L’histoire financière de la France Libre
Par Jacques Bauche
À la suite de la publication de notre plaquette « France Libre 1940-1943 » nous avons reçu d’un ami lecteur la lettre suivante :
« … la remarquable rédaction de votre ouvrage m’a, d’un seul coup, remis bien des choses en mémoire mais aussi appris nombre de faits que j’ignorais, je l’avoue.., comme d’ailleurs tant de Français, même à l’heure actuelle.
Il est cependant une question importante que je m’étais souvent posée et à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse, pas même dans votre plaquette : pendant la période que vous évoquez, comment a vécu financièrement la France Libre, et qui a payé en définitive? »
En effet, nous n’avons pas traité ce sujet dans notre ouvrage, et pensant qu’il peut intéresser d’autres lecteurs, nous répondons à notre correspondant en publiant cet article.
La « trésorerie» de la France Libre débute à Londres le 19 juin 1940 avec une encaisse de 14 shillings et la contrepartie en valeur anglaise des 100 000 F que Paul Reynaud avait remis au général de Gaulle à Bordeaux avant son départ.
Puis vint au crédit le règlement, par l’Angleterre, du stock d’eau lourde que la France avait acheté à la Norvège, qui était arrivé sans encombre à Plymouth en même temps que les premiers volontaires, et qu’on avait abrité dans les caves du château de Windsor.
Ce fut, ensuite la paiement par les Anglais du plein chargement de bauxite (1) que contenait le cargo italien Capo Olmo capturé le 10 juin à Marseille et qui avait rallié la France Libre avec un équipage de fortune.
Ceci avait permis de faire face aux premières dépenses; mais il n’empêche que l’amiral Muselier fut bien embarrassé dans les premiers jours de juillet 1940 à Londres, lorsqu’il reçut la facture du premier lot d’insignes à croix de Lorraine qu’il venait de faire confectionner à l’intention des marins de la France Libre.
Ensuite, l’état-major du général de Gaulle reçut des dons recueillis par les Comités français libres à l’étranger pour soutenir son action. Ces dons émanaient du monde entier, aussi bien offerts par des Français patriotes que par des étrangers amis de notre pays et désireux de venir en aide à ceux qui continuaient à le défendre. Un chercheur d’or du Congo remit au général de Gaulle une énorme pépite qui avait la forme de la France, et que le trésorier de Carlton’s Gardens alla immédiatement négocier pour renflouer sa caisse.
À la suite d’une collecte, des amis anglais firent parvenir un lot de bijoux au général de Gaulle lorsqu’ils apprirent sa condamnation par Vichy.
En juillet 1940, à Londres, Pierre Denis s’attelle à organiser l’administration financière de la France Libre. Il ne s’agit, pour l’instant, que de faire vivre les forces de terre, de mer et de l’air et de régler leur solde. Un principe formel est établi dès lors, et sera maintenu jusqu’à la Libération nul ne devra s’enrichir au service de la France Libre.
Le 7 août 1940, des accords sont signés entre Churchill et de Gaulle; ces accords stipulent entre autre que le gouvernement britannique ouvre au Général les crédits nécessaires aux dépenses militaires de la France Libre et aux dépenses administratives civiles de l’organisation centrale. Ces crédits devront être comptabilisés en vue de leur remboursement. Puis ce furent la location des navires marchands français libres aux services britanniques et les revenus de la pêche côtière effectuée au large du Pays de Galles par la flottille des marins pêcheurs de la France Libre qui alimentèrent les caisses en attendant la vente des produits coloniaux tirés des territoires ralliés.
Lorsque l’Afrique équatoriale passe à la France Libre, le général de Larminat devient gouverneur général.
Rapidement il manque d’argent pour administrer ces territoires; or la banque d’émission est à Dakar inféodé à Vichy. Le 15 octobre 1940 de Larminat doit faire imprimer de la «fausse monnaie » à Léopoldville sur du papier de boucherie. Il trouve ainsi 60 millions en billets de 1.000 et de 5.000 F pour faire face à ses échéances. Mais un stock d’or constitué par la production des prospecteurs du Congo et du Cameroun va rapidement couvrir cette émission.
Dans les autres territoires ralliés, notamment en Océanie où la banque d’émission était à Saigon, hors d’atteinte, on remplaça les billets de Vichy par des devises anglaises et américaines.
Partout, dans les territoires ralliés, les produits, les services, les locations de bases aux Alliés étaient décomptés au crédit de la France Libre sur le grand livre de Londres.
Enfin lorsque l’AOF et les Antilles rallièrent le camp de la liberté, on récupéra les stocks d’or de la Banque de France qui y avaient été évacués en juin 1940. Car, et cela a pu passer inaperçu, si notre pays était à l’époque si pauvre en armement moderne, sauf en ce qui concerne sa marine, il possédait proportionnellement l’une des plus grandes réserves d’or du monde.
Durant ce temps, à Londres, on s’était organisé pour transférer dans les colonies ralliées les fonds nécessaires à leur participation à la guerre, pour contrôler leur budget et, tout contact étant rompu entre ces territoires et la France métropolitaine, pour assurer le mécanisme de leurs règlements financiers avec les pays alliés.
Le 13 février 1941, à la suite de nouveaux accords avec le gouvernement britannique, une ordonnance crée à Londres une caisse centrale de la France Libre qui va permettre une réorganisation complète des méthodes comptables et qui va constituer la caisse du trésor, en même temps que l’on met sur pied un organisme d’émission, un office des changes et un comptoir d’investissement. La parité de la livre sterling est fixée à 176 F libres. Le général de Gaulle s’engage à vendre au moins la moitié de la production d’or de ses territoires à la Banque d’Angleterre. La France Libre couvrira par ses ressources coloniales propres les dépenses civiles de ses territoires. Des billets de banque français libres imprimés à Londres et signés par André Postel-Vinay (Duval), directeur de la Caisse centrale, seront mis à la disposition des colonies ralliées.
En juin 1943, à Alger, avec la constitution du Comité Français de Libération Nationale, l’administration financière confiée à Couve de Murville a maintenant la charge de réaliser la fusion monétaire et financière des territoires de la France Combattante et des autres fractions de l’Empire détachées à leur tour de la métropole et rentrées dans le combat. L’alimentation en fonds des maquis et de la Résistance intérieure devient également une préoccupation capitale.
En 1944, au moment des débarquements, l’on procède à la liquidation des institutions établies à Londres, ainsi qu’à l’arrêt définitif des comptes de la France Combattante envers la Banque d’Angleterre.
Il en résulte pour nous une dette relativement minime, dont le montant n’excède pas le prix d’un croiseur de bataille et dont la somme sera remboursée à la Grande-Bretagne avant la fin des hostilités par René Pleven, ministre des Finances du gouvernement provisoire de la République.
(1) Le lecteur aura remarqué que, suivant l’article de Colette Bécourt-Foch, il s’agissait d’antimoine ? (N.D.L.R.).
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 232, troisième trimestre 1980.