Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

La naissance des FNFL

Le 16 juin dernier, l’amiral Émile Chaline, président de l’Association des FNFL, s’adressait aux amis de l’Institut Charles de Gaulle, réunis à Paris comme à l’accoutumée. Il ne pouvait s’agir, dans le temps qui lui était imparti, de faire l’historique des Forces Navales Françaises Libres; nous sommes heureux néanmoins de publier le texte de sa conférence, consacré essentiellement « à la naissance, le recrutement, la mise sur pied, l’activité opérationnelle et les relations des FNFL avec la marine de Vichy. »

Le 18 juin 1940, le général de Gaulle lance son Appel, la situation de la marine française se prête à ce qu’il soit entendu. En effet, la presque totalité de la flotte est hors de France, hors d’atteinte des Allemands. La marine, gardienne traditionnelle du prestige du pavillon tricolore dans le monde et des intérêts maritimes du pays, est intacte, préservée des catastrophes qui ont frappé les armées de terre et de l’air. Elle est libre, en mesure de peser de tout son poids, considérable, sur les événements.

Voici comment se présente la situation dans les îles britanniques. En Grande-Bretagne se trouvent de nombreux bâtiments de guerre de la marine française : deux cuirassés, deux contre-torpilleurs, huit torpilleurs, 16 avisos, seize sous-marins, 15 chasseurs, 36 patrouilleurs, huit vedettes lance-torpilles et 150 bâtiments divers. Toutes ces unités sont à effectifs guerre et représentent 11 500 hommes.

Se trouvent également répartis dans 23 ports du Royaume-Uni 135 navires de commerce, soit plus de 400 000 tonnes, du pétrolier de 9 000 T au petit caboteur de 100 tonnes.

Enfin, près de 20 000 hommes des armées de terre et de mer ont été amenés en Angleterre par les bâtiments de guerre et de commerce qui y ont trouvé refuge. Ces personnels ne pouvaient pas rester sur les bateaux qui n’ont pas les installations voulues pour les héberger; ils ont été débarqués et dirigés sur des camps dans la région de Liverpool.

Quelle va être l’attitude de ces hommes, au total près de 35 000 en incluant les équipages des navires marchands?

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Londres (photo ECPA).

Sur les bâtiments de guerre, l’atmosphère est lourde. L’amiral Darlan a prescrit dès le 24 juin le repli sur l’ AFN de tous les bâtiments présents en Grande-Bretagne, mais les Britanniques, ignorant des clauses exactes de l’armistice et redoutant de voir la flotte française, une fois désarmée, tomber aux mains de l’ennemi, s’y opposent. Les directives du maréchal Pétain qui parviennent aux équipages sont que la résistance est inutile, que les conditions de l’armistice sont honorables et qu’il faut les exécuter. Peu d’hommes songent à désobéir, la majorité s’accroche à la discipline.

Dans les camps où les personnels ne sont pas encadrés comme sur les bateaux, l’ambiance est défaitiste. On ne parle plus de se battre mais de rentrer. J’étais personnellement dans le camp de Trentham Park où j’ai pu constater que beaucoup de professionnels du métier des armes ne songeaient qu’à retirer leur épingle du jeu.

Il y avait les « wait and see » qui suggéraient « Mon cher ami, ne vous lancez pas dans l’aventure ! »

Il y avait ceux qui s’accommodaient déjà de la capitulation, la zone non occupée apparaissant pour ceux qui avaient la chance d’y avoir leur famille comme un havre de paix. « Ah ! si j’avais 20 ans » ajoutaient-ils en guise d’excuse. Il y avait ceux qui méprisaient l’Appel du général de Gaulle : « Peuh ! disaient-ils, nous n’avons pas de leçons à recevoir d’un colonel de la veille ! »

Sur les navires de commerce, soumis moins directement aux directives du gouvernement du maréchal, l’atmosphère est à l’attentisme, avec en filigrane une idée directrice : « Pour être payé, il faut naviguer. »

C’est dans ce climat de renoncement (discipline sur les bateaux de guerre, défaitisme dans les camps, attentisme sur les navires de commerce) que le général de Gaulle cherche à constituer une force de combat. Les autorités britanniques ne facilitent guère ses démarches. Ce n’est qu’après sa reconnaissance comme chef des Français Libres que le Général pourra se rendre le 29 juin à Trentham Park où il ralliera une bonne partie des deux bataillons de la 13e Demi-Brigade de la Légion Étrangère, mais il ne sera pas autorisé à rencontrer les marins des camps de Liverpool.

D’ailleurs les Anglais ne songent qu’à se débarrasser de cette masse humiliée et mécontente qui encombre les camps. Ils en organisent le rapatriement sur le Maroc à partir du 1er juillet. Près de 20 000 marins et soldats de tous grades embarquent sur 12 paquebots et cargos qui après une navigation en convois arriveront à Casablanca les 8 et 9 juillet. On peut a posteriori se demander pourquoi les Britanniques étaient si pressés de se débarrasser de cette importante masse de militaires, les deux tiers des effectifs présents en Grande-Bretagne.

La réponse est simple. À l’époque, les Anglais pensaient que l’invasion des îles britanniques était imminente et la présence de ces Français qui ne voulaient plus se battre les inquiétait, car «Que feraient-ils si l’ennemi déferlait?»

À la date du 1er juillet, seulement une poignée de bâtiments a décidé de poursuivre le combat aux côtés des Anglais. Il s’agit du Rubis, du Narval, du Président Houduce et de quelques navires marchands présents à Gibraltar. Un seul officier général de la marine a cherché spontanément à se battre : l’amiral Muselier.