
Charles de Gaulle est né le 22 novembre 1890 à Lille, dans une région où les invasions successives ont imprimé un fort sentiment patriotique. Il appartient à une famille catholique marquée par l’histoire nationale, au sein de laquelle il a développé très tôt « une certaine idée de la France ». Sa génération a été fortement marquée par la défaite de 1870 et l’idée de la revanche à l’égard de l’Allemagne. Après ses études, il décide d’entrer dans l’armée qu’il considère comme « l‘une des plus grandes choses du monde ». Il est reçu en 1908 à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr dont il sort en 1912. Il choisit l’infanterie pour être au plus près des combattants et est affecté au 33e régiment d’infanterie d’Arras. Il s’y fait remarquer du colonel Pétain qui lui « démontre ce que valent le don et l’art de commander ».
1914 – Son premier engagement militaire
Engagé dans la Première Guerre mondiale (1914-1918), le jeune lieutenant de Gaulle connaît son baptême du feu. Il est, une première fois, blessé à Dinant, en Belgique, le 15 août 1914 puis, une seconde fois, le 10 mars 1915 au combat de Mesnil-les-Hurlus.
Promu capitaine en septembre 1915, il commande une compagnie puis devient adjoint du colonel. Il fait en Champagne l’expérience du « calvaire des tranchées ».
1916 – Prisonnier en Allemagne
Grièvement blessé le 2 mars 1916 à Douaumont et laissé pour mort, il est fait prisonnier par les Allemands.
Il subit une captivité de 32 mois dans diverses prisons et forteresses allemandes d’où il tente de s’évader cinq fois. Il surmonte l’amertume d’être éloigné du front par un intense travail de réflexion, tant sur la nécessaire modernisation de l’armée française que sur la nouvelle donne géostratégique européenne. Il est libéré après l’Armistice en novembre 1918.
1919-1931 – Expérience de l’étranger
Entre les deux guerres, il approfondit son expérience du commandement. De 1919 à 1921 il est envoyé en Pologne où il participe à la formation de la nouvelle armée polonaise qui lutte contre l’Armée Rouge.
Il revient en France en 1921. Il est chargé de cours à l’École de Saint-Cyr, avant son admission à l’École supérieure de guerre en 1922.
En 1925, il est détaché à l’état-major du maréchal Pétain, vice président du Conseil supérieur de la guerre.
Il est de nouveau affecté à l’étranger de 1927 à 1929 et devient chef du 19e bataillon de chasseurs à pied de Trèves.
Il est ensuite, de 1929 à 1931, mis à la disposition du général commandant les troupes du Levant à Beyrouth. Ce passage dans un mandat français du Proche-Orient lui permet de constater la puissance coloniale française.
1931 – Sa conception de l’armée
En 1931, il est affecté au secrétariat général de la défense nationale à Paris. C’est pour lui l’occasion de s’initier aux affaires de l’État. Pendant cette période, il publie de nombreux articles qui le font remarquer. Contrairement aux principes de la doctrine traditionnelle, il pense que l’action militaire doit se plier aux circonstances. Il anime plusieurs conférences à l’École militaire ; il y fait preuve d’indépendance d’esprit et développe l’idée qu’il se fait du chef militaire. Dans ses écrits, il réfléchit à une réforme de l’armée et aux relations entre l’armée et le politique.
Années 1930 – Vision de la guerre future
Constatant que la France ne peut obtenir de l’Allemagne les réparations qui lui sont dues, il prévoit une deuxième phase à « la guerre de trente ans » entamée en 1914. Il prédit l’utilisation massive de la force blindée et la dimension mondiale du conflit.
Il pense que la France doit s’y préparer en appliquant des doctrines modernes évoluant selon les circonstances. Tout en soulignant l’importance des forteresses frontalières, il considère comme un danger le fait de considérer que la ligne Maginot suffit à protéger le pays d’une nouvelle invasion. Considérant, en Allemagne, le développement d’une stratégie offensive utilisant de manière coordonnée chars et avions, il préconise la création de divisions blindées très mobiles, servies par des soldats professionnels, seules capables de répondre à la guerre-éclair.
C’est à Montcornet en 1940, qu’il va faire la preuve de la pertinence de ses théories. Il ralentit, à la tête de ses blindés, l’avance de l’armée allemande. Cela lui vaut d’être nommé général de brigade, à titre temporaire.
1940 – Ses idées sans écho en France
Le 21 janvier 1940, il adresse à 80 personnalités, un mémorandum sur l’avènement de la force mécanique. Seul Paul Reynaud tente de faire entendre, devant les députés, les propositions du colonel de Gaulle. Devenu président du Conseil, il choisit le 5 juin 1940, le jeune général de Gaulle comme sous-secrétaire d’État à la guerre et à la défense nationale.
Un appel avant l’appel
Le contexte
Du 17 au 20 mai 1940, la 4e division cuirassée du colonel de Gaulle, à peine constituée, est lancée à Montcornet, près de Laon, contre le flanc du 19e corps blindé allemand, auquel elle inflige des pertes, avant de devoir se replier.
Le document
Le 21 mai 1940, le colonel de Gaulle enregistre à Savigny-sur-Ardres une allocution au micro d’Alex Surchamp, reporter de la radio française. Diffusé le 2 juin suivant à 18 heures dans le cadre du Quart d’heure du soldat, sans que le nom de son auteur soit cité, ce texte a été publié pour la première fois par Anne et Pierre Rouanet dans L’Inquiétude d’outre-mort du général de Gaulle, paru chez Grasset en 1985.
L’allocution du 21 mai 1940
Anne et Pierre Rouanet, L’Inquiétude d’outre-mort du général de Gaulle, Grasset, 1985
C’est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l’air et sur la terre, l’engin mécanique – avion ou char – est l’élément principal de la force.
L’ennemi a remporté sur nous un avantage initial. Pourquoi? Uniquement parce qu’il a plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité.
Ses succès lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d’autre chose !
Eh bien? nos succès de demain et notre victoire – oui! notre victoire – nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d’attaque. Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France.
Le chef qui vous parle a l’honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement – sans nulle vantardise – que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d’un tel instrument. C’est cela qu’il nous faut pour vaincre. Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne.
Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne.
Questionnaire
Allocution de savigny-sur-ardres
1. Qui est l’auteur du texte? Quelle est alors sa situation?
2. À quelle situation générale le texte renvoie-t-il?
3. À quels événements récents fait-il allusion?
4. Quelle idée défend alors l’auteur?
Le soutien de Churchill à de Gaulle
La première rencontre entre les deux hommes a lieu le 9 juin 1940, à Londres, où le sous-secrétaire d’État Charles de Gaulle a été envoyé par Paul Reynaud pour obtenir un renforcement de l’aide britannique.
Premier ministre du Royaume-Uni depuis le 10 mai 1940, Sir Winston Churchill, a déjà une longue carrière au service de l’Empire britannique. Plusieurs fois ministre entre les deux guerres, il dénonce le danger de la politique d’apaisement devant la menace hitlérienne, à l’origine des désastreux accords de Munich de septembre 1938.
Francophile, Churchill apprécie immédiatement en Charles de Gaulle l’ardent patriote voulant respecter la parole donnée par l’accord du 28 mars 1940 de ne pas déposer les armes unilatéralement. Il est impressionné par le courage, l’indépendance d’esprit, l’ampleur de vues de celui en qui il reconnaît « l’Homme du destin ». L’attitude résolue de De Gaulle à poursuivre la lutte, manifestée lors des entretiens de Briare le 11 juin puis de Tours le 13 juin, mais de plus en plus solitairement affirmée, alors qu’emporté par la débâcle, le gouvernement français est en train de céder au défaitisme, le convainc de lui accorder son soutien.
Mais, lorsque de Gaulle revient en France, le 16 juin 1940, Reynaud a démissionné sous la pression des partisans de l’armistice et le maréchal Pétain l’a remplacé. Le lendemain, le Général s’envole alors pour l’Angleterre où Churchill, passant outre à l’hostilité de son cabinet, lui accorde d’emblée son soutien et lui ouvre l’accès aux ondes de la BBC pour, après l’annonce par Pétain de négociations en vue d’un armistice, lancer son appel à la résistance le 18 juin. Grâce à ce précieux concours et à sa reconnaissance par Churchill, dès le 28 juin 1940, comme « le chef de tous les Français libres », de Gaulle peut édifier de manière autonome le gouvernement de la France Libre et imposer progressivement l’idée qu’il est le seul légitime.