L’exploit du Capo Olmo, par Yves Cortadellas
Récit préfacé par le président national de l’AFL
À la mémoire du commandant Humbert Vuillemin
Préface du général d’armée Jean Simon
Rallié dans les tout premiers à la France Libre, fusilier marin, commando, chef de la section de protection du général Leclerc, Yves Bertrand Cortadellas a heureusement retrouvé ses carnets de guerre, d’une guerre qui l’a conduit de l’enfer de Dunkerque au nid d’aigle de Berchtesgaden.
J’ai ainsi appris la reconversion du Capo Olmo en transporteur de troupe, son départ en convoi le 3 novembre 1940 et son étrange voyage de Liverpool à Douala.
La malchance sembla s’acharner au départ sur ce vieux cargo, qui était, depuis son ralliement aux Forces Françaises Libres en juillet 1940, commandé par le commandant Vuillemin, marin d’une trempe exceptionnelle, compétent et courageux.
Ce fut d’abord une tempête d’une rare violence qui disloqua le convoi, mais Vuillemin décida de poursuivre sa mission sans aucune protection à une époque où les mers étaient infestées de sous-marins guettant leur proie et attaquant sans cesse les convois.
Yves Bertrand Cortadellas nous fait revivre l’angoisse qui règne à bord à l’occasion d’une panne de machine, heureusement réparée au bout de quarante-huit heures.
C’est ensuite un incendie à bord, le manque d’eau potable et l’épuisement du ravitaillement, et enfin le baptême du feu à la suite de la tragique méprise d’un croiseur britannique.
Le Capo Olmo n’en arriva pas moins à Freetown après six semaines de voyage, à une époque où 30 cargos et pétroliers avaient été envoyés par le fond par la Kriegsmarine.
Je profite de cette occasion pour rendre hommage au commandant Vuillemin, qui, en 1943, accomplit de nombreuses missions clandestines en conduisant et en récupérant sur les côtes de Bretagne des agents secrets.
Nous devions le retrouver, Pierre Messmer et moi, en Indochine, alors qu’il était directeur du port de Saïgon.
Il devait par la suite disparaître en mer alors qu’il se portait au secours d’un autochtone emporté par un typhon en rade de Diégo-Suarez.
Avant-propos
I
II
Je voudrais revenir un instant sur mon bataillon, ce 2e BFM (voir photo), qui n’était bataillon que de nom. En effet, en temps normal, un bataillon comprend en général trois compagnies d’environ 100 hommes. Or, notre bataillon n’était composé que d’un seul officier (le lieutenant de vaisseau Thulot, ex-capitaine au long cours), de quatre officiers mariniers (sous-officiers), dont le premier-maître Lofi (seul vrai professionnel fusilier-marin), et d’environ 70 quartiers-maîtres et marins. À la vérité, nous n’étions qu’un simple renfort pour le 1er Bataillon de Fusiliers-Marins qui était parti à effectif complet, lui, deux mois plus tôt d’Angleterre avec l’armada du général de Gaulle, sur Dakar et l’Afrique équatoriale.
III
Le lendemain, 14 décembre, les barrages anti-sous-marins de l’entrée de Freetown s’ouvraient devant notre vaillant Capo Olmo, qui chercha dans la rade son poste de mouillage au milieu d’une centaine de bâtiments presque bord à bord, dans ce grand port où transitaient les convois entre l’Angleterre et le front d’Égypte, qui, compte tenu des dangers en Méditerranée, passaient par l’Afrique du Sud.
IV
– nous avions embarqué et arrimé sur la cale avant un Curtiss P 40 (un avion de chasse américain vendu à la France et considéré comme un des plus performants de l’époque), qu’un sergent pilote avait ramené de la base vichyste de Dakar. Il avait réussi à décoller de justesse au nez et à la barbe des sentinelles de la garde, pourtant renforcée depuis la tentative avortée du débarquement des troupes du général de Gaulle à Dakar peu de temps auparavant. L’alarme avait bien été déclenchée et il essuya des coups de feu, mais il réussit à décoller. À son arrivée, les Britanniques, l’ayant pris pour un avion espion de Vichy à cause de ses cocardes, lui firent la fête à grands coups de canon antiaériens. Notre malheureux pilote eut beau basculer les ailes en signe d’amitié, il fut bel et bien troué en plusieurs endroits et dut se poser en catastrophe avant qu’une ovation de la part des hommes de la Royal Air Force ne vint le consoler de ses déboires ;
V
Le surlendemain de cet incident, après cinq jours passés sur cette rade, le Capo Olmo appareillait seul, encore seul mais il en avait l’habitude, en direction du Cameroun que nous devions atteindre en une huitaine de jours.
Enfin, à 13 heures, le 24 décembre 1940, 54 jours après avoir quitté Liverpool, le Capo Olmo se présenta devant le quai du port de Douala, aménagé sur la rive gauche du fleuve au pied de la ville. Au moment de l’accostage, nous fûmes reçus par les applaudissements d’une foule de civils et de militaires, blancs et noirs confondus et alignés le long de ce quai sur lequel se déployait un bataillon en armes du régiment de Tirailleurs camerounais avec sa musique. Notre émotion fut à son comble lorsque la Marseillaise retentit. Et c’est au garde à vous et les yeux pleins de larmes que nous reçûmes de plein fouet les marques de cet accueil chaleureux.
Sur le Cap des Palmes, ce départ posait des problèmes en raison de l’absence du commandant hospitalisé et d’un équipage insuffisant. C’est pourquoi le gouverneur Cournarie, impatient de voir appareiller ce convoi, désigna au pied levé le commandant Vuillemin pour prendre le commandement du Cap des Palmes. Celui-ci aussitôt exigea alors de disposer non seulement d’une partie de l’équipage de son Capo Olmo (momentanément désarmé) mais aussi, après avoir obtenu l’accord du commandant Thulot, de récupérer les spécialistes du 2e BFM qui l’avaient épaulé sur le Capo Olmo. C’est ainsi qu’en quelques heures notre sac, d’Auger et de moi-même, passa sur le Cap des Palmes.
(2) Pour mieux saisir les raisons profondes de ce dérapage scandaleux, il faut se reporter à l’analyse de ces événements en fin de récit et intitulée : « La vérité sur Mers el-Kébir et les événements qui s’y rattachent. »
(3) Via l’École des Cadets de la France Libre (Saint-Cyr) de mai 1943 à mai 1944; promotion « 18 Juin » (NDLR).
(4) Bosco : ici, en l’occurrence, le maître d’équipage ; mais nom donné en général aux brevetés gabiers. À l’époque, dans la marine et mis à part les marins pêcheurs (inscrits maritimes), tous les hommes étaient titulaires d’une spécialité sanctionnée par un brevet obtenu après plusieurs mois de cours. Partagés entre le pont (gabiers, ou boscos, timoniers, radios, canonniers) et la machine (mécaniciens, chauffeurs, électriciens), ils constituaient l’équipage où régnait entre les catégories une réelle solidarité, voire camaraderie. (Les fusiliers-marins couvraient les deux catégories).