9 avril 2015 In Toutes les actualités By Administrateur
Décès de Jean-Louis Crémieux-Brilhac (1917-2015)
La France Libre perd l’un de ses grands anciens et l’un de ses plus remarquables historiens, avec la disparition de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, survenue le mercredi 8 avril.
Né le 22 janvier 1917 à Colombes (Seine-et-Oise) dans une famille d’origine juive implantée depuis cinq siècles à Carpentras puis Nîmes et Narbonne, Jean-Louis Crémieux-Brilhac fait des études secondaires au lycée Condorcet de 1924 à 1933, avant de s’inscrire à la Sorbonne où il obtient une licence ès lettres. Grâce à son oncle, le critique littéraire Benjamin Crémieux (1888-1944), le jeune lycéen côtoie quelques-uns des plus grands noms de la littérature européenne. À partir de 1931, il passe une partie de ses vacances en Allemagne, où il assiste à la montée du nazisme et voit ses camarades socialistes d’adolescence s’affilier l’un après l’autre, parfois à l’insu de leurs parents, à la Hitlerjugend (les jeunesses hitlériennes). Précocement politisé, il milite au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes de 1935 à 1938.
Mobilisé en septembre 1939, il suit une formation au peloton d’élève-officier de réserve (EOR) à Saint-Cyr, avant d’être affecté, avec le grade d’aspirant, à l’extrémité ouest de la ligne Maginot. Fait prisonnier dans la Marne le 11 juin et envoyé en Allemagne à l’oflag II-D, à Gross-Born, en Poméranie, avant d’être dirigé vers le stalag II-B, dont il s’évade, avec l’aspirant Pierre Joriot, le 4 janvier 1941. Ayant réussi à prendre, à la gare voisine d’Hammerstein, un train qui les conduit jusqu’à Göritten, les deux hommes passent la frontière près d’Eydkau et passent en Union soviétique, où ils sont dirigés vers Kaunas et emprisonnés pour passage illégal de la frontière, d’abord dans les geôles du NKVD à la Loubianka, puis à la prison Boutyrki, avant d’être expédiés au camp de Kozielsk, au sud-ouest de Moscou, le 2 mars 1941.
L’invasion allemande engagée le 22 juin 1941 modifie leur situation. Les 218 Français sont évacués vers le camp de Grazoviets, rebaptisé par eux « Grazievitch » et occupé en grande majorité par des Polonais, où ils arrivent le 2 juillet. 186 d’entre eux, emmenés par le colonel Billotte, obtiennent finalement d’embarquer le 29 août, à Arkhangelsk, à bord de l’Empress of Canada, qui les emmène en Grande-Bretagne, via le Spitzbeg. Arrivés à Greenock, avant-port de Glasgow, le 8 septembre, ils souscrivent un engagement dans la France Libre. Jean-Louis Crémieux signe, le 10 septembre, sous le nom de Jean Brilhac. Ainsi s’achève l’odyssée des « Russes », dont Jean-Louis Crémieux-Brilhac a fait le récit en 2004 dans Prisonniers de la liberté.
Nommé sous-lieutenant, il est affecté au printemps 1942 au Commissariat national à l’Intérieur, à Londres, sous la direction d’André Philip puis d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, afin de réunir de la documentation politique sur la France. Il supervise également la mise sur pied d’un service d’écoute destiné à enregistrer les émissions de Radio vichy et Radio Paris. À l’été suivant, il prend la direction du service de diffusion clandestine chargé d’élaborer des dossiers documentaires, d’imprimer des tracts et d’envoyer chaque mois du matériel de propagande à la Résistance intérieure. En 1943-1944, il assure, conjointement avec Gilberte Brossolette, l’épouse de Pierre, la charge d’officier de liaison de la France Combattante à la BBC, dont il aide à préparer les émissions et où il intervient à plusieurs reprises. En mai 1944, c’est lui qui rédige les directives d’action diffusées à la BBC et Radio Alger à partir du 6 juin.
Au début d’août 1944, il doit être parachuté en France dans le cadre d’une mission franco-britannique auprès du chef des maquis de l’Ain, Romans-Petit, mais celle-ci est annulée au dernier moment.
Après la guerre, il participe à la création de la Direction de la documentation et de la diffusion, ancêtre de la Documentation française, dont il est l’un des cofondateurs, avant d’en devenir le directeur-adjoint puis le directeur.
Dans les années cinquante, tout en gardant son admiration pour le général de Gaulle, il soutient l’expérience gouvernementale et le combat politique de Pierre Mendès France, occupant les fonctions de conseiller conseiller technique au cabinet de la Présidence du Conseil (1954-1955), auprès de Georges Boris, avec lequel il avait déjà travaillé au CNI et à qui il a consacré une biographie en 2010 (Georges Boris, trente ans d’influence), puis de René Billères (1956-1958), ministre de l’Éducation nationale. En parallèle, il anime, avec Jacques Monod et le mathématicien André Lichnerowicz, le Mouvement pour l’expansion de la recherche scientifique (1956-1972), organisant des colloques à Caen en 1956 et 1966 sur l’enseignement supérieur et la recherche. Enfin, il devient conseiller d’État (1982-1986).
Contributeur régulier des travaux du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il édite en 1975 cinq tomes des émissions françaises à la BBC pendant la guerre, Ici Londres. Les Voix de la liberté, avant de se faire historien avec Les Français de l’an 40 (1990) et La France Libre, de l’appel du 18 Juin à la Libération (1996), livres magistraux qui renouvellent profondément l’histoire de la période.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac était grand-croix de la Légion d’honneur, officier des Arts et des Lettres, commandeur de l’ordre de l’empire britannique, titulaire de la croix de guerre 1939-1945, de la médaille de la Résistance et de la médaille commémorative des services volontaires de la France Libre.
Un hommage national, présidé par le Président de la République, lui sera rendu le mercredi 15 avril, à 9 heures, dans la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides.