Les trois engagements du général Lalande, par le général Bourdis
Allocution du général Bourdis à l’inauguration d’une plaque commémorative sur la maison natale du général Lalande à Brive, le 18 juin 1997.
En choisissant l’anniversaire de l’Appel, date déterminante dans la vie du général Lalande, M. Murat, votre maire, et Mme Lalande qui viennent de dévoiler cette plaque vous ont privés de la présence de ses principaux camarades de combat. Ce sont trois capitaines de la 13e Demi-Brigade de Légion Étrangère, les généraux Saint Hillier, président de l’Amicale de la 1re DFL, dont il fut le chef d’état-major en Italie et en France, Jean Simon, président de l’Association des Français Libres, chancelier de l’ordre de la Libération, et M. Messmer, qui fut ministre des Armées du général de Gaulle pendant neuf ans puis Premier ministre. Leur place est aujourd’hui à Paris. Ils m’ont chargé de les représenter ici et de vous dire leur regret, ce qui me vaut le privilège d’évoquer devant vous, à la demande des siens, mon aîné de sept ans, mon ami. Nos routes se sont rejointes en juillet 1940, en Angleterre, au bataillon de chasseurs qui fit de moi un officier. À partir de janvier 1942, nous avons combattu côte à côte à la Légion en Égypte, en Libye, en Tunisie, en Italie, en Provence, à Belfort, dans les Vosges, en Alsace et dans les Alpes-Maritimes, sans que je fusse sous ses ordres. Nous ne nous sommes jamais perdus de vue depuis. J’enviais son indulgente et souriante autorité. Ses choix ont souvent éclairé ma propre route : carrière équilibrée, Légion étrangère, France Libre. C’est dans le cadre de ces trois engagements, plutôt que dans l’ordre chronologique, que j’évoquerai le parcours militaire de votre compatriote.
Carrière équilibrée
André Lalande a occupé, en effet, les emplois les plus divers que l’armée peut offrir à un esprit curieux que stimule la nouveauté, à une âme portée au dépassement de soi et au dévouement à autrui. Reçu à Saint-Cyr à 18 ans, il en sortit dans l’infanterie de forteresse et saisit la première occasion d’une affectation chez les Alpins. Au 6e BCA de Grenoble, il s’imposa vite pour l’école de haute montagne et le commandement de la section d’éclaireurs skieurs. Au printemps 1940, en Norvège, à la tête de la 1re compagnie, il se distingua trois fois en trois semaines et au terme de la campagne fut blessé, fait chevalier de la Légion d’honneur et promu capitaine. Toute sa vie, il resta fidèle à la montagne ; ayant acquis un chalet dans le Briançonnais, il pratiqua l’alpinisme et le ski tant que ses forces le lui permirent. Comme commandant de la région militaire de Lyon, son dernier poste, il eut la satisfaction d’avoir les troupes alpines à ses ordres.
Après la victoire, Edmond Michelet, ministre des Armées, l’affecta à son cabinet. Ce fut l’occasion d’un détachement à la commission qui délimitait la frontière italo-yougoslave en 1946, puis en 1947 à celle qui contrôlait les élections de Grèce. Le chef de la délégation française y était Georges Daux, un archéologue helléniste, directeur réputé de l’École française d’Athènes, qui apprécia le jugement, la fermeté, l’allant et l’autorité du jeune lieutenant-colonel qui le secondait. En 1949, André Lalande fit l’apprentissage pratique de l’état-major au niveau de la défense nationale. Il en profita pour préparer le concours de l’École de guerre, ou, au triple bénéfice de l’ancienneté, du classement et de l’âge, il fut à la fois président, major et benjamin de sa promotion. Il en sortit deux ans plus tard pour entrer à l’état-major Centre-Europe, alors à Fontainebleau. La compétence ainsi acquise lui valut, après l’épreuve indochinoise et un stage au collège de défense de l’OTAN, de servir trois ans à Washington au « groupe permanent » de l’Alliance. Il y était encore quand, en mai 1958, le général de Gaulle revint aux affaires. La question algérienne était prioritaire, il prit donc le commandement d’un secteur à Tiaret. Il acheva d’y restaurer la sécurité sans recourir aux méthodes expéditives car, pour lui, jamais la fin ne justifia tous les moyens. Il avait d’ailleurs compris que battre les fellagas n’était qu’un des préalables à un règlement convenable.
C’est dans ces dispositions d’esprit qu’à l’automne 1960 il aborda le haut enseignement de défense. Il s’y lia avec d’autres candidats aux étoiles de la marine et de l’aviation et avec des responsables civils de l’administration et de l’économie.
En mai 1961, il commandait la brigade d’intervention qui s’opposa à notre éviction de Bizerte avant la date fixée par les accords de 1958. L’amiral Amman, qui commandait la base, y était assiégé. Les troupes tunisiennes étaient maîtresses de la ville, contrôlaient l’entrée du goulet et occupaient déjà une partie des casernes. Lalande les en délogea rondement, sans dommage pour la population. La Tunisie n’en voulut pas à la France. Le voilà général.
L’avènement de l’hélicoptère ouvrait à l’armée de terre un vaste champ d’innovations pour la reconnaissance, les liaisons, les appuis et les évacuations. De 1962 à 1964, le général Lalande commanda son aviation légère. « C’est sous son impulsion et grâce à son irremplaçable expérience que l’ALAT a réussi son évolution », affirmait son lointain successeur dans les condoléances qu’il adressa à Mme Lalande en octobre 1995.
En juin 1966, ce fut la troisième étoile et le commandement de la division aéroportée qui rassemblait les unités gardiennes de la tradition des parachutistes de la Seconde Guerre mondiale que des Français Libres avaient formés, de ceux d’Indochine et d’Algérie. Y étaient nombreux ceux qui estimaient avoir été frustrés de leur victoire et qui reprochaient au gouvernement l’abandon de nos partisans. La loyauté sereine de leur chef et son tact les aidèrent à ne pas perdre confiance et à retrouver leur sourire.
Légion étrangère
Quand, fin décembre 1941, après avoir pendant dix-huit mois instruit en Angleterre bon nombre de jeunes futurs cadres des FFL, le capitaine Lalande arriva au Levant, plusieurs postes s’offraient à lui dans les états-majors ou les bataillons coloniaux. Il choisit de servir à la 13e Demi-Brigade de Légion étrangère qu’il avait vue à l’oeuvre en Norvège, qui s’était illustrée en Érythrée, avait été à la peine en Syrie et y avait triplé son effectif.
N’y était vacant que le poste d’adjudant-major du 3e bataillon. La mission était de seconder le commandant, dont le comportement déconcertait souvent ; il la remplit avec tact, à la satisfaction des compagnies et de l’autorité supérieure ; mais, pendant les six premiers mois, il ne commanda rien. Dans ses « Souvenirs », Pierre Messmer décrit avec une sobriété qui en rehausse le pathétique la bataille de Bir-Hakeim, où sa compagnie se signala tout particulièrement. Pendant la sortie de vive force, l’adjudant-major et lui firent, en isolés, un bout de chemin ensemble dans la nuit et sous le feu. « Aux dangers qui viennent de l’ennemi, écrit-il, s’ajoutent les problèmes moraux que va poser le cœur pur de Lalande », soucieux de réconforter et ramasser des blessés pour lesquels Dieu seul peut quelque chose. Tout au long de sa vie, en effet, il se préoccupa des implications morales des situations graves et périlleuses.
Quelle fierté, quelle chance pour un soldat de la France que d’avoir été à Bir-Hakeim, fait d’armes déterminant pour le succès de l’entreprise du général de Gaulle ! Comme il l’avait prédit, la guerre était devenue mondiale. Mais ni en Méditerranée, ni en Russie, ni dans le Pacifique la situation n’était encore favorable aux Alliés. Si les Soviétiques s’empressèrent d’accueillir une partie de nos pilotes de chasse, l’aversion de Roosevelt pour la France Libre fut aggravée par les difficultés qu’en Nouvelle-Calédonie rencontrait le général Patch, venu protéger l’Australie. Quant aux Britanniques, ils se repentaient d’avoir, en dépit du précédent de Dakar, dû combattre pour aider les Français Libres à entraîner la Syrie et le Liban dans la guerre et s’étaient bien gardés de les prévenir quand ils débarquèrent le 5 mai 1942 à Diégo-Suarez pour avoir les coudées plus franches dans l’océan Indien.
Et voilà qu’en Libye la VIIIe Armée perdait la bataille cinq jours après avoir cru la gagner et que l’attention du monde libre se portait sur la brigade de Kœnig. Elle se cramponnait à l’extrême sud de la ligne de défense enfoncée. Elle avait, d’entrée de jeu, brisé l’attaque de la division blindée italienne Ariete, repoussé l’ultimatum de Rommel qui se rendit sur place, s’y piqua au jeu, canonna, bombarda, assiégea pendant dix jours 3 700 Français, légionnaires étrangers, Africains, Maghrébins, Levantins, Polynésiens et Canaques qui ne disposaient d’aucun char, d’aucun canon capable de contrebattre son artillerie. Il immobilisa pour les réduire jusqu’à 30 000 Italiens et Allemands, à l’étreinte desquels ils échappèrent les armes à la main. « Plutôt que d’Austerlitz, c’est d’Orléans où Jeanne d’Arc a montré au monde que la France vivait encore qu’il convient de rapprocher Bir-Hakeim », pensait Malraux. C’est vrai et, pour le clamer, la voix de la France Libre était plus forte que celle du roi de Bourges. La Résistance Intérieure s’en encouragea, les Britanniques nous rétrocédèrent Madagascar. Mais de Gaulle ne fut pas pour autant mis dans la confidence du débarquement en Afrique du Nord que préparaient les Américains.
Les pertes de Bir-Hakeim coûtèrent un bataillon à la 13e DBLE. Les 2e et 3e fusionnèrent. Lalande tint à y commander une compagnie : ce fut « la 6 ». Messmer avait « la 7 ». Ils furent les seuls à atteindre l’objectif assigné à la brigade de Kœnig pendant la bataille d’El-Alamein, fin octobre 1942. C’était le plateau du Naq Rala, dont la falaise domine la dépression impraticable de Qatara à 80 kilomètres d’Alexandrie. Ils ne purent s’y maintenir car la marche d’approche dans un terrain mouvant et de nuit avait été fatale à maints tracteurs d’armes lourdes. Les blindés britanniques n’étaient pas au rendez-vous et les légionnaires durent se replier à découvert sous le feu des chars allemands. Lalande fut blessé. Il garda néanmoins sa compagnie jusqu’à la campagne de Tunisie, au terme de laquelle Labaume, son inséparable lieutenant depuis la Norvège, lui succéda avec bonheur. Toujours épris de nouveauté, il devenait, en effet, un des premiers fantassins artilleurs. En effet, équipée à l’américaine en vue de la campagne d’Italie, chaque brigade de la DFL se dotait d’une unité de canons de 105. Il mit sur pied celle de la 1re. Nommé chef de bataillon, il la commanda brillamment en Italie et, à ce titre, participa aux honneurs rendus à Rome le 30 juin au général de Gaulle à la villa Médicis par un détachement de fusiliers-marins et de légionnaires entourant leur drapeau. Débarqué en Provence, les mérites acquis de Toulon jusqu’aux Vosges lui valurent la croix de la Libération et le commandement du 3e bataillon de ses débuts à la Légion que d’opportuns engagements permettaient enfin de reconstituer. Il le forma tout en combattant dans la boue glaciale de Lorraine puis en Alsace où, dans la poche de Colmar, réduite pied à pied dans la neige et la brume, il releva le 2e bataillon décimé avant d’atteindre le Rhin.
Il devait être écrit que la 13e DBLE, qui, depuis Narvik, n’avait pas cessé de combattre, ne franchirait pas le grand fleuve mythique. Pour de Gaulle, la victoire était l’occasion de porter notre frontière italienne sur la ligne de faîte des Alpes partout où elle n’y était pas déjà, voire d’annexer les vallées francophones du Piémont et, pourquoi pas, d’épauler Clark quand il traverserait la Lombardie et pénétrerait dans le Tyrol. Pour un tel programme, le détachement d’armée de Doyen, constitué avec les FFI des Alpes, manquait d’armes lourdes, il fallait l’étoffer avec une division de la Ire armée. De Lattre avait désigné la 1re DFL, qui ne l’aimait pas assez… Depuis un mois, elle tenait le secteur sud, correspondant aux Alpes-Maritimes (alors qu’elle s’estimait destinée à entrer la première en Allemagne) lorsque les 8 et 9 avril 1944 de Gaulle est venu l’inspecter pour lui expliquer l’importance de son ultime effort. « Chaque succès militaire nous donne des moyens de plus dans les négociations », dit-il à ses chefs de corps rassemblés à Menton. Le 10 avril, la DFL livrait sa dernière bataille dans le massif de l’Authion. Installés dans nos fortifications, les Allemands barraient l’accès au col de Tende, notre premier objectif. Le combat dura 15 jours, il fut meurtrier. Le 24, nous avions reconquis tous nos forts et, les Alliés franchissant le Pô, les Allemands ordonnaient un repli général. Le détachement d’armée des Alpes entra en Italie, mais ne participa pas à l’offensive dans la plaine du Pô. Les visées annexionnistes du général de Gaulle contrariaient les Alliés, qui nous ordonnèrent de repasser la crête. Doyen n’obtempéra pas. La DFL se regroupa autour de Coni. De Gaulle ne s’inclina devant Truman que le 10 juin. Le traité de paix d’octobre 1947 nous accorda l’alignement si âprement disputé. Quant à André Lalande, il terminait la guerre sur la frontière où cinq ans plus tôt il l’avait commencée. Son bataillon était cité à l’ordre de l’armée pour ce qu’il avait accompli sous ses ordres dans les Vosges, en Alsace et dans les Alpes où il avait « fait tomber deux des derniers bastions tenus par l’ennemi : la Béole et Colla Bassa ».
Trois années et demie de campagne dans les rangs de la frondeuse « 13e demi » avaient consacré le chasseur alpin de Narvik comme légionnaire au point qu’en octobre 1955, lorsqu’il fut affecté en Indochine, on lui confia le commandement du 3e régiment étranger, le plus traditionnel, le plus décoré de la Légion. Pour un lieutenant-colonel au tableau, quelle aubaine : cinq bataillons, un secteur à Bac Ninh dans le delta du fleuve Rouge, un groupement mobile qui tenait le centre de résistance Isabelle à Diên Biên Phu ! Là-bas, au nord du Tonkin, à côté du Laos, il livra le combat le plus long, le plus meurtrier, le plus décevant de sa carrière. Cinq mois de captivité éprouvante pour son corps famélique et son esprit agressé par la propagande totalitaire le prolongèrent, il l’endura avec le seul soutien de son honneur et de sa foi. Dans le récit trop modeste qu’il en fait, il ne cherche les raisons de l’échec que dans son propre comportement. Pas une critique pour les chefs et les états-majors de Saigon et d’Hanoi qui s’étaient engagés dans la mésaventure en toute méconnaissance des possibilités de l’ennemi.
«Tenter une percée vers le Laos, écrit-il, ou défendre Isabelle jusqu’au bout pour l’honneur, aucune de ses solutions n’a été tentée à fond. Excuses : fatigue, isolement… On pouvait faire beaucoup mieux. Leçon d’humilité… » L’alternative, c’était le général de Castries, responsable de l’ensemble de la position, qui l’avait formulée au téléphone le 7 mai 1954 au moment de succomber.
France Libre
On peut conclure sur ce choix qui est plutôt un engagement car, s’agissant de la France, peut-on opter entre la liberté et l’asservissement ? Elle n’est elle-même que libre. Le scout corrézien qui avait choisi de prononcer sa promesse à Domrémy le savait delà. Sa conviction était du même ordre que sa foi chrétienne et que l’amour des siens, une fondamentale évidence.
Le 18 juin 1940, le capitaine Lalande, blessé à Narvik, était soigné en Angleterre. Il n’avait pas embarqué avec la division Béthouart, chargée d’établir un réduit en Bretagne pour interdire aux Allemands l’accès de Brest et de Lorient. Elle était arrivée trop tard, Pétain avait demandé l’armistice le 17. Elle retournait en Angleterre, emmenant avec elle quelques centaines de jeunes garçons de 16 à 20 ans qui ne pensaient qu’à combattre. Quand il sut que la division était à Stoke-on-Trent, il s’y rendit pour retrouver sa compagnie.
Dans le bivouac des Alpins, on ne se préoccupait guère du retour en France. Une seule exception : autour du lieutenant Dupont, un des cracks de l’EHM à qui tous les jeunes volontaires avaient été confiés, que secondait son ami le sergent de réserve Jean Silvy, on projetait de constituer un bataillon qui resterait avec les Alliés. On parlait peu du général de Gaulle, qui ne vint qu’à la fin du mois et ne s’entretint qu’avec quelques officiers. La 1re compagnie accueillit son capitaine avec enthousiasme, l’unanimité se fit très vite entre lui et le lieutenant de réserve Chabert, le sous-lieutenant Labaume, un saint-cyrien savoyard, l’aspirant Dureau, un étudiant parisien : « Puisqu’il y a à Londres un général qui continue la guerre, il faut le voir. » Et voilà le capitaine et l’aspirant de la 1re compagnie du 6e BCA à l’ambassade de France, où on ne leur propose qu’un rapatriement au Maroc, sans les renseigner sur ce qui ressemblait déjà à une dissidence. Ils apprirent par hasard que ceux qui rejoignaient le général de Gaulle se rassemblaient à « l’Olympia », un vaste hall d’exposition. Un capitaine de la Légion étrangère, Kœnig, chargé de l’accueil, leur confirma sans peine qu’ils étaient sur la bonne route. À Stoke-on-Trent, la nouvelle toucha surtout le 6e BCA et son bataillon de réserve le 12, et quand, le 30 juin, il fallut choisir, à la différence de la Légion dont plus de la moitié des compagnies (un millier d’hommes) suivirent leur colonel dans la France Libre, 57 chasseurs seulement sur 4 000, pour la plupart du 6 et du 12, les imitèrent. Aux quatre officiers de la 1re compagnie se joignirent deux sergents-chefs (1), de Ferrières de Sauvebœuf et Schmidt, deux sergents, un caporal et un chasseur. Dureau, Ferrières et Schmidt accompagneront Lalande dans l’ordre de la Libération. Ferrières tombera en Italie comme lieutenant à la 13e DBLE. Schmidt parachuté en France sera commandant en 1945. Le chef de corps Célérier de Sannoy a manqué une belle occasion en suivant le gros de sa troupe, mais il a eu raison de féliciter ceux qui continuaient, et entraînaient des jeunes qui trouvèrent en eux de vrais chefs, raison aussi d’écrire, une fois arrivé à Grenoble, dans le dossier du capitaine Lalande, qu’il avait lui-même décoré de la Légion d’honneur :
« Discipliné et droit, a cru de son devoir de rester en Angleterre pour continuer à servir. » Toutes proportions gardées, on comptera beaucoup de chasseurs dans les maquis des Alpes.
Lalande resta toute sa vie fidèle à ce choix qui faisait de lui un rebelle aux yeux de la hiérarchie militaire dévouée au régime établi en France dans le soulagement. Ni le faible écho de l’Appel du 18 Juin, ni Mers el-Kébir, ni l’échec de Dakar, ni le sanglant affrontement de Syrie, ni l’acharnement de Roosevelt à écarter de Gaulle de la libération de la France n’entamèrent sa résolution. C’est bien par fidélité à cet engagement que, dans une armée où par l’effet d’une allégeance tenace au maréchal certains dénigraient ouvertement la façon dont la question indochinoise avait été abordée à la libération, dont on avait pris des distances avec l’OTAN, dont on s’était dégagé en Algérie, Lalande a toujours défendu avec intelligence et calme les décisions du général de Gaulle, sans jamais déroger aux règles de la camaraderie et à l’obligation de réserve des militaires.
C’est bien cet attachement à l’idéal de juin 1940 qui a fait de lui le dernier chef de l’état-major particulier du premier président de la cinquième République qui, en mai 1968, au moment où il surmontait une des plus graves et des plus douloureuses épreuves de son destin national, lui témoignait affectueusement sa confiance.
Dans votre région si tôt pénétrée par l’esprit de la Résistance, on considérera sans doute que le choix de la France Libre a été le plus déterminant des engagements de l’éminent Briviste que nous honorons aujourd’hui. Mieux que beaucoup d’autres Français, vous savez que si la Résistance dont de Gaulle alluma la flamme le 18 Juin 1940 a pu embraser quatre ans plus tard le ciel radieux de Paris libéré, c’est parce qu’elle était un même combat, pour un même but, sous un même chef. Ce n’est pas ce combat qui a libéré la France ; elle l’aurait été de toute façon, sans nous, par les Alliés. Mais c’est la continuité, l’ubiquité de cette lutte, même à dose homéopathique, c’est l’opiniâtre esprit d’indépendance dans lequel elle a été conduite qui ont progressivement poussé le peuple à y participer et permis au chef de tenir sa promesse en gagnant son pari. Les Corréziens l’ont fait, du tract de Michelet le 17 juin 1940 jusqu’au détournement du train allemand par les cheminots et les FTP le 8 avril 1944, en passant par la conduite de Grenoble faite à Brive aux envahisseurs le 11 novembre 1942, par le combat des maquisards du doyen Merlat le 15 novembre 1943, par l’interception de la division Das Reich en juin 1944 et par le parachutage des Libérator le 14 juillet 1944.
Même combat, même but, même chef ! N’est-ce pas ce que doivent montrer les monuments, les écrits, les musées, les cédéroms consacrés à la Résistance, si nous voulons que sa mémoire survive à ceux qui s’y engagèrent de toute leur âme de 1940 à 1944 ?
(1) Ceux-ci sont probablement Marius Taravel et André Lehrmann que l’on retrouvera plus tard officiers instructeurs à l’École des Cadets (NDLR).
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 301, 1er trimestre 1998.