Historique de l’action du B.C.R.A., par le colonel Passy
Pour retracer l’histoire des réseaux de Résistance il faut parallèlement décrire ce que fut le B.C.R.A. (bureau du contre-espionnage, de renseignement et d’action), ce qu’il essaya de faire et ce qu’il fit. C’est pour cela, je pense, que le général de Larminat a bien voulu me demander de rédiger ces quelques pages.
Lorsqu’à la fin de juin 1940 j’allai me présenter au général de Gaulle, à St Stephen’s celui-ci me demanda d’organiser les 2e et 3e bureaux de son état-major. Qu’allions-nous, faire ? Quels moyens aurions-nous ? Nous n’en savions rien.
Quelques jours plus tard, le chef de l'”Intelligence service” vint trouver le général pour lui demander de monter, en France occupée par l’ennemi, un “Service de renseignements” capable de fournir à l’état-major britannique des informations précises sur les plans des Allemands. Ce fut à la suite de cette visite que je pris mes premiers contacts avec l'”Intelligence service” et que je devins le chef du S.R. de la France Libre.
Le premier objectif à atteindre d’urgence fut de nous procurer le maximum d’informations concernant, le plan d’invasion de l’Angleterre préparé par l’ennemi. Nous ne disposions pour cela d’aucun moyen en dehors de quelques volontaires sans aucune formation, prêts à se rendre en France occupée. Les Anglais auraient voulu que je fisse procéder à leur instruction. Cela aurait demandé des semaines, ou même des mois ; je m’y opposai donc. Et je finis par leur faire accepter l’idée d’envoyer des volontaires en les munissant simplement d’un questionnaire détaillé sur les renseignements à recueillir et en leur confiant la mission de trouver en France même les spécialistes capables de répondre pertinemment aux diverses parties de ces questionnaires. C’était là une révolution en matière de S.R. et ce fût, à mon sens, ce qui nous permit d’obtenir dans la suite les résultats que j’exposerai plus loin.
Les premiers volontaires, Duclos, dit Saint-Jacques ; Beresnikoff, dit Corvisart, et Mansion furent déposés la nuit sur la côte française soit par des vedettes rapides, soit par bateaux de pêche. Ils nous renseignèrent sur les préparatifs d’invasion de l’Angleterre.
Pendant ce temps, nous essayâmes de monter sur l’ensemble du territoire métropolitain une infrastructure de base. Je fis appel pour cela à Rémy, pour la zone nord, et à Fourcaud, pour la zone sud. Le premier effectua un travail gigantesque ; il créa une organisation appelée la “C.N.D.” qui, en 18 mois, couvrit une très large bande côtière s’étendant de la frontière espagnole à l’embouchure de la Seine. Il sut trouver partout les meilleurs spécialistes aussi bien pour les chemins de fer que pour les terrains d’aviation, les ports, les lignes souterraines à grande distance, les dépôts de munitions et de carburants, les batteries côtières, les fortifications, etc. Grâce à lui, à partir de mars 1942, nous reçûmes régulièrement, tant par radio que par courrier, pratiquement tous les éléments de l’ordre de bataille ennemi jusqu’à l’échelon du bataillon et souvent même de la compagnie. Le chef de l’Intelligence service m’affirma un jour qu’il considérait Rémy comme le plus extraordinaire “agent secret” qu’il ait jamais connu.
Sur des bases tenant compte de l’expérience que le réseau de Rémy nous avait apportée, nous créâmes, entre 1942 et 1944, plus de 20 réseaux de renseignements d’importance analogue couvrant chacun soit la totalité, soit une large fraction du territoire français. Citons parmi eux “Phalanx”, “Phratrie”, “Centurie A”, “Turma”, “Mithridate”, etc.
Le volume des renseignements fournis par ces réseaux se montait en 1944 à environ mille télégrammes par jour et plus de 20.000 pages et 2.000 plans par semaine. Il fallut alors créer à Londres au sein du S.R. devenu le B.C.R.A. une véritable usine capable de trier les informations par nature, de les reproduire à la ronéo, d’y adjoindre des copies, des plans, etc. À cette usine furent d’ailleurs apportés les renseignements des deux ou trois réseaux contrôlés directement par les Britanniques, comme par exemple l'”Alliance” (qui ne rejoignit le B.C.R.A. qu’en 1944).
Les renseignements urgents transmis aux services d’exploitation de nos Alliés par des télépoints permirent d’obtenir des résultats spectaculaires. Je n’en donnerai qu’un exemple. Un télégramme apprit un jour vers 11 heures qu’un ensemble de trains transportant 600 chars Tigre faisait mouvement d’Est en Ouest à partir de Châlons-sur-Marne. Moins de trois heures plus fard, un autre agent nous adressait un câble pour nous apprendre que l’aviation britannique venait de détruire intégralement les convois.
La contribution des réseaux de renseignements de la France Libre à l’effort de guerre fut donc d’une importance capitale, que le général Eisenhower lui-même se plût à reconnaître à la fin du conflit.
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Dès l’automne de 1940 nous pensâmes que nous pouvions apporter une aide efficace à nos Alliés en organisant en France des équipes chargées d’exécuter, en temps opportun, des destructions qui d’abord nuiraient à l’effort de guerre de l’ennemi puis ultérieurement le paralyseraient temporairement dans ses concentrations en cas de débarquement.
J’entrai alors en contact avec le service britannique chargé d’organiser dans les territoires occupés les groupes d’action clandestins (S.O.E.). Nous recrutâmes des volontaires et dès 1941 envoyâmes en France occupée, soit par mer, soit par parachutes, des missions chargées de faire sauter des centrales électriques, des centrales de radio, etc. Ces missions furent pour la plupart, couronnées de succès.
À la fin de 1941, Jean Moulin arriva à Londres et nous fournit le premier contact avec les mouvements de Résistance de zone libre (Combat, Libération et Franc-Tireur). Dès lors, la “section action” du B.C.R.A. s’attacha à fournir à ces mouvements puis, plus tard, à ceux de zone occupée les moyens nécessaires. Du côté britannique, la section française de S.O.E. se subdivisa en deux branches, l’une dite section F (colonel Buckmaster) continua à préparer sous son contrôle direct des groupes de destruction ; l’autre dite section R.F. (colonel Hutchinson, Wing Commander Yeo Thomas, capitaine Picquet Wick) fut chargée de maintenir la liaison entre le B.C.R.A. et les autorités supérieures du S.O.E.
Jean Moulin fut renvoyé en France dans les premiers jours de 1942 avec la mission de monter :
– un service d’opérations de parachutage et d’atterrissage ;
– un service radio ;
qui permettraient d’assurer les communications avec les mouvements et d’alimenter ceux-ci en armements, fonds, etc. Il devait, d’autre part, essayer d’obtenir des mouvements la création d’une armée secrète commune, chacun d’eux gardant son autonomie sur le plan politique.
Ce fut pour lui une tâche longue et difficile qu’il réussit pourtant à mener à bien grâce à son indomptable énergie.
La position prise par le général Giraud, hélas, ne facilita pas son travail. Lorsque Jean Moulin revint à Londres en février 1943, étaient créés et fonctionnaient :
– le service des opérations aériennes (parachutages et atterrissages) ;
– le service radio (émetteurs clandestins disséminés sur le territoire) ;
– le bureau d’informations et de presse ;
– un centre d’étude des problèmes qui se poseraient au moment de la libération ;
– les bases d’une armée secrète unique pour la base sud.
Pour éviter les divisions que risquaient de provoquer les événements d’Afrique du Nord, Jean Moulin proposa au général de Gaulle d’essayer de créer un Conseil national de la Résistance (C.N.R.) qui grouperait les représentants qualifiés des tendances politiques traditionnelles françaises, les chefs de mouvements de Résistance, les représentants des organismes syndicaux (C.G.T. – C.F.T.C.).
La création du C.N.R. devait montrer à nos Alliés l’unité de la Résistance et sa volonté de reconnaître comme chef unique le général de Gaulle.
En février 1943, nous partîmes en France, Brossolette et moi, accompagnés d’un observateur britannique (Yeo Thomas) dans le triple but :
– d’inspecter les réseaux de renseignements ;
– de prendre tous contacts avec les mouvements de Résistance de la zone nord (ex-zone occupée) afin de monter avec eux les éléments de l’armée secrète ;
– d’étudier avec ces mouvements, les partis politiques et les syndicats la possibilité de mettre sur pied le C.N.R.
Nous rentrâmes à Londres à la fin d’avril en ayant pu accomplir notre mission. Nous rapportions l’accord :
– des cinq mouvements de résistance en zone nord (ceux de la libération, ceux de la résistance, l’O.C.M., les F.T.P., libération nord) ;
– des syndicats ;
– des six partis politiques ;
sur la création du C.N.R. et sur la réduction d’un texte commun agréé par tous d’après lequel le général de Gaulle était reconnu comme seul chef de la France en guerre.
Les mouvements de Résistance avaient accepté de verser divers éléments militaires à l’armée secrète commune que devait commander le général Delestraint, délégué par le chef de la « France Libre ».
Au début de mai, Jean Moulin, rentré en France, put procéder à la création effective du C.N.R. dont il devint le premier président.
Nous préparâmes alors, à Londres, avec l’état-major allié, une série de plans de destruction pour lesquels nous recrutâmes en France des éléments en général extérieurs à l’armée secrète.
Ce furent :
– le plan Vert : plan de paralysie des voies ferrées par destruction réparties et renouvelées ;
– le plan Violet : plan de paralysie des lignes souterraines à grande distance ;
– le plan Tortue : plan destiné à gêner les déplacements des divisions allemandes, etc.
Ces plans se trouvèrent prêts à fonctionner dès début de 1944.
Ils furent déclenchés tous ensemble dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, à la demande du général Eisenhower. Les résultats furent tels que les Allemands ne purent amener entre J et J + 6 que cinq divisions au lieu de 12 que l’on pouvait prévoir. Or, les Alliés avaient prévu le débarquement dans la tête de pont entre J et J + 5 de 12 divisions. La tempête qui régna du 7 au 8 juin 1944 sur l’Atlantique ne leur permit de débarquer que cinq divisions. On peut donc, à juste titre, se demander ce qui se serait passé si la Résistance française n’était pas intervenue et si les destructions prévues n’avaient pas joué. L’état-major du général Eisenhower fut tellement impressionné que nous obtînmes, au cours du mois de juillet 1944, des parachutages massifs d’armes sur les zones du maquis… Pour nous qui, depuis quatre ans, ne cessions de batailler avec nos Alliés pour obtenir chaque mois quelques maigres parachutages, ce fut un changement radical qui plus que toute autre considération nous montra l’étendue de la réussite de la Résistance française.
Au cours du printemps 1944 nous formâmes en Angleterre deux séries d’équipes :
– les équipes dites “Jedhburg” constituées par un chef de mission français, un adjoint anglais, canadien ou américain, un opérateur de radio français (1).
Une vingtaine de ces équipes furent parachutées en France en juin 1944 dans les zones de maquis pour :
– procurer aux maquis l’armement et équipement nécessaires ;
– préparer des missions de harcèlement des arrières ennemis ;
– maintenir les liaisons et transmissions avec nous.
Les équipes dites “Sussex”, constituées de la même manière et en nombre à peu près égal, qui furent elles aussi parachutées en France, à partir de juin 1944, derrière les lignes ennemies afin de nous transmettre tous les renseignements tactiques en se repliant en même temps que les Allemands.
Ces deux plans (“Jedhburg” et “Sussex”) fonctionnèrent parfaitement et obtinrent des résultats qui dépassèrent largement les prévisions.
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Dès 1941 nous réalisâmes l’importance d’organiser la protection de nos réseaux et de nos organisations contre la Gestapo et ses auxiliaires français. Une section de contre-espionnage fut donc créée à Londres au sein du B.C.R.A.
Elle fut placée sous les ordres du capitaine Wybot. Ceci nous permit de détecter nombre d’agents ennemis qui avaient réussi à s’infiltrer dans nos organismes et de repérer les traîtres qui, capturés par la Gestapo, avaient accepté de travailler pour elle.
Un très grand réseau de contre-espionnage fut créé en France même sous le nom de réseau Ajax, par Achille Peretti.
Peretti fut pour nous, dans le domaine du contre-espionnage ce que fut Rémy dans le domaine du renseignement ; un extraordinaire agent secret à la fois prodigieusement courageux et merveilleusement efficace. Grâce à lui, nous eûmes des yeux et des oreilles partout.
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Voici donc brièvement résumée en quelques pages, l’histoire de ce B.C.R.A., cet organisme parfois très décrié, toujours très mal connu, mais n’est-ce pas là le sort normal d’un “Service secret”!!! dont la fonction est de “Servir et se taire ?”
(1) Et parfois anglo-saxon (N.D.L.R.).