Le médecin-colonel Henri Fruchaud
Compagnon de la Libération
La France Libre vient de perdre en la personne du professeur Fruchaud un de ses premiers fidèles, des plus fervents, qui par sa science et son dévouement acharné fut le bienfaiteur de beaucoup des nôtres. Car beaucoup de nos blessés du Moyen-Orient et d’Italie, et particulièrement de la 1re D.F.L., lui durent la vie après de terribles blessures, lui durent de conserver le maximum de ce qui pouvait être sauvé de leur intégrité physique.
Nous publions ici, en nous y associant de tout notre cœur, l’hommage qui lui est rendu par un de ses amis, le médecin général inspecteur Reilinger.
Le docteur Henri Fruchaud, ancien professeur de clinique chirurgicale à l’École de médecine d’Angers, médecin-colonel du cadre de réserve, Commandeur de la Légion d’honneur, Compagnon de la Libération, Médaillé militaire.
Tous les Français Libres du Levant connaissaient le médecin-colonel Fruchaud, l’un des premiers qui rallièrent le général de Gaulle dès juin 1940.
Né à Angers le 16 juillet 1894, issu d’une famille de médecins, il avait fait de brillantes études à la Faculté de médecine de Paris, avait été interne des hôpitaux de Paris, chef de clinique et finalement professeur de clinique chirurgicale à l’École de médecine d’Angers.
Nombreux sont ses travaux publiés ; et d’autres, en d’autres lieux, sauront rendre hommage à son œuvre scientifique et clinique. Il était membre de l’Académie de chirurgie.
Mobilisé comme chirurgien en 1939-1940, Fruchaud avait déjà fait ses preuves pendant la Première Guerre mondiale.
Parti comme infirmier avec un régiment d’infanterie en 1914, il avait servi dans la troupe pendant toute la guerre en franchissant tous les échelons. Sa conduite courageuse lui avait valu plusieurs citations élogieuses et la médaille militaire.
Notre première rencontre date de mai 1941, lorsque j’allai à Suez accueillir les camarades du Service de Santé F.F.L., revenant de la campagne d’Érythrée où il dirigeait le groupe sanitaire de la brigade française d’Orient.
Souffrant encore d’une fracture du calcanéum qu’il s’était faite pendant cette campagne, passionné par le travail de chirurgien aux armées, brûlant du désir de servir, il se met immédiatement en route pour rejoindre la formation Hadfield-Spears qui a été dirigée dès son débarquement au camp de Sarafand, en Palestine.
C’est à Sarafand qu’il prend contact avec la formation dirigée par Mme Spears et aussitôt son esprit d’organisation et son tempérament chirurgical commencent à se manifester, sans éviter les heurts avec la directrice qui, elle aussi, possédait une forte personnalité. J’ai dû intervenir plus d’une fois pour aplanir les difficultés.
Au moment des opérations de Syrie, il installe son service de chirurgie à Deraa, dans cet ancien poste frontière de la Syrie et de la Palestine et, après l’occupation de Damas, il part pour y déployer sa formation, prenant soin en même temps des blessés de l’hôpital militaire de « Verbizier ».
Beyrouth est l’étape suivante où, à l’hôpital « Saint-Charles Borromée », il commence à former et à rôder son équipe destinée aux futures campagnes de Libye, de Tunisie et d’Italie.
Travaillant sans arrêt, enseignant aux jeunes sa vaste expérience chirurgicale, Fruchaud fait construire les premiers camions chirurgicaux où le maximum de confort et d’espace est réservé aux futurs blessés. Une fois déployés, ces deux camions juxtaposés constituaient une cible trop voyante pour l’aviation ennemie, notamment en terrain désertique. Nos aviateurs l’appelaient « La Chapelle » tellement elle était un point de repère pour eux. Lors du siège de Bir-Hakeim ils furent du reste détruits pendant un bombardement aérien.
Il fallait voir Fruchaud à Bir-Hakeim, assis dans une tranchée individuelle, un véritable trou plein de cette poussière fine du désert de Libye, rédigeant sur ses genoux son tome I de Chirurgie de guerre, publié ultérieurement avec beaucoup de difficultés en 1943, à Beyrouth. Ce fut le premier traité de chirurgie de guerre de la Seconde Guerre mondiale.
Ce n’est pas l’endroit d’analyser cet ouvrage, mais il révélait son don d’observation et sa vaste culture chirurgicale et surtout son expérience de la chirurgie de guerre et de traumatologie. Anatomiste distingué, opérateur adroit de grande classe, ayant des vues très justes sur la biologie des plaies de guerre, très au courant de l’anesthésiologie moderne et de la transfusion, ce grand chirurgien obtenait le maximum de guérisons après ses interventions conservatrices. Enseignant et se perfectionnant lui-même sans cesse, il ne partageait pas toujours les points de vue des chirurgiens de l’armée britannique.
« Opérer le blessé le plus tôt possible, le plus près des lignes, lui éviter les longs transports si meurtriers à cette époque, dans ce théâtre d’opérations aux lignes de communication très longues et pénibles dans un climat peu clément », telle était sa doctrine, alors quelque peu révolutionnaire.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 128, septembre-octobre 1960.