Éloge de Maadi Gobray, par le général d’armée Alain de Boissieu
Dès l’Appel du l8-Juin 1940 Maadi Gobray prend contact en Polynésie avec ceux de ses compatriotes qui désiraient maintenir les possessions françaises du Pacifique dans la guerre.
Lors du ralliement de la garnison de Papeete, elle est de ceux et de celles qui signent un télégramme à l’adresse du général de Gaulle proposant de constituer une force militaire qui viendrait se battre au Moyen-Orient, aux côtés des autres forces de la France Libre. Ce sera le futur et exemplaire Bataillon du Pacifique qui, sous les ordres du chef de bataillon, puis lieutenant-colonel Broche, rejoindra la 1re DFL pour venir combattre à Bir-Hakeim, où il méritera pour ses actions d’éclat, la croix de la Libération. Maadi Gobray était infirmière dans ce bataillon qu’elle suivra du Levant, en Afrique du Nord, puis en Italie, enfin en France.
Ma première rencontre avec elle se situe en octobre 1945, j’étais au Cabinet militaire du général de Gaulle. Maadi venait à la tête d’une délégation pour attirer l’attention du chef du gouvernement sur le regroupement des blessés du bataillon et sur le souhait des volontaires Canaques et Polynésiens de revoir le général de Gaulle avant d’embarquer pour le Pacifique. Une prise d’armes fut organisée dans la cour de la caserne La Tour Maubourg, les survivants du glorieux bataillon défilèrent fièrement une dernière fois devant celui qui était demeuré pour eux « le grand Charles ».
Revenue à Papeete, Maadi Gobray reprit son métier d’infirmière à l’hôpital de Papeete, tout en s’occupant pendant son temps libre des mères et des veuves de ses camarades du bataillon. On peut affirmer que c’est grâce à elle, à sa volonté d’aboutir, que les problèmes de pension les plus ardus et les plus compliqués furent résolus au mieux. Ses camarades de combat et les veuves lui en gardent d’ailleurs une très grande reconnaissance, j’en ai été le témoin.
À Papeete, la maison de Maadi Gobray était celle de tous les Français Libres qui passaient à Tahiti. Elle fut celle du Général et de Mme de Gaulle lors d’un voyage dans le Pacifique pendant la période de « la traversée du désert », Ce voyage avait été organisé d’ailleurs sur la suggestion de Maadi Gobray, afin de permettre au chef des Français Libres de venir remercier les volontaires les plus lointains de la France Libre. Maadi Gobray fut de toutes les manifestations gaullistes et de tous les référendums, se dépensant sans compter.
Dans les années 1960, sa santé donnant déjà des signes d’inquiétude, elle fut hospitalisée au Val-de-Grâce, où Mme de Gaulle vint la voir à plusieurs reprises. La mort du général de Gaulle l’affecta comme celle d’un père.
Lorsqu’elle venait en France, elle résidait en Bretagne, chez M. et Mme Messmer ou chez le général et Mme Péron, sa grande joie consistait à venir saluer Mme de Gaulle, qui se trouvait l’été chez ses enfants. Jamais sa fidélité au gaullisme ne faiblit, de même qu’aucun événement touchant l’A.F.L. ne la laissait indifférente. Quant à sa générosité, elle était légendaire.
Elle était très inquiète sur l’avenir des possessions françaises du Pacifique, elle désapprouvait totalement ceux de ses compatriotes qui voulaient jouer contre la France un jeu personnel, qui les amènerait rapidement, à son avis, sous la coupe économique d’autres grandes puissances.
C’est pourquoi, lorsqu’elle se vit à l’approche de la mort, elle demanda à mourir dans le même lit que Mme de Gaulle et à être enterrée en France, dans un cimetière militaire, aux côtés de ses camarades Français Libres. Son vœu fut exaucé par le Val-de-Grâce et par M. Plantier, secrétaire d’État aux Anciens Combattants, qui autorisa que Maadi Gobray prenne place au cimetière de Bagneux, dans le carré réservé à des F.F.L., morts au champ d’honneur au Levant, puis rapatriés en France.
Ainsi, jusqu’au terme de sa vie, Maadi Gobray sera restée fidèle à la France, à la croix de Lorraine, sous le signe de laquelle elle avait combattu avec ses camarades du Pacifique pour la libérer, donnant ainsi au monde un admirable exemple de solidarité humaine de tous les Français qu’ils soient de Polynésie ou d’ailleurs.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 233, 4e trimestre 1980.