La fin de La Combattante
Reproduit d’après « France Libre », n° 4, juin 1950, bulletin de la section de Saïgon.
Automne 1944 – Mer du Nord
Depuis le reflux précipité des armées allemandes devant le « rouleau compresseur » allié, la situation navale évolue rapidement en notre faveur. Les ports français de la Manche sont libérés, les uns après les autres, et récupérés, mais dans quel état lamentable. Seul Dunkerque restera, quelque temps encore, sous la botte allemande.
La grosse affaire pour les Alliés c’est de libérer et, surtout, d’utiliser Anvers pour ravitailler l’aile gauche de leurs armées. En octobre 1944, à la suite d’une série d’opérations admirablement conçues et exécutées, en dépit d’obstacles qui paraissaient insurmontables, l’Escaut est forcé, remis en état de navigabilité et Anvers réoccupé presque intact. Cette opération décide du sort de la guerre et les efforts des Allemands pour écraser Anvers au moyen des V.1 et V.2 resteront inefficaces quoique alarmants par instants.
La Combattante, le plus récent et l’un des plus beaux des bâtiments de guerre F.N.F.L., incorporé dans la 21e destroyer flottille britannique, participe aux premiers convois alliés qui se fraient un passage parmi les épaves et champs de mines et passent coûte que coûte pour jeter sur les quais d’Anvers les munitions et le mat des armées anglo-américaines. Des pertes importantes sont consenties. À peu près chaque convoi – il y en a deux par jour dans chaque sens – perd un cargo, soit par mine, soit par une torpille lancée par les vedettes rapides « E-Boot » allemandes. Mais les convois passent tout de même… et les Allemands reculent… la victoire finale est à portée de la main. Auparavant, au printemps 1944, La Combattante s’était distinguée en Manche coulant plusieurs « E-Boots » allemands et divers patrouilleurs.
Hélas, tout n’est pas fini et de cruels sacrifices en vies humaines devront être consentis.
La Combattante patrouille dans la nuit du 22 au 23 février 1945 le long du chenal dragué qu’empruntent les convois sur la côte Est d’Angleterre. Le temps est beau et clair, la mer légèrement clapoteuse, il y a de la lune ; on s’attend à une attaque d’une forte escadrille d’ « E-Boot » sur le convoi qui descend de Newcastle vers la Tamise.
La Combattante fait route à petite allure, suivie de deux vedettes rapides britanniques ; l’équipage est aux postes de veille. Sur la passerelle et aux pièces, les veilleurs et les canonniers scrutent l’horizon. Dans leurs cabines exiguës, les opérateurs-radars et Asdic balaient de leurs instruments l’atmosphère et le dessous de la mer… la vie est belle… le boche peut venir, il sera soigné !
Hélas, le boche vient, mais pas comme on se l’imaginait… À 23 h 35, une explosion gigantesque coupe La Combattante en deux pulvérisant en un instant mécaniciens et chauffeurs de quart, les armements des pièces et le personnel sur le pont. En 30 secondes tout est fini ; la moitié avant du bateau flotte en l’air, l’autre moitié a disparu dans une immense flaque de mazout noir dans laquelle barbotent quelques malheureux s’agrippant à des morceaux de bois.
Les deux vedettes rapides anglaises se mettent en devoir de repêcher les survivants, mais leur tâche est rendue difficile par l’éparpillement de ceux-ci, le courant qui les emporte, l’obscurité. L’eau est glaciale et plusieurs, frappés de congestion, coulent à pic. Sur l’épave qui s’enfonce peu à peu, se trouvent une trentaine d’hommes groupés autour du commandant, attendant patiemment d’être recueillis par les vedettes.
Le moral est magnifique : les hommes rient, plaisantent, se frottent mutuellement pour se réchauffer. Mais, petit à petit, l’épave est recouverte. On a de l’eau jusqu’aux genoux, puis jusqu’à la ceinture. Une vedette s’approche prudemment et se tient à 100 mètres de l’épave… il faut nager jusque là, avec des jambes raides comme dés planches. Avant de pousser son monde à l’eau, le commandant fait pousser trois hourras et chanter la « Marseillaise » et le « God Save the King » dont les accents s’envolent vers l’Est, vers l’Allemagne, emportés par le vent.
Un bateau à la croix de Lorraine gît maintenant au fond de la mer, éventré par une mine magnétique.
Soixante-sept officiers et marins ont péri, mais 117 marins sont sauvés et reprendront sous peu le combat… et la croix de Lorraine flotte encore et toujours sur la mer, au pavillon de beaupré des anciennes unités de F.N.F.L…, vivant témoignage du sacrifice des braves qui ont continué le combat à l’heure tragique où tout semblait perdu.
Capitaine de frégate J. Pépin Lehalleur
F.N.F.L. 40
Extrait de la Revue de la France Libre, n°35, février 1951.