Évasion double
Prisonnier le 20 juin 1940, amené au stalag XVII B (Krems Ander Donau), Autriche. Après un an passé à ce stalag, baraques 30 et 31 (baraques de sous-officiers), étant sous-officier, je n’étais pas astreint au travail obligatoire, je me suis fait inscrire pour aller travailler en kommando, afin de pouvoir m’évader. Donc, en avril–mai 1941, j’étais en kommando à Gaspolsthofen, dès mon arrivée j’ai contacté des camarades qui voulaient s’évader et nous avons commencé à nous organiser. En juin 1941, avec deux camarades (Calid et Bernon), nous avons trompé la surveillance de la sentinelle et sommes partis vers 1 heure du matin, sac au dos, contenant quelques vivres et une couverture. Nous espérions rejoindre la frontière suisse, mais c’est assez loin d’où nous étions. Après trois jours de marche sous la pluie, nous étions presque arrivés à Salzburg, nous marchions sur la route, une voiture s’arrêta à nos côtés, un policier sortit de ce véhicule, un autre homme restait dans la voiture ainsi qu’une femme, il nous demanda nos papiers, il nous fouilla pour savoir si nous n’étions par armés, après avoir discuté avec l’homme qui se trouvait dans la voiture, ils nous firent monter dans la voiture et nous abandonnèrent à la police à Gnil, faubourg de Salzburg, où nous avons été identifiés.
Après les formalités policières, nous avons été conduits à la prison centrale de Salzburg où nous avons passé la nuit et, au matin, une sentinelle est venue prendre livraison de nous, pour nous ramener au stalag. Arrivés au stalag, nous avons purgé 14 jours de cellule. Après avoir purgé la peine et de retour dans le stalag, je me suis fait inscrire de nouveau pour aller travailler avec les mêmes camarades. Afin de pouvoir m’évader de nouveau.
Nous avons été envoyés à Neumark-Kallham au mois d’octobre. Dès notre arrivée, nous avons commencé à nous organiser pour nous évader et, au mois de mars 1942, nous prenons le train avec deux camarades, Courtay et Petiot, pour Linz d’où nous espérions emprunter le rapide Vienne-Paris et nous camoufler dans l’espace qui se trouve entre le toit et les w.c. À Linz, nous avons pris un billet pour Augsburg, au cas où nous n’aurions pas trouvé à nous camoufler dans ce train, nous serions montés dans un autre à Augsburg. Nous sommes donc montés dans ce train et au départ de celui-ci, avons cherché à nous camoufler, nous n’avons rien trouvé et sommes revenus dans un compartiment. Après avoir roulé plus de huit heures, nous arrivons en gare de Munchen, beaucoup de voyageurs sont descendus et peu de temps après l’arrêt du train un policier accompagné d’un civil nous a demandé « Ausweis papiers Vozeigen ». Nous lui avons répondu que nous n’avions pas de papiers, alors, il nous a demandé le billet et nous avons montré notre billet. Qu’allez-vous faire à Augsburg ? Nous lui avons répondu que nous étions travailleurs italiens et que nous allions voir un frère qui venait d’avoir un grave accident. Ils nous a fait descendre, et amenés à la légation d’Italie en gare de Munich, où l’Italien qui se trouvait là s’aperçut bien vite que nous n’étions pas des travailleurs italiens. Nous étions pris. Après avoir passé la nuit dans une cellule, nous avons été conduits au stalag VII A, à Moosburg, à la baraque disciplinaire. Après plus d’un mois passé à cette baraque, avec plusieurs autres prisonniers, nous avons été ramenés au stalag XVII B – baraque disciplinaire. Après quelque temps passé au XVII B, nous avons été conduits avec plusieurs autres prisonniers au stalag XVII A (Kaisersteinbruck). Nous étions rassemblés dans ce stalag dans des baraques disciplinaires en vue d’un départ prochain pour le camp disciplinaire de Rawaruska en Pologne. Le 12 juin 1942 nous étions rassemblés pour aller à la gare, gardés par des sentinelles armées de mitraillettes prêtes à faire feu. Nous nous sommes jetés dans un buisson en passant dans un sentier où la route était un peu sinueuse avec un camarade, Courtay Corantin. Lorsque la colonne eut parcouru environ 100 mètres, nous sommes sortis du buisson, la figure et les mains couvertes de sang à cause des épines et nous nous sommes dirigés rapidement vers les montagnes (Leita-Gebirget) où se trouvait pas très loin la frontière austro-hongroise.
Après une nuit et un jour de marche, nous sommes arrivés à proximité de la frontière (Nickeldorf) où nous avons attendu la nuit, il pleuvait, et puis la nuit venue, nous nous sommes mis en route en rampant. Nous sommes passés à quelques mètres de la sentinelle, nous nous sommes levés et avons continué à suivre la voie ferrée, mais il nous semblait que nous revenions sur nos pas, aussi nous avons attendu le jour et, dès l’aube, avons regardé les écriteaux qui se trouvent sur les passages des voies non gardées et avons pu nous rendre compte que ce n’était pas écrit en allemand, nous étions donc en Hongrie. D’après le plan que nous avions, nous apercevions une ville avec beaucoup de lumières, ce devait être Bratislava (Tchécoslovaquie). La voie ferrée sur laquelle nous étions continuait sur Budapest.
Dans la matinée, nous nous sommes arrêtés au premier village rencontré et avons vu une maison où était écrit entre autres « Christum », nous avons frappé à la porte pensant trouver un prêtre, mais c’était une école catholique. Le professeur, en nous voyant, sortit quelques pièces de monnaie, nous prenant pour des mendiants, nous lui avons fait comprendre que ce n’était pas cela que nous cherchions, mais s’il pouvait nous conduire auprès du curé du village, ce qu’il fit. Nous avons demandé à celui-ci au cas où la police nous arrêterait, si elle nous remettrait aux autorités allemandes, il n’a pas pu nous donner une réponse, mais pensait bien, que si nous étions arrêtés, nous serions remis aux Allemands. Nous lui avons demandé de ne pas prévenir la police et avons pris congé de lui.
Après les quelques jours passés sous la pluie, j’avais mes chaussures qui avaient durci et j’ai dû les enlever, elles me coupaient les pieds. Nous nous trouvions sur l’une des plus grandes routes nationales de Hongrie et qui conduit à Budapest en longeant le Danube. Nous nous sommes mis en route. Arrivés dans un village, nous sommes entrés dans une boutique pour essayer d’acheter quelque chose à manger, nous avions des reichmarks, mais les commerçants n’en voulaient pas. Avant notre départ du stalag, nous avions perçu les vivres « Pétain » : biscuits de guerre et chocolat, que nous avions dans nos poches. Plus de 100 kilomètres nous séparaient de Budapest et nous cherchions quel était le moyen qui nous conduirait le plus vite, nous pensions au train. Mais sans billet nous risquions d’être arrêtés et d’être remis à la police, nous pensions prendre des vélos que nous aurions aperçus sans leur propriétaire, nous risquions aussi d’avoir à faire à la police, donc nous avons continué à marcher à pied. Quand nous rencontrions une voiture hippomobile, il y en avait pas mal, nous montions, les conducteurs ne se formalisaient pas beaucoup sur notre origine. Nous avions un rasoir mécanique et tous les matins nous nous rasions.
Après six jours de départ du stalag, nous étions aux portes de Budapest (18 juin 1942), nous avions seulement mangé, pendant tout ce temps, les biscuits et chocolat et bu beaucoup d’eau, la nuit commençait à tomber, alors nous avons passé la nuit dans une meule de paille qui se trouvait au bord de la route et le matin 19 juin, nous faisions notre entrée dans Budapest, je remettais mes chaussures. Nous pensions trouver un magasin où sur la devanture serait inscrit : « Ici on parle français », rentrer et se renseigner. Après une demi-heure de marche dans Budapest, sur notre droite, nous apercevons écrit en français : « Caisse d’Epargne » et comme il y avait un agent qui faisait les cent pas à 30 mètres de nous, nous avons continué. En arrivant à la hauteur de l’agent, une grande porte et au-dessus un drapeau français et à côté l’inscription « Légation de France », un homme de petite taille, serviette sous le bras, avait l’air de se diriger vers cette porte, nous l’avons suivi et sommes entrés avant qu’il ait eu le temps de refermer la porte.
Après six jours de départ du stalag, nous étions aux portes de Budapest (18 juin 1942), nous avions seulement mangé, pendant tout ce temps, les biscuits et chocolat et bu beaucoup d’eau, la nuit commençait à tomber, alors nous avons passé la nuit dans une meule de paille qui se trouvait au bord de la route et le matin 19 juin, nous faisions notre entrée dans Budapest, je remettais mes chaussures. Nous pensions trouver un magasin où sur la devanture serait inscrit : « Ici on parle français », rentrer et se renseigner. Après une demi-heure de marche dans Budapest, sur notre droite, nous apercevons écrit en français : « Caisse d’Epargne » et comme il y avait un agent qui faisait les cent pas à 30 mètres de nous, nous avons continué. En arrivant à la hauteur de l’agent, une grande porte et au-dessus un drapeau français et à côté l’inscription « Légation de France », un homme de petite taille, serviette sous le bras, avait l’air de se diriger vers cette porte, nous l’avons suivi et sommes entrés avant qu’il ait eu le temps de refermer la porte.
– Vous êtes prisonniers ? Vous avez des camarades en haut, montez, et il nous fit monter dans l’ascenseur.
Nous étions sauvés. Deux camarades prisonniers étaient là arrivés depuis quelque temps. Je n’arrivais pas a réaliser, surtout lorsque nous reçûmes un repas chaud. Nous avons été habillés. Nous mangions à la légation. Les repas étaient pris à un restaurant et apportés dans notre chambre.
Nous sommes restés à Budapest jusqu’au 13 juillet 1942 et ensuite, avec de faux papiers en poche, ainsi que billets de chemin de fer et quelque argent nous avons pris le train pour la France, via la Yougoslavie et l’Italie.
Le 14 juillet, un peu avant midi, nous arrivions à Zagreb, mais avant de descendre, un policier en civil, en blouse bleue, nous demanda nos papiers. Nos passeports étaient datés du 14 juillet. Il nous pria de le suivre jusqu’aux bureaux de police, là, après pas mal de discussions, nous avons été relâchés, nous sommes allés à la légation de France où l’apéritif nous a été offert dans la cuisine, car c’était le 18 juillet. Nous avons passé la journée et la nuit à Zagreb et le lendemain nous prenions le train pour l’Italie. Ce train comportait une escorte militaire, car les trains étaient attaqués par les partisans du général Mihalovitch. Nous sommes arrivés à Fiume sans incident, nous avons passé la nuit dans la gare et le lendemain repartions vers Trieste, Venise, Milan, Turin et enfin nous étions à la frontière, à Modane. Nous avons continué sur Vichy où nous avons été pris en charge par l’hôpital militaire (…).
Après ma démobilisation, je disais « au revoir » à mon camarade Courtay et je regagnais la Provence, ma contrée de naissance et où était ma famille. Pendant quelques mois passés auprès de ma famille, je contactai des camarades qui auraient voulu venir avec moi rejoindre les F.F.L. mais pas beaucoup de succès, quelques-uns étaient d’accord, mais le jour du départ ils se « dégonflaient » et pour partir tout seul cela ne m’enchantait pas beaucoup. Enfin un jour, un jeune camarade qui venait de terminer ses études et qui devait partir aux chantiers de jeunesse me paraissait bien décidé (il s’appelle Fernand Pin et en ce moment il est officier dans la marine). Tous les jours il n’était question que de cela, nous avons tout mis au point et le jour était fixé, janvier 1943. Nous devions nous rendre à Céret, à proximité de la frontière espagnole, mon camarade connaissait deux dames agées habitant Céret.
Nous étions donc à Mézel (Basses-Alpes) et, le jour du départ, nous avons dit aux gens qui nous voyaient attendre le car, que nous allions « faire un tour à Marseille ». Nous emportions pour le voyage quelques biscuits fabriqués avec du blé moulu avec un moulin à café.
Nous avons donc pris le car pour Marseille où nous avons couché chez un oncle de mon camarade et le lendemain nous partions pour Nîmes, mon camarade y connaissait une personne où nous avons pu coucher. Nous repartions le jour suivant pour Perpignan. Nous allions nous renseigner pour aller à Céret, il y avait un car, nous nous sommes rendus à l’emplacement de départ du car, il se trouvait là avec son chauffeur, nous lui avons demandé si ce car allait bien à Céret, il nous a bien regardés et nous a dit :
« Vous voulez passer de l’autre côté ?
Comme nous ne savions pas à qui nous avions à faire, nous lui avons dit :
« Nous allons à Céret voir des parents.
Je ne vous crois pas, nous dit-il. Surtout ne prenez pas ce car, il est inspecté à chaque trajet, si vous voulez passer de l’autre côté, je peux vous donner « un tuyau ». Il y a des passeurs que je connais et si vous voulez revenez demain.
« Mais nous n’avons pas d’argent pour payer les passeurs.
« Vous leur payez seulement les espadrilles, c’est tout.
Alors nous avons accepté. Le lendemain, à l’endroit convenu, « dans un café », nous rencontrions les passeurs. Nous nous sommes mis d’accord. Le lendemain, nous prenions le train jusqu’à un petit village, je ne me souviens plus du nom, et de là un car nous a conduits jusqu’à proximité de la frontière, je crois « Prats-de-Mollo », où les passeurs nous attendaient. Il était environ 21 heures, nous n’étions pas seuls, une dizaine qui faisaient comme nous : une dame assez âgée avec son mari, quelques jeunes et d’autres personnes. Avant d’entreprendre la « montée », les passeurs nous ont demandé si nous pouvions leur laisser une pièce d’identité, moi j’ai laissé mon livret militaire, je n’avais rien d’autre et nous avons commencé à escalader. La dame âgée avait un sac tyrolien, elle ne pouvait plus avancer, alors mon camarade a pris son sac ; un homme d’un âge moyen, veste de cuir, voyait des Allemands partout, si bien qu’à un certain moment ses jambes flageolaient et il fallait presque le porter.
Enfin, nous arrivons au sommet vers minuit, 1 heure du matin. Les passeurs nous ont dit :
– Vous êtes en Espagne, en marchant tout droit vous allez sur Figueras (…).
À la première pause nous n’étions plus que trois, mon camarade et le Catalan – les deux jeunes (18 à 20 ans) n’étaient plus là. Nous avons continué à marcher et le jour se levant, nous avons rencontré un paysan espagnol, le Catalan lui a demandé la route pour Figueras et nous avons continué bon train. Vers 9 heures, nous avons fait une pause, mon camarade avait toujours le sac tyrolien de la dame, nous avons décidé d’en faire l’inventaire avant de l’abandonner. À l’intérieur, il y avait deux paquets de gauloises, une vieille montre de poche et des sous-vêtements usagés, nous avons gardé la montre et les cigarettes, le sac ainsi que son contenu, nous l’avons donné dans un village à une femme qui était bien contente, elle nous a offert un café chaud avec un peu d’aguardiente. Nous avons continué notre route et dans la fin de l’après-midi nous étions à proximité de Figueras. Nous nous sommes arrêtés au bord d’un ruisseau camouflé par des buissons et le Catalan est parti tout seul vers Figueras, nous priant de l’attendre. Je me suis endormi, je ne sais ce que je rêvais quand mon camarade me réveilla. Le Catalan était revenu avec des oranges et des bananes, je n’en avais plus mangé depuis 1939. Il nous dit qu’il avait trouvé son oncle et qu’il s’arrêtait à Figueras, il nous a laissé quelques pesetas et nous a souhaité « bonne chance ».
À présent, comme au départ de Mézel, nous n’étions plus que tous les deux. Nous nous sommes mis en route pour Barcelone, traversant champs, rivières et bosquets. Nous avons marché presque toute la nuit, au lever du jour nous avons fait une pause et ensuite en route de nouveau. Vers 9 heures du matin nous entrons dans une boutique pour acheter à manger. Nous voulions des bananes, mais impossible de nous faire comprendre, nous avons fait un dessin, car il n’y en avait pas dans la boutique.
– Oh ! « Platanos » ! nous dit l’épicier et il est allé nous en chercher (…).
Les deux évadés tentent de gagner Barcelone par le train. Ils ont quelques aventures, ce faisant et atteignent finalement le consulat de Grande-Bretagne.
Il a fallu attendre plus d’une heure avant de pouvoir être admis à pénétrer dans les bureaux, ensuite nous avons pu voir les employés d’ambassade qui nous ont demandé noms, etc., papiers et argent français que nous possédions. Il me restait ma fiche de démobilisation et 14.000 francs que je leur ai remis. Ils nous ont fait signer des papiers et donné un nom canadien (moi je me serais appelé Harry James) au cas où la police nous aurait arrêtés nous aurions prétendu être Canadiens. Nous avons reçu quelque argent de poche et une adresse à Barcelone où il fallait se rendre.
Nous avons perçu des vêtements et sommes allée à l’adresse, c’était un restaurant, c’est-à-dire une pièce à l’étage d’un restaurant où se trouvaient d’autres Français comme nous. Nous avons eu à manger et le lendemain nous devions repartir à Valencia. Nous avions en plus un camarade de voyage du nom de Laqueille et le lendemain matin nous prenions le train pour Valencia, où nous sommes arrivés sans incident. Nous nous sommes présentés au consulat en montrant notre morceau de photo. Nous avons reçu de l’argent de poche et une adresse pour passer la nuit. Nous avons passé la nuit à l’adresse indiquée et le lendemain matin nous prenions le car pour Alicante où nous sommes arrivés dans la journée. Nous avions également un morceau de papier photo déchiré à remettre au consulat d’Alicante.
Arrivés à Alicante sans incident nous nous sommes présentés au consulat où nous avons reçu de l’argent de poche, une adresse pour passer la journée et la nuit. Le lendemain, nous devions repartir pour Grenade. Au restaurant qui nous avait été indiqué, nous avons trouvé du renfort – un Algérois, un Danois, un Russe et un Africain de Djibouti qui devaient aller à Grenade comme nous. Le lendemain nous prenons le train pour Grenade et arrivons dans cette ville sans incident, le soir, environ à 20 heures. Nous nous présentons au consulat où la concierge nous dit demain matin à 8 heures et impossible de se faire recevoir. Nous sommes restés longtemps dans un jardin sur un banc (campo de los martiros), comme nous avions froid, nous nous sommes décidés à aller coucher dans un hôtel où les papiers ne seraient pas exigés. Nous avons passé la nuit à l’hôtel et le lendemain, à 8 heures, nous nous présentions au consulat où nous reçûmes un peu d’argent. Nous devions partir pour Séville le jour même, ce que nous avons fait. Nous avons pris le train, dans ce train, dans les compartiments voyageurs, il y avait des moutons, des sacs, de la volaille, etc.
Avec mon camarade, nous étions dans un compartiment où les personnes discutaient avec nous, un homme se disant radio-électricien à Séville, nous a donné son adresse et son nom pour lui écrire du Canada, il avait l’intention de s’y rendre. Il nous est arrivé quelques histoires dans ce train, mais sans grande importance et dans le fond assez amusantes surtout à présent.
Nous voici arrivés, la nuit est déjà là ! À la sortie de la gare, nous nous présentons à l’adresse indiquée, mais à peine arrivés une voiture nous a pris en charge, la personne nous dit que, la veille, les policiers avaient perquisitionné chez eux, il nous a emmenés à une autre adresse où nous devions attendre toute la journée du lendemain sans sortir.
Le lendemain au soir, nous étions six plus le chauffeur et une autre personne, une voiture est venue nous chercher et nous a emmenés à côté de Huelve je crois. Arrivés vers minuit à un certain lieu, la voiture nous a laissés, mais un homme est resté avec nous, c’était un passeur au nom de Joan et nous voici en route ; comme consigne, si nous étions interpellés, il fallait crier : « Viva Franco, arriba Espagna », nous n’avons pas eu à le crier. Le matin, peu après l’aube, nous sommes arrivés dans une maison isolée dans la montagne, c’étaient de pauvres cultivateurs, un docteur français était resté là plus d’un mois, il avait eu une jambe fêlée. Nous avons passé la journée et une partie de la nuit dans cette maison qui possédait seulement les murs et la toiture ; le parterre était de la terre, le feu était au milieu de la pièce (…).
À un certain moment, il était environ 2 ou 3 heures du matin, nous avons passé une rivière avec de l’eau jusqu’au nombril, ensuite il a fallu escalader et une heure après nous étions au Portugal où nous nous sommes arrêtés dans une maison ; nous avons pu nous réchauffer et manger quelques tranches de pain cuites dans l’huile d’olive et ensuite de nouveau en route ; le passeur, infatigable, nous disait toujours, dans une heure, nous arrivons. Nous étions tous fatigués, cette heure de passeur s’est prolongée jusqu’à 11 heures du matin environ, où nous sommes arrivés à une maison qui recevait les évadés ; là, nous avons pu nous reposer, nous laver, manger, nous avons reçu des habits et, le lendemain matin, une voiture à chevaux nous prenait et nous emmenait, toujours avec le passeur, à une gare, où nous montions dans le train qui nous conduisit en face de Lisbonne ; il y avait le Tage à traverser, c’est une embarcation qui s’en est chargée.
Arrivés à Lisbonne, nous avons été conduits à un restaurant où nous avons bien mangé, ensuite au consulat britannique où nous avons été questionnés et enfin nous avons été conduits au consulat de la France Libre. Le soir même, nous prenions le train pour un petit village à côté de Lisbonne du nom de Paco d’Arcos, je crois que nous étions le 1er avril. En arrivant dans ce village des camarades sont sortis, moi je me suis couché, j’étais bien fatigué, le lendemain, je croyais que c’était un rêve que j’avais fait (nous étions sauvés), dans quelque temps nous partirions, certains prenaient le bateau pour l’A.F.N., je préférais aller en Angleterre par avion.
Nous étions très bien au Portugal, mais j’avais hâte de partir, enfin, après 20 jours, j’étais prévenu avec mon camarade Pin que nous prendrions l’hydravion pour l’Angleterre ; nous nous sommes rendus à Lisbonne le jour convenu, mais il a fallu revenir à Paco d’Arcos, l’avion était complet. Quelques jours après, nous nous sommes rendus de nouveau à Lisbonne sur ordre et cette fois-ci nous avons eu notre place sur l’hydravion ; juste à côté de moi se trouvait le ministre de Yougoslavie : Mitchich, qui était content d’avoir quelques maigres nouvelles de son pays que je pouvais lui fournir.
Nous avons fait une halte en Irlande où nous avons eu un breakfast, ensuite nous sommes repartis et avons pris l’air en direction de la Grande-Bretagne ; nous avons eu pour midi un repas froid et avons amerri dans l’après-midi à Blackpool. Nous sommes passés à la douane, comme bagages je n’avais seulement qu’un paquet de bonbons et cela a été vite fait, comme il y avait plusieurs évadés comme nous, nous avons été rassemblés et un véhicule militaire est venu nous chercher pour nous conduire à Londres dans un centre de rassemblement « Camberwell ». Là, il y avait beaucoup d’évadés. Nous y sommes restés quelques jours et puis nous avons été conduits à Patriotic School également un centre de rassemblement gardé militairement ; j’étais toujours avec mon camarade Pin.
Après quelques jours passés dans le centre, nous avons été convoqués individuellement au bureau. J’ai subi un interrogatoire qui a duré quatre jours (raconter ma vie depuis ma naissance jusqu’à ce jour, avec assez de détails).
Enfin un jour, à peu près un mois après notre arrivée, notre nom était inscrit sur le tableau noir, c’est-à-dire que nous allions sortir, nous avons été prévenus qu’il fallait se tenir prêts, un véhicule est venu nous chercher et nous à conduits au centre d’accueil français à Earls Court, de là, tous les jours, nous étions convoqués dans les bureaux français, dont Dolphin Square où j’ai contracté un engagement pour les F.F.L.
Après avoir passé la visite, nous avons eu 20 jours de convalescence, au retour je devais rejoindre Camberley, où j’étais affecté. Mon camarade Pin avait choisi la marine et restait à Londres pour le moment. À Camberley, j’étais affecté aux transmissions comme instructeur.
Maurice Capello
Carte membre n° 7.032
Carte membre n° 7.032
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 119, juin 1959.