L’évasion

L’évasion

L’évasion

S’évader des camps nazis était particulièrement difficile, dans un environnement hostile, comme le prouve l’exemple des Soviétiques évadés de Mauthausen dans la nuit du 1er au 2 février 1945 ; 419 prisonniers du bloc parviennent à franchir l’enceinte du camp, mais douze seulement réchappent à la chasse qui est menée contre eux, avec l’appui d’une partie de la population locale (seules deux familles aident des fugitifs à se cacher).
A contrario, une bonne connaissance de l’environnement du camp constitue un facteur non négligeable pour expliquer le succès ou l’échec d’évasions de déportés.
Au Struthof, le camp de concentration de Natzweiler compte une seule évasion réussie (voir « Il y a vingt-cinq ans, un Français libre réussissait la seule évasion du camp de Struthof »), le 4 août 1942, après une première tentative menée en liaison avec la Résistance alsacienne. Il est le fait de cinq hommes : Martin Winterberger, résistant alsacien employé à la blanchisserie ; Karl Haas, déporté autrichien, responsable du garage des officiers SS ; Joseph Mautner, commandant tchécoslovaque ; Joseph Cichosz, un ancien légionnaire français, combattant de la guerre d’Espagne ; enfin, Alfons Christmann, un déporté politique allemand. Affectés dans différents kommandos à l’hôtel du Struthof, en dehors du camp principal, ils réussissent, grâce à la complicité de codétenus, à rassembler quelques vivres, de l’essence, une carte de la région et une boussole et bénéficient de circonstances favorables : l’absence du commandant du camp, Egon Zill, et du SS-Obersturmführer Schlachter.
Au début de l’après-midi, les cinq hommes coupent les fils du téléphone, tandis que la menace d’un orage chasse les gardes SS et les prisonniers dans leurs baraquements. Puis Haas et Winterberger revêtent les uniformes de Schlachter et du Lagerführer Kramer et montent dans la voiture de Schlachter, leurs trois compagnons étant cachés à l’arrière, sous des couvertures.
Ayant réussi à franchir la barrière, ils se dirigent vers le col de la Charbonnière, où ils abandonnent le véhicule et enfilent des vêtements civils, avant de passer en France par le col de Sainte-Marie-aux-Mines.
Trois jours plus tard, des gendarmes des Vosges les arrête, mais Winterberger les convainc qu’ils sont des Français évadés, d’autant plus facilement qu’il connaît l’un d’entre eux, qui avait servi avant la guerre à Molsheim.
Arrivés à la ligne de démarcation, les cinq hommes se séparent. Winterberger passe en Espagne, où il est un temps interné, puis rejoint l’Afrique du Nord, où il s’engage dans la 1re DFL. Lui aussi arrêté en Espagne, Cichosz est interné à la prison de Barcelone. Muni de faux papiers par la Résistance à Lons-le-Saunier, Mautner parvient en Angleterre, où il est affecté à l’état-major de l’armée tchèque libre, tandis que Haas, s’engage dans les troupes aéroportées britanniques.
Quant à Christmann, il s’égare dans la région de Saint-Dié, où il est capturé par les Allemands et ramené au KL-Natzweiler. Après quelques jours de tortures, il est pendu publiquement le 5 novembre 1942, devant tous les prisonniers rassemblés devant la potence et obligés de contempler son cadavre pendant vingt-quatre heures.
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La proximité des armées alliées a également pu favoriser des évasions, surtout au printemps 1945, comme le montre l’exemple de Stéphane Hessel.
Déporté au camp de Rottleberode depuis novembre 1944, il fait la connaissance de l’ingénieur Robert Lemoine, lors de son retour à l’usine, en janvier 1945. Dans le contexte de l’offensive de von Rundstedt dans les Ardennes, qui font espérer à l’un une libération prochaine et craindre à l’autre un prolongement de la guerre, les deux hommes décident de s’évader. Du fait de sa formation, Lemoine a pu confectionner une boussole, et il est parvenu à récupérer deux coutils bleus.
La tentative d’évasion a lieu le 5 février 1945, durant la marche matinale entre le camp et l’usine, vers 5h30 ; les deux hommes se glissent dans les sous-bois. Toutefois, jugeant que le pays est vidé de ses hommes valides et qu’ils peuvent le traverser à découvert avec leur déguisement, ils sont arrêtés au premier village qu’ils traversent par des vieux vêtus de l’uniforme de la Landwehr (armée territoriale).
Menacés de pendaison ou de coups de bâton, les deux hommes sont dirigés le lendemain vers le camp de Dora, où ils sont enfermés dans une cellule du Bunker avec des détenus de droit commun. Grâce à leur pratique de l’allemand, ils réussissent à convaincre l’officier SS qui les interroge qu’ils n’ont rien volé et sont affectés, non dans le tunnel où sont fabriqués les V1 et les V2, dont le taux de mortalité est important, mais au Straftkommando (commando disciplinaire), affecté à l’entretien du camp, avec la Fluchtpunkt, la marque rouge des évadés, sur la veste rayée.
Le 4 avril, le camp de Dora est évacué et les déportés dirigés en train vers Bergen-Belsen. Dans le wagon qui les convoie, Hessel et ses quatre compagnons français du commando, mêlés à de nombreux déportés russes et peu de kapos allemands, parviennent à détacher deux lattes du plancher. Puis, quand le train s’arrête, après la gare de Lunebourg, il saute. Ses quatre compagnons ne le suivent pas, se croyant visés par des coups de feu tirés au même moment.
Seul, il traverse 150 kilomètres entre Lunebourg et Hanovre, marchant la nuit et dormant la nuit dans une grange isolée, obtenant de l’argent et des vêtements grâce à des Polonais et des Français du STO. Arrivé aux portes de Hanovre le 12 avril, après l’évacuation de la ville par l’armée allemande, il est affecté à une compagnie motorisée américaine qui avance vers Magdebourg.
Bibliographie
• Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Hessel, Stéphane (né en 1917) », dans le Dictionnaire de la France libre, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010, p. 738-739.
• Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997.
• Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses Kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin 1941-1945, Strasbourg, Éditions de la Nuée Bleue, 2005, p. 362.
• « Il y a vingt-cinq ans, un Français libre réussissait la seule évasion du camp de Struthof », Revue de la France Libre, n° 70, septembre-octobre 1967.