L’état-major des FNFL à Londres
Cet organisme central connu trois périodes d’activité distinctes à peu près d’égales durées.
L’une, allant de juillet 1940 à la fin de 1941, qui fut surtout une période de création ; une autre, de fin 1941 à août 1943, de réorganisation ; une dernière enfin, d’août 1943 à mai 1945, qui fut celle de la « fusion ».
Les hautes qualités de créateur du vice-amiral Muselier permirent l’armement de la Flotte Française Libre ; celles d’organisateur du vice-amiral Auboyneau donnèrent a l’ensemble un statut réglementaire presque identique a celui de la marine d’avant-guerre ; l’autorité, la hauteur et la clarté de vues remarquables de l’amiral Thierry d’Argenlieu permirent la réalisation heureuse de la fusion et la réinstallation de la marine dans les ports français du Ponant, dans les conditions matérielles et morales les meilleures, pour ne pas dire inespérées. De juillet 1940 à janvier 1941, l’état-major des F.N.F.L. constituait une des branches de l’état-major du général de Gaulle, 4, Carlton Gardens, à Londres. Certains services étaient communs aux trois armées. Mais, devant l’accroissement d’importance des F.N.F.L., il fallut bien augmenter ce petit état-major de Force Navale et en faire un organisme central indépendant.
L’installation à Westminster House, le 22 janvier 1941, fut la consécration de cet état de fait ; les services se développèrent à l’aise, et ce fut heureux car décrets et règlements devenaient nécessaires.
Jusque vers le milieu de 1941, les instructions, circulaires, ordres émanant du commandant en Chef des F.N.F.L. portaient simplement les timbres E.M. (1, 2, etc.). Déjà en 1941, ils deviennent E.M.G. (1, 2, etc.), S.T.M., etc. A partir du 18 novembre 1941, ils deviennent E.M.G. (1, 2, etc.). D.C.C.A.N., D.C.I.M., etc. L’état-major du début, devenu depuis état-major général, est maintenant un ministère de la marine.
Cette transformation justifie l’accroissement progressif des effectifs qui se trouvaient, dès septembre 1942, à l’étroit dans les deux étages de Westminster House. Aussi fut-ce avec plaisir que, le 2 octobre, l’état-major des F.N.F.L. s’installa dans un immeuble réquisitionné, restauré et aménagé au mieux par nos alliés britanniques : Strafford Mansions. Cela permit de créer quelques Services centraux nouveaux et de parfaire la démarcation entre l’état-major général des F.N.F.L. et le ministère de la marine française libre, enfin réalisé en avril 1943. Réalisation qui fut d’une grande importance lors de la réunion des états-majors F.N.F.L, et F.M.F.A, le 3 août 1943, lorsque vingt-deux officiers, des cadres subalternes masculins et féminins, quatre-vingt-neuf personnes en tout, accompagnèrent en Afrique du Nord l’Amiral Auboyneau, nommé chef d’état-major général adjoint de la marine nationale. Tous furent à même de tenir immédiatement leurs postes, parfois très importants à l’E.M.G. et au ministère de la Marine à Alger, sans mise au courant préalable.
S’il fallait une preuve de plus du labeur patient et continu de réorganisation de l’état-major à Londres, celle-ci n’est-elle pas convaincante ?
Tel est le court résumé de l’histoire de l’état-major des F.N.F.L. à Londres, réel commandement français en territoire allié, dont les efforts couronnés de succès ont montré la valeur.
A partir d’août 1943, les F.N.F.L. cessèrent d’exister officiellement; alors fut créé le commandement des Forces Navales Françaises en Grande-Bretagne à la tête duquel fut placé l’amiral d’Argenlieu.
Ce commandement de Force Navale indépendante, sous l’autorité lointaine (et un peu théorique) d’Alger jouait en fait, vis-à-vis des bâtiments et unités F.N.F.L. restés en Grande-Bretagne (et c’était la très grosse majorité), le rôle de l’ancien état-major des F.N.F.L. Dans la presque totalité, il fut constitué avec son personnel, et il en conservera jalousement l’esprit jusqu’à la fin.
Pendant cette période, qui dura d’août 1943 à mai 1945, soit travail ne fut ni moins ardu ni moins lourd qu’auparavant. Ce fut, en effet, l’époque de la préparation du débarquement puis de la réinstallation de la marine nationale dans le ports de France. Les F.N.G.B. eurent la charge de cette organisation pour toutes les Unités de la marine basées sur la Grande-Bretagne et dans tous les ports de l’Atlantique et de la Manche.
Cela a comporté :
– l’armement de quatre frégates neuves (dont une avec du personnel F.M.F.A.) ;
– de deux sous-marins ;
– d’une escadrille de chalutiers dragueurs français provenant de la Flotte auxiliaire, rendus par les Anglais après quatre ans d’usage dans un état lamentable et pour l’armement desquels il fallut racler tous les fonds de nos dépôts en Grande-Bretagne ;
– le renforcement du 1er Bataillon de Fusiliers Marins commandos, qui s’est couvert de gloire en débarquant premier à Ouistrecham, le 6 juin 1944 ;
– l’organisation des détachements de l’aéronautique navale F.M.F.A. envoyés en Grande-Bretagne pour reprise de leur entraînement aérien ;
– la constitution des « Ports Parties », groupes de pilotes de la Flotte mis à la disposition du commandant Naval allié pour le débarquement ;
– la formation des groupes de commandement de la marine dans les ports du nord libéré, organismes d’une importance capitale puisqu’il s’agissait d’avoir un Français commandant de la marine dans la place, en même temps que le commandement allié s’y installait.
Je ne cite qu’accessoirement les autres obligations auxquelles l’état-major eut à faire face :
– pour trouver (dans notre pénurie) des officiers à détacher à la Liaison administrative qui, placée sous les ordres dit général Koenig, devait assurer la reprise en mains immédiate par les Autorités Françaises des territoires libérés ;
– pour résoudre les problèmes posés par le séjour dans les bases britanniques des grands bâtiments venus d’Afrique du Nord : le « Richelieu », de novembre 1943 à mars 1944 ; le « Georges-Leygues » et le « Montcalm », d’avril à juin 1944, pour le débarquement ; le « Duquesne », de mai à juin de la même année.
L’amiral d’Argenlieu, nommé amiral Nord le 1er août 1944, établit son poste de commandement à Paris. Les F.N.G.B. qui restaient sous sa haute autorité, passèrent alors sous le commandement direct du signataire de ces lignes, qui était précédemment son chef d’état-major. Elles y demeurèrent jusqu’en juin 1945, lorsque les bâtiments et unités basés en Grande-Bretagne furent, les uns après les autres, ramenés en France et leur dernier commandant nommé préfet maritime de Brest, où fut regroupée la majeure partie des F.N.G.B. (frégates, corvettes, chasseurs, vedettes rapides, reste des commandos – hélas ! « La Combattante » n’était plus).
Et malgré la joie de la victoire et de la libération, ce ne fut pas sans mélancolie que se dispersa, dans la marine nationale ou hors d’elle, ce groupe F.N.F.L. Les unités, flottantes ou non, ne sont généralement pas tendres pour les E.-M. Je voudrais que l’on pense parfois aux difficultés devant lesquelles ils se trouvent et à la somme de travail qu’il leur faut donner, surtout dans des conditions aussi extraordinaires que celles d’es F.N.F.L. Et je crois que l’on doit lui rendre ce témoignage que, sous l’impulsion de ses trois chefs successifs, il a réussi a créer, organiser et, animer cette Marine F.N.F.L., petite par le nombre, mais grande par l’esprit, les sacrifices et les services rendus, qui a maintenu la marine Française dans la guerre et a su heureusement réaliser son retour dans nos ports.
Le vice-amiral Robert
Préfet maritime de la 2e région
Extrait de la Revue de la France Libre, numéro spécial, 18 juin 1951.