Hommage au Premier Groupe Marin constitué par Honoré d’Estienne d’Orves en juillet 1940
À l’occasion du 80e anniversaire de la disparition d’Honoré d’Estienne d’Orves, la délégation au souvenir des marins de la Fondation de la France Libre a réalisé un travail de recherche historique sur le Premier Groupe Marin créé par d’Estienne d’Orves en juillet 1940 alors qu’il se trouvait en Égypte dans le port d’Alexandrie, à bord du croiseur Duquesne comme officier d’ordonnance de l’amiral Godfroy, commandant l’escadre dénommée Force X aux ordres du gouvernement de Vichy.
Le 2 juillet 1940, craignant que la Flotte française ne tombe entre les mains des Allemands ou des Italiens, Winston Churchill déclenche l’opération Catapult. Mais, contrairement à ce qui s’est passé le 3 juillet en Algérie, près d’Oran à Mers El Kébir (où les Britanniques ont coulé des bâtiments français, faisant 1 300 morts), cette opération n’a fait à Alexandrie aucune victime.
En effet, le 4 juillet l’amiral britannique Cunningham et l’amiral français Godfroy entament les discussions pour éviter toute effusion de sang et signent un gentlemen’s agreement le 7 juillet : les 9 bâtiments français doivent débarquer leur mazout, les obturateurs d’artillerie, les pointes percutantes des torpilles et une partie de leurs équipages. Ces navires resteront internés par les Anglais dans le port d’Alexandrie jusqu’en mai 1943, ils n’entreront dans la guerre aux côtés des Alliés seulement qu’en juillet 1943, trois ans plus tard !
Refusant la défaite, Honoré d’Estienne d’Orves qui se faisait appeler « commandant de Châteauvieux » (du nom francisé Castelvecchio d’une de ses aïeules) a constitué le Premier Groupe Marin entre le 10 et le 18 juillet 1940 avec une cinquantaine de marins pour la plupart déserteurs des navires français de la Force X. Il conduira le Groupe jusqu’en Angleterre en passant par Suez, Aden, Berbera, Mombassa, Durban, Cape Town, Sainte-Hélène, Ascension, pour arriver à Londres le 27 septembre 1940.
Ce sont les premiers à déserter des bâtiments de la Force X. Au total, de juillet 1940 à la mi-1943, auront lieu près de 370 désertions de marins dont une quinzaine d’officiers, la plus spectaculaire étant celle du propre officier d’ordonnance de l’amiral Godfroy, le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves. Dans la lettre qu’il adresse à l’amiral, le 10 juillet 1940, il explique :
« Amiral, Vous devinez mes sentiments. J’ai été élevé dans le culte de la Patrie – mes camarades aussi j’en suis sûr – mais 1870 et 1914 ont tellement marqué sur mes parents et moi-même que je ne puis concevoir l’asservissement actuel de la France. Sans me permettre de juger le Département, je ne puis me croire qualifié pour reconstruire la France ainsi qu’on nous le propose ; tant qu’il y aura une lueur d’espoir je combattrai pour débarrasser mon pays de l’emprise de cet homme qui veut détruire nos familles et nos traditions. Mes ancêtres se sont battus jusqu’au bout, je ne puis faire autrement que les imiter. »
Et c’est ainsi que, refusant l’armistice, un groupe d’officiers de la Force X descend à terre le 9 juillet 1940. Emmené par Honoré d’Estienne d’Orves, il comprend les lieutenants de vaisseau André Patou et Michel Burin des Roziers et l’enseigne de vaisseau Pierre Michaut qui ont tous trois déserté le croiseur Tourville. Ils gagnent Le Caire où ils prennent contact avec des officiers français ralliés à la France Libre. Le 10 juillet 1940, en provenance toujours du Tourville, se joignent à eux : le lieutenant de vaisseau Jean Sourisseau, le commissaire de 1re classe Jean Arnoulx de Pirey, l’enseigne de vaisseau Roger Barberot, le quartier-maître de 1re classe Roland Aubert et le matelot fusilier Robert Bartholomé.
Au total, entre le 9 et 18 juillet 1940, ont rejoint Honoré d’Estienne d’Orves une cinquantaine de marins, dont plus de la moitié a tout juste 20 ans.
• 41 ont déserté des bâtiments de l’escadre de la Force X : 10 du croiseur Tourville, 10 du croiseur Suffren, 10 du torpilleur Forbin, 5 du croiseur Duquesne, 3 du cuirassé Lorraine, un du croiseur Duguay-Trouin, un du torpilleur Basque, et un du sous-marin Protée.
• 8 ont déserté du paquebot français Athos II et un du paquebot Président Paul Doumer.
L’objectif initial du Premier Groupe Marin était de continuer le combat le plus tôt possible en rejoignant le général Legentilhomme à Djibouti pour faire basculer la Côte française des Somalis dans le camp de la France Libre. Mais le gouvernement de Vichy relève le général de ses fonctions et, le 23 juillet, le commandant de Châteauvieux envisage alors d’aller se battre sur le front de Somalie britannique (Somaliland). Après des discussions animées avec les membres du Groupe et mûre réflexion, c’est le 31 juillet que d’Estienne d’Orves prend la décision de conduire les volontaires du Premier Groupe Marin en Angleterre pour armer les bâtiments français qui y attendent des équipages ou bien servir dans l’armée de de Gaulle.
Le 18 juillet, à Ismaïlia, plusieurs membres du Groupe souhaitent rester sur place pour servir dans les FNFL ou la Royal Navy. Huit d’entre eux (Capdevert, Girard, Guérin, Leborgne, Raso, Kramer, Guy et Gravouil) embarquent mi-août à bord d’un paquebot britannique à destination de la Grande-Bretagne où ils arriveront début octobre.
Leborgne et Gravouil serviront sur un bâtiment de la Royal Navy, Guérin embarquera sur le Léopard et Raso sur le Surcouf.
La plupart de ceux qui restent en Égypte, serviront sur le Président Paul Doumer : Bartholomé, Ansquer, Giganti, Brillet, Chaubet, Marguet et Prévot. Le matelot Surcq sera recruté sur place pour compléter l’équipage du Narval à Malte.
Une trentaine suivront le commandant de Châteauvieux jusqu’à Londres et feront le parcours décrit avec minutie et force détails dans le Journal de d’Estienne d’Orves d’Alexandrie à Londres :
19 juillet : départ d’Ismaïlia par le train, à destination de Suez (Égypte).
20 juillet : appareillage de Suez à bord de l’Antenor, pour Aden où il arrive le 23 juillet.
2 août : le Groupe quitte Aden à bord du Jehangir, pour Mombassa (Kenya) où il arrive le 18 août.
26 août : appareillage de Mombassa à bord de l’Incomati, à destination de Durban où il arrive le 2 septembre.
6 septembre : quitte Durban par le train à destination de Cape Town (Afrique du Sud), arrivée le 8.
11 septembre : quitte Table Bay (près de Cape-Town) à bord du paquebot britannique Arundel Castle, à destination de Glasgow avec escales sur les îles britanniques de Sainte-Hélène (15 septembre) et d’Ascension (17 septembre).
27 septembre : le Groupe arrive à Greenock à bord de l’Arundel Castle et prend le train à destination de Londres où il est reçu par l’amiral Muselier.
La plupart des membres du Premier Groupe Marin s’engageront dans la marine de guerre des FNFL avec pour première affectation :
• le contre-torpilleur Léopard : Aubert, Guérin, Jacq, Chalavan, Delaunay, Greiner, Laborde, Marlin, Pieton et Poriel.
• le sous-marin Surcouf : Michaut, Millet, Raso, Lucas, Guy, Lamaque et Stadler.
• l’état-major des FNFL à Londres : d’Estienne d’Orves (2e Bureau), Burin des Roziers et Arnoulx de Pirey.
• les chasseurs : Amati (43 Lavandou), Giovanetti (10 Bayonne) et Corvasi (5 Carentan).
• et le contre-torpilleur Le Triomphant : Patou.
Un seul s’est engagé dans les FAFL (Albert Laborde) et un dans l’armée de terre (Gaston Bossavy).
Pour plusieurs membres du Premier Groupe Marin, nous n’avons pas encore retrouvé trace de leur engagement dans la France Libre.
11 membres du Premier Groupe Marin sont Morts pour la France :
• Kléber Gravouil, le 14 décembre 1940, à bord du HMS Branlebas qui fait naufrage.
• Maximilien Surcq, le 15 décembre 1940, à bord du sous-marin Narval qui saute sur une mine.
• Honoré d’Estienne d’Orves, fusillé le 29 août 1941.
• René Stadler, le 8 février 1942, à bord de la corvette Alysse torpillée.
• Léon Lamaque, Pierre Michaut, James Millet et Pierre Raso, le 18 février 1942, à bord du sous-marin Surcouf disparu.
• Jean Ansquer, le 13 juillet 1942, à bord du Chasseur 8 Rennes, torpillé.
• René Marguet, le 30 octobre 1942, à bord du paquebot Président Paul Doumer, torpillé.
• Édouard Corvasi, le 21 décembre 1943, à bord du Chasseur 5 Carentan, qui sombre par fortune de mer.
Trois seront faits compagnon de la Libération : Honoré d’Estienne d’Orves, André Patou et Roger Barberot.
Et pour conclure, reprenons les propos d’un tract peu connu que nous venons de retrouver dans les archives d’un marin déserteur de la Force X. Il a été imprimé quelques jours après la disparition d’Honoré d’Estienne d’Orves, en septembre 1941.
Signé des Forces Navales Françaises Libres, il s’adresse aux marins français :
« Le commandant d’Estienne d’Orves est tombé, véritable chevalier sans peur et sans reproche, une des figures les plus pures de la Marine française…
Officiers, officiers-mariniers, quartiers-maîtres et marins, votre sens de l’honneur aura été profondément blessé par la nouvelle de cette mort. Vous en aurez d’autant plus profondément ressenti l’inaction à laquelle vos chefs voudraient vous condamner afin de livrer plus complètement la France, son Empire et sa Flotte à l’ennemi. Vous y puiserez un surcroît d’énergie pour briser vos chaînes et venir avec nous reprendre la lutte qui libérera la Patrie. »
TÉLÉCHARGER ICI LE LIVRET réalisé à l’occasion de la cérémonie du 29 août 2021 organisée au Broussan, commune d’Évenos dans le Var, pour le 80e anniversaire de la disparition d’Honoré d’Estienne d’Orves.