Dénoncer lʼantichristianisme nazi par la littérature

Dénoncer lʼantichristianisme nazi par la littérature

Dénoncer lʼantichristianisme nazi par la littérature

L’auteur

Louis Daniélou (24 septembre 1914, Locronan, Finistère – 25 septembre 1942, au large de Cadix) est un officier de marine et un écrivain français.

Fils de Charles Daniélou, député-maire de Locronan, et de Madeleine Clamorgan, fondatrice de la Communauté Saint-François-Xavier et directrice d’une institution catholique, ami de Jean Moulin, il est attaché dans divers ministères au début des années trente, avant de faire son service militaire dans la marine. Chef-adjoint du service de communication chez Air-France, il est mobilisé avec le grade d’enseigne de vaisseau le 28 août 1939 et sert à l’état-major de la flotte de l’Atlantique, avant d’être envoyé à Dakar en avril 1940. Son premier livre, Belle Marine, paraît chez Gallimard en janvier 1940.

Démobilisé en septembre, il refuse l’armistice et s’évade de France par l’Afrique du Nord et Gibraltar, entre février et avril 1941. Engagé dans les Forces navales françaises libres sous le nom de « Louis Clamorgan », il est affecté au groupe de chasseurs de Cowes (mai 1941-avril 1942). En parallèle à ces activités, il publie sous le nom de « Clamorgan » plusieurs textes dans des publications de la France Libre.

En avril 1942, il passe à l’état-major particulier du général de Gaulle, où on lui remet un ordre de mission signé du général de Gaulle le nommant officier de liaison des Forces françaises libres auprès du gouverneur de Gibraltar, pour diriger l’action du BCRA en Afrique du Nord.

Devant les réticences britanniques, son départ est repoussé, et il choisit de s’engager, à l’été 1942, à bord du torpilleur Melpomène comme troisième officier, avant que sa mission soit confirmée en septembre. Promu lieutenant de vaisseau à titre auxiliaire le 20 septembre, il part le 24 septembre à destination de Gibraltar, mais son hydravion disparaît en mer au large de Cadix.

Noël 1940 en Bretagne

Cette nouvelle paraît en 1941 dans Sao Breiz, l’organe de l’association des Bretons de la France Libre. Daniélou met en scène Monsieur Brézé-Duloup, maire d’une petite commune bretonne – comme le père de l’auteur – dont le fils est prisonnier en Allemagne, contraint de loger à son domicile un officier allemand, l’Oberlieutenant Schmidt, qui prétend obliger les marins de la commune à participer, à bord de leurs bateaux, à des exercices de débarquement.

Formé suivant les principes de l’idéologie nazie, qui voue un culte à la force et distingue les hommes en fonction de leur race, l’officier allemand manifeste son trouble à l’approche de la messe de Noël.

Noël 1940 en Bretagne

Coll. Fondation de la France Libre

L’antichristianisme nazi

Issu dʼun milieu catholique proche de Péguy, lʼauteur décrit, dans la scène ci-dessous – la deuxième de la nouvelle –, lʼopposition quʼà l’image de nombreux croyants entrés en résistance, il perçoit entre le nazisme et le christianisme. Alors que le premier est fondé sur lʼidée de races, le culte de la virilité héroïque, lʼaffirmation du droit du plus fort et tout un discours nazi sur la dureté salutaire, le second affirme la possibilité pour quiconque dʼêtre touché par la grâce, quelle que soit son origine ou sa condition, la primauté de la personne, à laquelle se rattachent les principes de miséricorde et de rédemption, et dont la liberté et la dignité doivent être reconnues et exaltées.

Il met en scène le désespoir de l’Oberlieutenant Schmidt, déchiré entre son désir d’échapper à sa solitude existentielle, par la foi en Dieu et son rattachement à la communauté des chrétiens, et sa fidélité à une idéologie qui l’enjoint de se comporter comme un digne représentant de la « race des seigneurs » et de « mépriser les superstitions ».

L’extrait

L’Oberlieutenant Schmidt marche avec désespoir dans la nuit. Il va à grands pas le long de la falaise luttant contre le vent qui cingle sa figure, contre la pluie qui coule sur sa peau malgré le col relevé de sa capote verte, contre la solitude que sa fatigue même n’arrive pas à soulager.

N’y aura-t-il pas pour lui de fête de Noël ?

Ce soir la cloche, si brève depuis qu’il a interdit de sonner plus de dix coups, a convié les chrétiens à cette messe de minuit qu’il a, dans son bon plaisir, fixée à huit heures. L’appel retentit en lui comme un déchirement. Une sorte de faiblesse, un reste d’humanité ont submergé sa volonté de soldat. Rien n’a pu le retenir.

Comme un mendiant en quête d’un peu de pitié, il s’est approché de l’église. Il est resté longtemps au pied du porche, puis bien après tous les fidèles, il a poussé la porte.

L’église était humide, sans autre lumière que les cierges de l’autel ; on distinguait à peine la crèche. Schmidt était resté au fond contre le bénitier et pourtant chacun avait deviné sa présence. Le prêtre faisait son sermon, mais ses mots eux-mêmes étaient tristes et âpres. Où était la joie de la Nativité, la chaleur de la crèche, le souffle de l’âne et du bœuf, le sourire de la Vierge ? La voix étranglée parlait déjà des épreuves du Christ, des souffrances de sa mère et de la lutte persévérante du fils de l’homme pour mériter le rachat des fautes et la libération de l’humanité.

L’Oberlieutenant Schmidt s’était enfui de l’église. Dieu même semblait le rejeter par la voix de ces Bretons qui accaparaient le Dieu Universel pour en faire un instrument de leur vengeance. Il marchait maintenant sur la dune, mais il frissonnait. De peur ? De froid ? Était-il lâche ? Indigne de ce Führer qui l’obligeait à mépriser les superstitions, à ne croire qu’en la grandeur des armes ?

Il marchait, il marchait, mais la fatigue l’assommait sans lui donner l’oubli. Rien ne pouvait maîtriser ce soir sa défaillance, l’orgueil ne lui tenait plus lieu d’amour, la puissance de tendresse. Oh, pouvoir ne pas être seul cette nuit.

< Page d’accueil
< Contester l’idéologie nazie