Trois Glenn Martin s’évadent du Maroc
Extrait de « Cap sans retour » de Madame Germaine L’Herbier-Montagnon
Maroc : premier sang – 30 juin 1940
Capitaine Le Forestier de Vendeuvre Jacques (9 mars 1910 – 30 juin 1940).
Lieutenant Berger Jean-Pierre (22 février 1915 – 30 juin 1940).
Lieutenant du Plessis Bertrand (30 juin 1940).
Sous-lieutenant Weill Robert (18 avril – 30 juin 1940).
À l’École de perfectionnement au pilotage de Meknès, un certain nombre d’aviateurs, qui accomplissaient un stage sur bimoteurs, avaient reçu, le 13 juin, l’ordre de retourner en France. Ils gagnèrent d’abord Casa, mais là il ne fut plus question de départ pour la mère patrie où la débâcle s’accentuait.
Apprenant l’abandon de la France, ils n’eurent plus qu’un but : atteindre Gibraltar.
Gibraltar, les colonnes « d’Hercule des anciens », territoire conquis en 1704 par les Anglais sur les Espagnols, séparé du Maroc par un détroit large de 15 kilomètres, rattaché au continent par une plaine de sable basse et marécageuse, Gibraltar, une des placer, fortes les plus puissantes du monde.
Après le discours du maréchal Pétain, expliquant les raisons du double armistice avec l’Allemagne et avec l’Italie, les aviateurs apprennent, le 29 juin, au Maroc, qu’un camp d’internés italiens est libéré et que les avions vont être démontés. Toute équivoque est dissipée.
Le soir, un groupe dont les lieutenants Weill, Berger, du Plessis, se réunit chez le capitaine Jacques Le Forestier de Vendeuvre, qui était le plus ancien commandant et que tous estimaient et respectaient.
De Vendeuvre, appartenait à une famille d’officiers (son père avait été tué à la guerre en 1917). Il avait fait Saint-Cyr, dont il était sorti major, en 1933, et fut également premier de l’École de cavalerie de Saumur. Après, en 1937, il fit un stage d’observateur à Reims. Malgré une grave chute d’avion, où son énergie et son dévouement pour son chef pilote lui valurent une citation, il ne perdit pas son enthousiasme pour l’aviation. En 1938-1939, ses qualités militaires, intellectuelles et morales le firent nommer instructeur à l’École de Saint-Cyr. Et en août 1939, il demanda à passer dans l’aviation, car il pensait mieux servir ainsi.
Le lieutenant Weill, sorti de l’École de Saint-Cyr en 1937, se trouvait en stage à Meknès avec le capitaine de Vendeuvre.
Le lieutenant Jean Berger, ancien élève du lycée Janson de Sailly, à Paris, licencié ès-lettres, après avoir fait l’École des sciences politiques, se destinait à la carrière diplomatique. C’était un garçon extrêmement intelligent, très cultivé, avec beaucoup de classe. Après un service de six mois à Saumur il avait choisi le 6e Spahis Algériens. Libéré en octobre 1938, mais rappelé en mars 1939, il avait demandé à passer dans l’aviation en novembre 1939. En stage d’élève observateur à Dinard, son école avait été refoulée à Clermont-Ferrand, lors de la retraite de mai 1940. Alors se souvenant qu’il était Spahi, il voulut reprendre la lutte sur le sol, et alla trouver le général d’Humières, commandant la 13e Région, qui lui donna l’ordre de se rendre sur la Loire et de collaborer à la défense du fleuve.
Les colonnes motorisées allemandes étant signalées dans la région de Charolles pendant la nuit du 17 au 18 juin, au pont de Marcigny, le lieutenant Berger entra en contact avec un officier du génie chargé de la destruction des trois ponts avoisinants.
Il avait pris le commandement de la section d’éléments territoriaux qui se trouvaient là sans officier… et s’était battu contre l’ennemi avec un courage désespéré.
La débâcle s’accentuant, le lieutenant Berger, replié en Afrique, arriva le 24 juin à Casa.
Le lieutenant du Plessis, lui, avait été attaché de l’Air à Varsovie. Il avait épousé la fille du peintre russe Lagoleff qui fit la célèbre Croisière Noire. C’était un officier de grande allure qui se trouvait pendant la guerre, détaché auprès de l’état-major polonais évacué alors à Casa.
En cette soirée mémorable du 29 juin autour du capitaine de Vendeuvre, ils étaient huit officiers qui n’admettaient pas la défaite et voulaient continuer à se battre.
Pour rejoindre les Alliés, trois solutions possibles s’offraient à eux :
1) Partir habillés en Polonais et ceci d’accord avec le général Ljinski qui prévoyait le départ pour le 2 juillet.
2) Partir sur Douglas du terrain de Ber-Rechid pilotés par des Polonais. Cette solution fut rejetée, le général Ljinski craignait que, par représailles, il ne puisse embarquer ses troupes.
3) Utiliser les Glenn qui étaient sur le terrain ; solution hasardeuse, car les aviateurs connaissaient peu ces avions. Leur mise en route était toujours laborieuse et la prise du terrain de Gibraltar s’avérait difficile. Pourtant ce fut cette dernière solution qui fut adoptée.
Pendant cette suprême veillée sur le sol de l’Empire Français menacé, le capitaine de Vendeuvre se recueille dans le cher souvenir de sa femme, de ses deux enfants et de celui qui allait naître.
« Quel que soit l’avenir, il faut toujours l’envisager avec courage, foi et résignation ; l’essentiel est que chacun fasse son devoir et « Dieu fera le reste ».
« Ce matin j’ai fait le sacrifice de ma vie, cela donne beaucoup de courage…
« Je pars, j’obéis à ma conscience. Certains me critiquent. Je n’ai qu’un but, obéir à mon sens du devoir ».
Jean Berger, lui, termine sa lettre d’adieu à ses parents par ces mots :
« Tant qu’il y aura un combattant je serai avec lui ».
Et le mardi 30 juin, à 12 h 30 les huit aviateurs se rendent en camionnette sur le terrain de Ber-Rechid qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres au sud de Casa. Ainsi qu’ils l’ont redouté, la mise en route des moteurs des « Glenn » demande plus de deux heures d’efforts. Enfin, ils sont prêts à décoller. Les signaux de reconnaissance de Gibraltar leur étant inconnus, des draps sont emportés.
Chaque appareil devait prendre un certain nombre d’officiers, mais à la suite d’incidents divers, l’équipage du premier Glenn se trouve ainsi composé :
Les capitaine de Vendeuvre, lieutenant Berger, lieutenant du Plessis, le lieutenant Weill monta au dernier moment, car, sur l’avion du capitaine Meyrand où il devait prendre place, la trappe ne s’ouvrit pas.
Weill est pilote comme de Vendeuvre, mais c’est ce dernier qui prend les commandes car il est le plus ancien. Sur le deuxième Glenn, le capitaine Lager, lieutenant Aubertin, lieutenant de Saint-Péreuse. Et sur le troisième, le capitaine Meyrand est seul.
Le départ est donné à 16 heures. Il fait un temps radieux. Le capitaine Meyrand arrive le premier au-dessus de Gibraltar, puis apparaît le second « Glenn » ; quoique la D.C.A. espagnole les tire, ils font un bon atterrissage sur le terrain de l’East Beach à la West-Beach.
De Vendeuvre vient ensuite. Il commence sa prise de terrain en empiétant légèrement sur les eaux espagnoles puis passe au-dessus de l’hippodrome, à 100 mètres d’altitude.
Les cocardes françaises sont tout à fait visibles. À la hauteur du baraquement du Worth Front et au moment où il amorçait son dernier virage, moteurs réduits et volets sortis, les mitrailleuses espagnoles ouvrent le feu… L’avion est touché, se cabre, part en vrille, des flammes et une épaisse fumée s’échappent du moteur…
L’appareil s’abat en mer dans les eaux anglaises, à quelques mètres du port. Les vedettes à moteurs Drake se portent immédiatement au secours de l’équipage. Deux corps flottent sur les eaux, le capitaine de Vendeuvre et le lieutenant Weill. Ils sont hissés à bord et conduits rapidement à terre. La respiration artificielle est pratiquée sans succès. Les cadavres des lieutenants Berger et du Plessis sont retrouvés dans la nuit.
Tous les aviateurs ont succombé à des fractures du crâne.
L’enterrement a lieu le lundi, à 15 h 30. Une cérémonie à l’Église pour les trois catholiques, une autre au Temple pour Jean-Pierre Berger, en présence du gouverneur de Gibraltar et des officiers supérieurs anglais. Les cercueils recouverts de drapeaux français et de fleurs sont portes par des aviateurs français qui ont déjà rallié ce terrain, symbole de liberté et d’espoir en l’avenir de la France.
Les voici ceux qui sont venus offrir leur vie pour la patrie et qui, plus tard, tomberont du ciel comme sont tombés ces quatre premiers morts de la France Libre.
Les trois quarts de la population les entourent dans ce cimetière que domine de toute sa hauteur le Roc imprenable.
Le général Leclerc écrira plus tard : « En apprenant la mort héroïque du capitaine de Vendeuvre, je sais que cet officier restera pour nous tous un exemple.
Sa forte personnalité, sa valeur comme élève et comme instructeur, font de lui un type de Saint-Cyrien que nous n’oublierons pas ».
Par décret du général de Gaulle, en date du 13 mai 1941, la croix de la Libération a été accordée au capitaine de Vendeuvre, aux lieutenants Berger, du Plessis, Weill :
« Équipage de héros, qui, refusant de se soumettre à l’ennemi, ont été les premiers à quitter le Maroc pour continuer la lutte. Ont été abattus en Méditerranée en tentant de rallier les Forces Françaises Libres ».
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 119, juin 1959.