Un épisode de la campagne du Gabon
Novembre 1940
Port-Gentil (Gabon) tombe pour la 1re fois
La capitale du Gabon – Libreville – après une journée de combats assez rudes sur terre, sur mer et dans les airs, est tombée le 9 novembre.
Port-Gentil, sur la côte, plus au sud, deuxième ville gabonaise, s’attend à être attaquée. Les gaullistes de la ville, peu à leur aise, vu les arrestations, souhaitent l’arrivée des Français Libres. Les vichystes et les « Trouillistes » tremblent dans leurs cases, les indigènes dans l’expectative de ces affaires de Blancs souhaitent dans le fond d’eux-mêmes la venue de ceux qui continuent la guerre, car ils craignent l’arrivée des Allemands qui ont une cote des plus mauvaises (le twenty-five est redouté) (1).
L’état-major de la ville, un commandant d’infanterie coloniale, un capitaine de corvette, un chef de région, administrateur de colonies, décide d’évacuer a ville, car vaincre ou mourir, on va défendre le dernier bastion du Gabon.
Sur Sangatanga, petit village sur le nord de la rade, les femmes et les enfants. Sur la plaine de Namina, le reste de la population, ou tout au moins ceux qui veulent bien quitter leurs habitations.
Case Foing, les vichystes y prennent place. Dans l’ensemble Lipp, les gaullistes.
Namina est le nom d’une petite savane sur laquelle a été tracée une piste de secours pour petits avions. Hormis quelques traces de roues de voitures, il n’y a rien, pas le moindre balisage, il faut le savoir. L’état-major a fait poser des faisceaux constitués par des lais coupés dans la forêt voisine pour interdire l’atterrissage des avions ennemis.
Soudain dans le ciel, un petit avion tourne au-dessus du grand terrain d’aviation de Port-Gentil qui, lui, est rendu inutilisable par des fûts d’essence pleins de sable. Chez Lipp, où l’on a repéré les Croix de Lorraine peintes sous les ailes, c’est l’enthousiasme. Chez Foing c’est la fureur, mais prudente de consternation.
Mme Lipp, qui est propriétaire du « Gentil Hôtel », est aussi l’animatrice du mouvement de l’espérance en le général de Gaulle, sort, suivie de tous les sympathisants; on agite mouchoirs, serviettes, on se précipite pour débarrasser la piste de ses pièges. Le pilote a compris, il pose son petit Lysander au plus près de la case Lipp.
C’est le lieutenant Ezanno, accompagné de son mitrailleur Marcel Sandré, qui en descendent.
Ils sont rapidement entraînés vers la grande maison où vite des coupes sont placées sur la table de la salle à manger, du champagne, et l’on trinque, on arrose la prise de Port-Gentil. Mais Ezanno prévient les sympathisants:
Port-Gentil n’est pas encore pris, on vient pour cela, nous ne sommes que deux…
Nos deux Free French souhaitent se rendre en ville, il y a quand même près de 3 kilomètres pour rejoindre le centre. Une seule voiture, la « Simca 5 » de Mme Lipp, qui s’offre à conduire nos deux aviateurs, car il faut connaître la piste plutôt sablonneuse et ravinée.
En arrivant à la pointe Akosso, à l’entrée de la ville, la voiture est arrêtée par un cycliste M. Veyrier qui, affolé, prévient Mme Lipp dont il connaît les opinions: « N’allez pas plus loin, ils vont vous fusiller, ils ont vu l’avion se poser dans votre plaine, ils sont tous très excités.«
Ezanno prie Mme Lipp de ne pas aller plus loin vu les risques, se fait expliquer le chemin, c’est tout droit et fonce à pied avec Sandre à l’assaut du point fort de la ville… les locaux administratifs.
En arrivant vers la « résidence » un tirailleur croise la baïonnette et leur dit:
– Mon Lieutenant, tu t’arrêtes?
– Pourquoi?
– Parce que je suis là pour t’empêcher de passer.
– Mais dis donc, tu es tout seul.
– Non! On est toute la section.
– Où sont les autres? Va les chercher.
– Moi, je ne peux pas, il y a le caporal-chef.
– Va le chercher.
– Et le caporal-chef arrive, c’est un métis.
Ezanno l’attaque aussitôt et commande sec: « Garde à vous! Présentez armes! »
Le vieux réflexe tirailleur joue en trois temps, le commandement est exécuté… puis « Reposez armes! »
– Quelle est votre mission?
– Empêchez les dissidents d’entrer à Port-Gentil!
– Ne vous fatiguez pas, les dissidents ont pris la ville. Tout est terminé et vous êtes à mon commandement.
Le reste de la section qui était couché sur des nattes à l’ombre d’une haie d’hibiscus, rapplique, se met en colonne par trois, arme sur l’épaule, direction la « Résidence », en avant marche.
Et bientôt l’administrateur en chef est prisonnier dans son bureau, un tirailleur reste de garde devant la porte. Avec le même « allant » la section va s’aligner devant le grand mât du pavillon où flotte le drapeau français et présente les armes. « Amenez les couleurs ». Ezanno commande. Sandre exécute…
Vite une flamme à croix de Lorraine est frappée sur la drisse et les couleurs aussitôt remontées claquent au vent du large.
Cet exploit est à peine terminé qu’une voiture arrive avec quelques officiers d’infanterie coloniale qui sont suffoqués par la scène et par la hargne.
Ezanno et Sandre font arrêter la « Peugeot 402 », ils sont Obligés de menacer de leurs pistolets, pour ramener au calme, les vaincus de l’heure. Ils se présentent:
– Lieutenant Ezanno, des Forces Françaises Libres, et le sous-lieutenant Sandré, nous venons prendre Port-Gentil.
– Qu’est-ce que cela signifie? Port-Gentil ne se ralliera pas. Enlevez-moi ce fanion.
– Je vous demande pardon, mais ce drapeau est français, il a droit aux honneurs.
– Soit, mais faites vite!
La section revient :
– Garde à vous! Présentez armes!
Le clairon, enfin là! sonne « Au drapeau ». Ezanno récupère son fanion.
– Et maintenant, dit le capitaine, je suis obligé de vous garder ici, vous êtes mes prisonniers.
– Mon Capitaine, répond le lieutenant Ezanno, je suis obligé de vous prévenir que si nous ne sommes pas revenus dans une heure, nos camarades ont ordre de venir bombarder Port-Gentil.
Craignant de retarder ces hôtes encombrants et d’être sanctionné par l’aviation gaulliste, le commandant d’armes s’empresse de les faire reconduire à Namina par la voiture de la place.
Au retour à Libreville, Ezanno se fait sonner par le colonel Leclerc – pour son exploit.
Maurice Jourdan
N.B. On peut retrouver ce récit dans le livre de Gérard Ingold, « Un matin comme les autres« .
(1) Twenty-five : table spéciale qui servait à la distribution de 25 coups de chicotte, au Cameroun, colonie allemande jusqu’en 1915.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 185, mars-avril 1970.