François Thierry-Mieg
« Capitaine Vaudreuil »
Itinéraire de patriote, itinéraire d’acteur efficace de la Libération que celui de François Thierry-Mieg, qui vient de nous quitter !
Né en 1908, industriel dans une société havraise d’importation et d’exportation de café, il est mobilisé en 1939. En juin 1940, il se replie avec son unité dans les Vosges et il connaît le sort des milliers de « prisonniers d’honneur », qui, n’ayant rendu les armes par ordre que le 24 juin 1940, après la signature de l’armistice, sont néanmoins envoyés en captivité en Allemagne.
Il a mal supporté cette duperie. Affecté à une entreprise située près de Memel, à l’extrémité orientale de l’Allemagne d’alors, il s’évade le 12 janvier 1941, avec un camarade, en Lituanie. Mais celle-ci est maintenant occupée par les Soviétiques. Il subit le circuit des prisons et du Goulag : forteresse de Kaunas, prisons Loubianka et Boutirki à Moscou, avant d’être transféré en mai 1941 au camp de Grazioviets (Mitchourine) : C’est là que sont regroupés les prisonniers évadés français. Ici se retrouvent le capitaine breveté Pierre Billotte, qui sera un des libérateurs de Paris, les lieutenants et futurs généraux Alain de Boissieu et Jacques Branet. C’est là que se noue, sous l’autorité de Billotte, la fraternité de ceux qu’on appellera, à la France Libre : « les Russes ».
Lors de l’attaque allemande contré l’URSS, 186 des évadés, répondant à l’appel de Billotte, demandent à rejoindre les Forces Françaises Libres. Thierry-Mieg est bien entendu de ceux-là.
Deux mois de captivité encore, de camp en camp, dans un pays désorganisé par l’invasion. Enfin, le 30 août 1941, « les 186 » sont embarqués sur un transport canadien ; ils participent à la première opération de commando de la guerre, sur le Spitzberg, et débarquent enfin en Angleterre à la mi-septembre 1941 pour rallier Camberley.
Affecté au BCRA pour être envoyé en mission clandestine en France, il subit la formation de manipulateur-radio. Les événements allaient l’orienter autrement. Nommé pour quelques mois secrétaire général du commissariat national à l’intérieur, qui vient d’être créé, il l’installe dans les bâtiments de Hill Street qui allaient être, jusqu’à la Libération, la centrale de pilotage de l’action politique en France. Puis, en avril 1942, il est délégué à Gibraltar comme chef de la mission française de renseignements. Une de ses missions est de faciliter le retour à Londres des agents du BCRA ou des résistants de l’intérieur qui transitent par l’Espagne et dont beaucoup sont internés à Miranda.
Une nouvelle fois, le choc des événements dévie son activité.
À partir de septembre 1942, il constate une grande fébrilité militaire à Gibraltar et l’arrivée de nombreux officiels américains ainsi que de multiples pièces d’avions militaires que l’on remonte sur l’aérodrome. L’opération «Torch » de débarquement en Afrique du Nord se prépare. Le 27 octobre, le capitaine Vaudreuil, qui est manifestement de trop, se voit intimer par le gouverneur de Gibraltar l’ordre de regagner Londres, où le général de Gaulle le réclame. Aussitôt en Angleterre, il vient faire son rapport au Général – qui ne l’a nullement réclamé ! – et il l’informe de la probabilité d’une imminente opération alliée en Afrique du Nord, entre Rabat et Alger.
Remis à la disposition du BCRA, il y est nommé au début de 1943 chef de la section contre-espionnage. Il a la bonne fortune, peu de temps après sa prise de service, de démasquer un agent allemand arrivé en Angleterre par l’Espagne et le Portugal sous le camouflage d’un patriote français et que les services de sécurité britanniques n’avaient pas décelé. C’est lui qui, après le capitaine Wavrin, alias Wybot, veille à la constitution du double fichier qui, sur la base des renseignements reçus de France, classe les patriotes et résistants et les collaborateurs, fichier qui allait rendre tant de services à la Résistance.
À la Libération, François Thierry-Mieg, chargé d’une mission en France, entre à Paris le 25 août 1944 en même temps que la 2e DB. Il oriente les FFI vers la récupération des postes allemands à Paris afin de permettre la capture du maximum d’archives allemandes du 2e Bureau.
Après la guerre, il est un temps directeur à la DGER, qui doit doter la France nouvelle de services de renseignements modernes, puis rentre dans la vie privée. Il commence en 1950 une étonnante carrière à la direction de la Compagnie française du Niger (filiale d’Unilever). Pendant trente ans, toujours sur la brèche, sillonnant l’Afrique, il est le très remarquable porte-parole auprès des gouvernements africains des investisseurs européens. Il fait plus que quiconque pour la compréhension mutuelle et le rayonnement français.
Président de l’Association internationale pour le développement économique et l’aide technique (AIAT), membre de la section outre-mer du Conseil économique et social, il a su nouer grâce à sa générosité, à son dévouement et à sa capacité d’accueil, des relations privilégiées avec maints dirigeants africains d’une très grande utilité pour la France comme pour l’Afrique. Promoteur inlassable de l’Entente cordiale, il avait noué les liens les plus étroits avec la Grande-Bretagne.
FFL éminent, grand Français, clairvoyant ami de l’Afrique, François Thierry-Mieg était titulaire de la médaille de la Résistance et de la médaille des Évadés, officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du Mérite.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 292, 4e trimestre 1995.