Dernières lettres de Gabriel Tardy
Né le 13 octobre 1920 à St Etienne, Gabriel Tardy deviendra l’aîné de 7 enfants.
Il débute ses études secondaires au collège des pères jésuites, où son père a fait les siennes et les termine chez les maristes à St-Chamond où ses parents sont venus s’installer.
En 1939-1940, il fait une préparation militaire pendant la “drôle de guerre”, à la fin de laquelle il est incorporé au 14e Cuirassiers à Lyon, puis démobilisé pendant l’été.
Pour lui, l’armistice n’existe pas et le combat contre l’occupant doit continuer sur le sol français.
En janvier 1941, il intègre le Service Renseignements Guerre clandestin qui est né le 28 août 1940, date du décret de dissolution du 5e bureau de l’état-major de l’armée à Vichy, et a été basé à Lyon.
Gabriel est envoyé à Paris. Son pseudonyme est “Le Timide”. Il devient chef de sous réseau.
Désormais, à chaque instant, sa vie et sa liberté sont en danger.
Quand il vient à Lyon rendre compte et recevoir de nouvelles missions, famille et amis sont heureux de le revoir, mais il court un risque supplémentaire à chaque passage de la ligne de démarcation et, même en zone dite libre, le danger est toujours là : en septembre 1942 il est arrêté par la police française, parce qu’il n’a pas répondu à l’appel des chantiers de jeunesse et il est interné 2 semaines à la prison de St-Etienne.
Après l’arrivée des Allemands à Lyon, en novembre 1942, la Gestapo – déjà installée avec l’aide de Bousquet dans un immeuble réquisitionné et dont les agents ont de faux papiers français – frappe fort et le SR est sérieusement touché, puis reconstitué sous le nom de réseau Kléber, avec plusieurs sous-réseaux.
Lui est resté à son poste, mais surtout à partir de janvier 1943, il se sent de plus en plus menacé. C’est le 10 mai qu’il est arrêté à St-Etienne par la Gestapo, emmené au fort Montluc à Lyon et de là envoyé à Fresnes. Après ses interrogatoires il réussit à faire parvenir des messages rassurants à ses parents et à son réseau, messages écrits sur des papiers à cigarettes et acheminés sans doute avec l’aide de l’abbé Franz Stock, l’aumônier allemand de la prison.
Le 18 août 1943, il écrit ses lettres d’adieux à ses parents et à son cousin et ami d’enfance, le signataire de cet écrit, annonçant qu’il sera fusillé à 16 heures.
Accompagné par l’abbé Stock, il est fusillé, avec d’autres condamnés, place Balard à Paris, puis enterré au carré des fusillés au cimetière d’Ivry.
Sous-lieutenant, il a été décoré à titre posthume :
• de la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur ;
• de la Croix de Guerre avec palmes ;
• de la Médaille de la Résistance Française.
Son supérieur à Lyon, le capitaine Mauer, arrêté et déporté, rapatrié très malade et décédé peu après, écrivait de lui le 25 juillet 1945 :
“Gaby,… sous son air calme et détaché, je le sentais entièrement dévoué à la mission que nous nous étions imposée. Tandis que tant d’autres lâchaient, il continuait obstinément sa route…
franchissant la ligne de démarcation comme en un jeu…, explorant et fouillant sans arrêt ces coins de notre pays occupés…, patient et prudent malgré sa jeunesse, il a porté de rudes coups à l’allemand.”
René Flessy
Extraits de ses lettres du 18 août 1943
À ses parents :
Fresnes- mercredi 18 août (10h du matin)
Chère petite Mère et mon cher Papa. Je vais encore vous faire beaucoup de peine, mais ce sera la dernière fois. Je viens d’apprendre que mon jugement était confirmé, je dois être fusillé ce soir vers 16h. Je vous demande pardon du chagrin que je vous cause et des multiples soucis que je vous ai si souvent infligés, mais je sais aussi comme vous supporterez cette épreuve avec courage en Français et en Chrétiens. Ce n’est pas terrible de mourir quand on a fait son devoir et que l’on se sacrifie à son idéal […]. Au revoir Petite Maman chérie, au revoir cher Papa. Au revoir Edmée, Jecki, Thérèse, Alain, Founette et mon petit Raphaël, je vous aiderai de mon mieux. Aimez toujours votre père et votre mère, consolez les de leurs peines et restez toujours de bons chrétiens et de bons Français. Je vous aime chers Maman et Papa.
Vive la France. Gaby
À son cousin :
Fresnes Mercredi 18 Août 43 – 12 heures
Mon vieux René,
Je n’aurai donc plus la joie de te revoir toi et mes bons amis en ce monde. Je t’écris pour que tu le leur transmettes dans quatre heures, j’en aurai rejoins pas mal d’autres et ma mort aura été aussi originale que ma vie, mais sais-tu que je ne la regrette pas et que je suis heureux de mourir pour la France.
Toi vis pour elle, pour que lorsque tu seras bien vieux, tu puisses te dire ma vie n’a pas été inutile et j’ai eu la joie de servir, d’être utile à mon pays et à mon prochain…
Je ne peux écrire à tous amis, fais-leur savoir ce que je te dis. Je pense à eux tous en ce moment, ceux avec qui j’ai vécu depuis 2 ans et à François et ses frères, à tous…
Embrasse tes parents pour moi, tes frères et sœurs. Je pense aussi à tous les cousins et aux joies que j’ai eues avec eux et j’en remercie le ciel. Au revoir, mon vieux René, au revoir les amis.
Vive la France, Gaby
Extrait de Fondation de la France Libre, n° 34, décembre 2009.