La guerre de Libye, par Gabriel Brunet de Sairigné

La guerre de Libye, par Gabriel Brunet de Sairigné

La guerre de Libye, par Gabriel Brunet de Sairigné

El Alamein

Le 23 octobre 1942, à 22 heures, par une magnifique nuit de pleine lune, le premier coup de canon des batailles libératrices est tiré. A la même seconde, 800 canons se sont déchaînés. L’aube seule fera disparaître la lueur étrange que contemplent les Alexandrins.

Quelques jours plus tard, Stalingrad se libérera, les Américains débarqueront en Afrique du Nord, Malte sera ravitaillée. La victoire est en marche.

La VIIIe armée britannique s’est préparée longuement, un camouflage poussé à l’extrême a permis de préserver la surprise. Depuis de longues semaines déjà, l’ennemi a repéré tous ces faux chars de combat, groupés derrière le front Nord; il s’en amuse. Deux divisions blindées (de véritables divisions blindées cette fois) prendront la place de ces constructions de tôles et de bois, sans que le boche s’en doute.

Le 23 au soir, la 1re division française libre est dans la danse: 2e brigade en réserve derrière le centre, 1re brigade en action dans le sud. Celle-ci, arrivée la veille, a pris un immense secteur (le plus au sud, le plus difficile). Devant elle, la 21e brigade « Panzer » et la division blindée « Ariete » attendent l’attaque qu’elles croient principale. La mission des Français est de les maintenir là le plus longtemps possible pendant qu’au nord, la victoire se décide.

C’est un effroyable combat, contre le sable d’abord, contre l’ennemi ensuite, qui contre-attaque avec des chars, nos légionnaires arrivés seuls et à pied sur leur objectif, à plus de 10 kilomètres à l’intérieur des lignes adverses.

Tous les canons antichars sont ensablés loin derrière eux. Il faut se replier sur la base de départ; l’ennemi, cependant, a eu peur ; ce n’est que le 2 au soir que la 21e Panzer remontera vers le nord. Trop tard.

A l’aile droite, en effet, le combat est acharné. Toutes les nuits, l’attaque fait rage. On se regroupe pendant le jour à l’abri des terribles 88 antichars.

Tout l’empire britanniques est là: Australiens, Néo-Zélandais, Sud-Africains, Hindous, Écossais, Anglais de la 50e division et des trois divisions blindées.

Tous font merveille. Le 1er novembre, enfin, l’ennemi cède. Dans la nuit, une division entière part à l’attaque, guidée par les obus traceurs des canons antiaériens qui tirent sur ses flancs. Elle atteint, d’un élan, son objectif situé à 6 kilomètres. L’ennemi réagit violemment mais sans succès, des combats acharnés se déroulent.

Le 4 novembre, au matin, le 101e corps d’armée blindé peut enfin déboucher. Abandonnant dans le désert quatre divisions italiennes, les Allemands fuient sur cette fameuse « Via Balbo » que mitraillent sans cesse les chasseurs de la R.A.F. La pluie sauve l’ennemi du désastre total. Cependant, la poursuite est échevelée, elle ne s’arrêtera pratiquement qu’à Enfidaville, en Tunisie, à 3.500 kilomètres de là.

Jamais, je crois, une armée n’avait été aussi sûre d’elle-même et de son chef que l’était la VIIIe armée; « Monthy » l’avait entraînée patiemment pendant de longs mois et avait réussi à faire de cet assemblage de soldats de dix pays différents un merveilleux instrument de combat dont la foi en la victoire était totale.

J’ai lu, quelque part, une comparaison qui m’a paru juste: c’est celle qui rapproche les soldats de la Révolution de cette VIIIe armée, pleine de fantaisie, habillée à la diable, aimant la vie, mais sachant la prodiguer, ayant la foi enfin.

Il eut manqué quelque chose si la France n’y avait pas été représentée, si elle n’avait participé à la libération de cette terre d’Afrique qui a vu couler tant de sang français; si le canal de Suez, réalisation française, n’avait, une fois encore, été sauvé avec l’aide des Français.

Ils étaient bien peu ; les chiffres eux-mêmes ne signifient rien: quelques milliers en comptant ces étrangers et ces indigènes qui, si généreusement, acceptaient de servir notre drapeau.

La cause était belle. Ce n’était pas le pays seulement qu’il fallait sauver, c’était l’âme de la France.

Ceux qui sont morts ont eu la grande récompense de croire, qu’à cause d’eux, la patrie avait retrouvé la foi en elle-même: la foi qui renverse les montagnes.

Je le crois aussi, quoiqu’en disent quelques esprits chagrins, et je vous demande de le croire avec moi.

Lieutenant-colonel de Sairigné

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 19, juin 1949.