Une évasion : le cas de Stéphane Hessel à Dora
Le 4 avril [1945], grande effervescence : « Allez chercher des vêtements dans l’Effektenkammer [vaste hall bien gardé où s’entassent manteaux et pantalons], et vite, dans le train ! On évacue le camp ! » Pour où ? J’ai tiré une veste brune et une couverture grise. Mes quatre camarades sont drôlement attifés. Concertation. Ne pas rester dans le train qui file vers le nord. Ne pas traverser l’Elbe. Détacher deux lattes du plancher. Sauter à la première occasion. Il y a beaucoup de déportés russes dans le wagon, peu de Kapos allemands. Le train s’arrête à la tombée du jour, après avoir passé la gare de Lüneburg […]. Il est temps, sautons. L’opération des lattes se passe bien. Je me glisse le premier sous le train. Coups de feu. Les quatre autres, qui me croient visé, renoncent. Je reste seul au bord du ballast. La nuit m’accueille. Une fois de plus, je suis libre.
Ici ma mémoire vacille. Comment ai-je franchi les cent cinquante kilomètres entre Lüneburg et Hanovre, marchant la nuit, dormant le jour sous le couvert d’une grange abandonnée ? Comment ai-je trouvé des Polonais compatissants, des Français du STO qui m’ont donné des vêtements, de l’argent ? Le 12 avril, je suis aux portes de la ville. Hanovre a été évacuée par l’armée. […] Au tournant d’une route, j’aperçois des chars avec l’étoile US.