Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

Le recrutement dans les FNFL

Parties de zéro le 18 juin 1940, les FNFL étaient fortes d’environ 7000 homme le 3 août 1943, lorsqu’elles fusionnèrent avec les FMA (Forces Maritimes d’Afrique du Nord).

D’où venaient ces hommes et qui étaient-ils?

Toutes questions de conscience mises à part et en ne retenant que les facilités matérielles et géographiques mises à la disposition de chacun, c’est bien d’Angleterre et d’Alexandrie et ultérieurement des territoires de l’Empire ralliés à la France Libre que devait venir la grande majorité des volontaires. Il en fut effectivement ainsi. Les engagements de la première heure furent largement aidés par les circonstances. En Angleterre, il suffisait de prendre le train ou un autobus à Londres. À Alexandrie, ce n’était pas non plus un exploit que d’abandonner la Force X et ses navires prisonniers au mouillage, même s’il fallait encore quelques semaines avant d’être à pied d’œuvre en Angleterre. Il était beaucoup plus difficile, plus risqué de s’évader et de passer clandestinement la frontière sévèrement gardée par l’ennemi ou les séides de Vichy.

En Grande-Bretagne, le recrutement a lieu en trois vagues.

• La première entre l’Appel du 18-Juin et le 3 juillet. Se rassemblent à Olympia Hall, sorte de caserne interarmes et centre de tri des engagés de la France Libre, deux groupes d’importance à peu près égale (350 hommes environ) :
– l’un de personnel de la marine;
– l’autre de civils volontaires pour servir dans la marine, dont la moitié a moins de 20 ans, candidats aux grandes écoles, étudiants et même lycéens.

• La seconde vague suit immédiatement l’opération Catapult du 3 juillet, autrement dit la saisie des bâtiments de guerre présents en Grande-Bretagne. Les Britanniques ont placé les équipages devant une seule alternative : « Engagement dans la Royal Navy ou rapatriement en France ».

Arrêtant leur choix dans les jours qui suivent, un peu plus d’un millier d’hommes de la marine de guerre, soit environ 10 % des effectifs concernés, décident de continuer le combat.

Paradoxalement le plus grand nombre d’entre eux, environ 700, signe un engagement dans la Royal Navy ; les autres, 450, choisissent de rallier les FNFL.

La majorité du personnel de la marine de guerre envisage le retour en France. Dix mille, à la date du 13 juillet, vont être dirigés sur les camps vides de la région de Liverpool, en attendant que les problèmes de rapatriement puissent être réglés.

L’équivalent de l’opération Catapult pour les navires marchands a lieu le 17 juillet. Les équipages, au total environ 2500, sont rassemblés à Crystal Palace à Londres.

• La Troisième vague. Autour de Liverpool et à Londres se trouvent donc près de 13 000 hommes, un réservoir inespéré pour les FNFL. Mais les personnels de la marine de guerre sont soumis à une propagande effrénée de l’amiral Darlan. Ils sont avertis que ceux qui rallieront la France Libre seront considérés comme traîtres, condamnés à mort, leurs biens confisqués, leurs familles privées de délégations de solde… Entre le 13 juillet et le 23 novembre 1940, date de départ du dernier transport de rapatriement, seulement 400 rallieront les FNFL.

Les personnels de la marine marchande n’ont pas été influencés comme leurs camarades de la Royale; ils sont restés plus libres de leurs choix. Ce sont eux qui pendant l’année 1940 fourniront l’essentiel du recrutement de la marine libre. Pour conclure ce paragraphe un fait assez remarquable : l’engagement de nombreux malades ou blessés hospitalisés en Grande-Bretagne après les combats de Dunkerque. Tenus à l’écart de la propagande ou des menaces de Vichy, le bon sens reprend le dessus.

À Alexandrie, entre le 10 juillet et le 4 décembre 1940, on comptera 172 ralliements, le plus spectaculaire d’entre eux étant celui du L.V. d’Estienne d’Orves, le propre aide de camp de l’amiral Godfroy. Ces ralliements scandalisent ceux qui restent, au point d’organiser des opérations punitives contre les déserteurs, ouvrant ainsi en territoire étranger une véritable guerre civile contre les Français Libres.

Après le ralliement de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie, les FNFL bénéficient de poussées dans le flux des engagements. Mais ces poussées sont modestes, en raison de l’importance du territoire rallié ou simplement parce que c’est l’armée de terre qui profite de la priorité du recrutement.

Jusqu’en novembre 1942, les territoires conquis par la force (Levant, Réunion, Madagascar) ne fournissent, peut-être en raison des combats fratricides qui ont eu lieu (1), que peu d’engagements à la France Libre. Les hommes en posture de rallier choisissent en général l’internement dans les prisons anglaises. La fidélité à la parole donnée au maréchal continue à jouer un rôle déterminant et c’est de préférence dans les formations du général Giraud après le débarquement en AFN que les intéressés accepteront de poursuivre le combat.

Aux Antilles, en Indochine où Vichy tient fermement ses troupes en mains, les ralliements furent exceptionnels, tel celui du L.V. Jubelin qui s’évade de Saïgon sur un avion et réussit après bien des péripéties à se poser en Malaisie.

Après le débarquement en AFN, le mythe du serment au maréchal s’effondre. Les FNFL bénéficient de ralliements importants au cours du premier semestre 1943 lorsque plusieurs unités des FMA se rendent aux État-Unis pour modernisation et entraînement et dont une bonne partie des équipages préfère servir sous les ordres de «gaullistes» décriés et inconnus plutôt que de rester sous les ordres de chefs en qui ils n’ont plus confiance.

Il y eut sur un rythme lent quelques jeunes gens qui dans le monde, en Angleterre, au Moyen-Orient, aux États-Unis ou ailleurs atteignirent peu à peu l’âge de s’engager et tinrent à rejoindre les FNFL.

Il y eut enfin ceux de France qui au prix des pires sacrifices vinrent sans cesse alimenter et rajeunir de leur courage tout neuf ce petit corps de marins dissidents qui combattaient librement les forces de l’Axe.

Par mer, dans des conditions périlleuses, par terre, via l’Espagne, en payant leur visa de transit de plusieurs mois d’emprisonnement au camp de Miranda, par tous les moyens possibles, ils passèrent. Tel le L.V. Ploix qui est condamné en octobre 1940 à cinq ans de détention et à la dégradation militaire après sa première évasion manquée pour rallier la France Libre. Libéré sur parole en juillet 1943, il en profite pour franchir la frontière espagnole en octobre, est emprisonné à Miranda et ne sera libéré qu’en décembre 1943.

Le recrutement des FNFL est donc hétéroclite : de jeunes civils, une minorité relative de marins de guerre, une majorité relative de marins de commerce.

Sur le plan des effectifs le recrutement se décompose en trois périodes :

– la première couvre l’année 1940. Les effectifs passent de 0 à 3 300. Le taux des engagements est de 500 par mois. Contrairement à certaines idées reçues, Catapult, Mers el- Kébir, Dakar n’ont aucune influence sur le rythme du recrutement;

– la seconde couvre les années 1941 et 1942. Lorsque les camps de Grande-Bretagne se sont vidés, la source principale de recrutement est tarie. Le taux d’engagements tombe à 100 par mois; les effectifs grimpent lentement jusqu’à 5600;

– la troisième correspond au premier semestre de 1943. Le taux d’engagements passe après le débarquement en AFN et grâce aux désertions à 200 par mois.

Au 3 août 1943, les effectifs sont de 7000 (2). Mais il faut noter que la moitié a été atteinte après les six premiers mois.

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(1) Il n’y eut pas, à proprement parler, de « combat » à la Réunion (N.D.L.R.).
(2) Non compris ceux de la marine marchande qui se montent à environ 33 000.